samedi 31 décembre 2011

Les "chirurgiens" 2

Bon ok, tous les chirurgiens n'incarnent pas le stéréotype de "chirurgiens". D'ailleurs, les personnes les plus humaines que j'ai rencontré étaient deux chirurgiens, admirables. Ils avaient toutes les qualités qu'on pouvait espérer chez un médecin, un vrai.

J'étaits en première 4° année, celle où je voulais abandonner. Mon premier stage, en pédiatrie m'avait apporté plus de confusion que de réconfort dans la profession vers laquelle je m'engageais. Arrive le deuxième stage : chirurgie cancérologique.

Déjà, ça partait mal. La personne qui nous a reçu nous a dit de venir à 8h30 mais que le bloc commençait à 7h30. Vous voulez pas nous voir pendant 1h ? je ne comprenais pas. En plus, il n'avaient besoin que de 2 externes par matinée, plus un 3° externe de secours au cas où l'un serait malade. On était une armée d'externes, 12 ou 14, à se répartir 3 par matin. Ce qui fait que tout le monde a eu beaucoup de vacances pendant ce stage.
Et les "chirurgiens" nous disaient : "Vous venez ou vous ne venez pas, c'est pareil. Nous on a juste besoin de 2 personnes le matin pour tenir les écarteurs". Ça encourage vachement à coopérer.

J'ai assisté la première semaine à des reconstruction mammaires, les internes disaient que ça rapportait beaucoup d'argent. J'ai vu des chirurgies du désespoir de cancers très étendu chez des patients pour qu'on opérait pour dire qu'on faisait quelque chose et pas rien. J'ai entendu toutes les vannes entre anesthésistes et chirurgiens. J'ai surtout rencontré des chirurgiens exécrables de caractère (pas de compétence quand même). C'est à partir de là que mon dégout des "chirurgiens" est né.

Par chance, je suis tombé sur deux personnes extraordinaires, 2 chirurgiens que j'ai suivi à tour de rôle.  On a opéré une patiente qui avait un cancer du sein. Il m'a tout expliqué : comment on lui avait diagnostiqué, ce que son médecin lui avait dit, qui l'avait fait paniquer forcément, lui qui la reçoit en consultation 3 mois plus tard effondrée, la rassure, lui explique comment ça va se passer et la suite. Tout ça pendant qu'il opérait et moi qui tenait les bords de l'ouverture.
Il m'expliquait ce qu'il était en train de faire pour que je comprenne que le petit truc jaune clair au milieu de l'amas jaune foncé, c'était un vaisseau lymphatique, le petit truc bleu-un-peu-jaune une veine, le petit truc jaune-un-peu-gris un nerf. Ça ne ressemble pas du tout aux cahiers d'anatomie de première année, mais soudain, sous son regard, ça prend du sens, du corps, ça devient réel, concret.

Je l'ai suivi pendant 1 semaine entière, de 7h30 jusqu'à 14h pour qu'il me raconte un maximum de choses. C'était passionnant, alors que j'avais horreur de la chirurgie, je commençais même à aimer ça. Il m'a parlé de sa formation, celle d'un chirurgien généraliste (je ne pensais pas qu'on pouvait coller les 2 mots ensemble), que les personnes qui lui avait enseigné leur savoir étaient des mecs qui savaient tout opérer.
"Maintenant, les chirurgiens sont spécialisés, ce qui est mieux pour leur savoir faire, leur expertise, il y a moins d'erreurs mais on ne considère plus le patient dans son ensemble. A cause de ce fractionnement, on ne prend plus la personne humaine que comme un bout de viande et c'est préjudiciable. Autant pour le patient que pour soi même ! Comment veux-tu avoir une certaine estime de toi si tu te vois comme un tas de bidoche ! C'est pour ça, sans doute que beaucoup de chirurgiens se prennent pour des dieux, ils veulent sublimer la matière. Ils se considèrent comme des esprits au delà de la chair. Pour ne pas affronter la réalité, leur vision des choses. "

J'ai continué à le suivre, lui et son collègue, hors du bloc. Je veux dire en consultation. Ils m'ont appris à entendre la détresse des gens, leurs angoisse et surtout leur ignorance par rapport à des mots barbares tels que ACR2, spiculé, micro-calcifications...j'en passe et des pires.

"Bonjour Madame et Monsieur. Que puis-je faire pour vous ?
_ C'est mon médecin traitant qui m'a dit de venir. Voilà : ma cousine est morte d'un cancer du sein l'année dernière, j'étais très inquiète alors j'ai demandé à refaire une mammographie. Alors je suis venu vous voir avec les résultats parce que mon médecin généraliste est inquiet.
_ Voyons voir ça...mmm...Je comprends qu'il soit inquiet : le compte-rendu du radiologue n'est pas clair. Mais les images ne sont pas alarmantes.
_ Ça va dire que je n'ai pas de cancer ?
_ Les images sont rassurantes mais c'est vrai qu'il subsiste un doute, c'est ce que le radiologue dit dans son compte-rendu et c'est pour ça que votre médecin traitant est inquiet. Il a peur que vous ayez un cancer du sein.
_ Ah d'accord.
_ Maintenant, moi, les doutes, je n'aime pas en avoir, je ne sais pas pour vous, mais moi, on me dirait que j'ai une boule douteuse dans le sein, j'aimerais savoir ce que c'est.
_ Oui, moi aussi, dit-elle en souriant.
_ Maintenant pour être sûr, il y a 2 choses à faire : d'abord je vais vous examiner et après, dans quelque temps, on va faire une biopsie, c'est à dire que sous anesthésie locale, on va plonger une petite aiguille dans la boule de votre sein, on va en extraire une petite partie et on va l'analyser.
_ Mais vous pensez que c'est grave ?
_ Je ne peux rien dire avec certitude tant que je n'ai pas les résultats. Honnêtement, il y a de fortes chances pour que ce soit bénin, mais il reste un doute, je ne veux pas avoir de doute. Vous non plus je suppose.
_ Non, moi non plus, dit-elle en souriant encore.
_ Avec les résultats de la biopsie on sera fixé : si c'est bénin, tant mieux, vous rentrez chez vous et vous continuez vos mammographies. Si c'est un cancer, ça veut dire qu'on s'en est occupé tôt et on sera le mieux placé pour vous donner le meilleur traitement. D'accord ? est-ce que vous avez des questions ?
_ Non, Docteur, c'était très clair, merci. "

Il l'a examiné et pris rendez-vous pour la biopsie. Il avait réussi un tour de force : il a annoncé à la patiente qu'elle avait "peut-être" un cancer, elle lui a souris, 2 fois et lui a dit merci. Je n'en revenais pas. Nous avons analysé ensemble les images, il m'a dit les arguments en faveur de bénignité, ceux en défaveur, qu'à ce stade on ne pouvait encore rien dire et que ça ne servait à rien de faire paniquer la patiente.

"Le plus difficile, c'est d'être à la fois honnête et rassurant. Il ne faut pas mentir au patient soit disant pour leur bien. Ils sont capables de comprendre."

La patiente suivante par contre, vu les images, il n'y avait pas de doute. Il a pris le temps, nous avons passé presque 45mn avec elle et son époux à répondre à leurs questions. Il a su choisir les mots pour qu'ils ne soient pas complètement effondrés mais qu'il puissent saisir le problème dans toute sa réalité. Pas facile, pénible, pas drôle du tout.

"Certaines études de cancérologie montrent qu'un patient optimiste a de meilleurs chances de survie après cancer du sein. Nous n'avons pas le droit de les priver d'espoir. Même si concrètement, c'est mal engagé."

La patiente suivante, plutôt jeune, il l'avait opéré l'année dernière, un cancer du sein relativement étendu, elle venait pour une visite de contrôle. Elle avait un sein en moins, une cicatrice à la place, elle avait les cheveux courts mais elle était bronzée et souriante. Le chirurgien m'avait expliqué tout son dossier avant qu'elle ne rentre.

"Bonjour Docteur, je viens pour la visite de contrôle. Vous vous rappelez de moi ?
_ Bien sûr que je me rappelle. Comment allez-vous ?
_ Très bien, j'ai pris quelque vacances avec mon mari.
_ Je vois ça. Tant mieux, vous avez bonne mine.
_ Merci. Je viens vous voir surtout parce que l'année dernière vous disiez que si tout allait bien, on pourrait envisager une reconstruction mammaire l'année suivante. Et voilà, l'année est passée et tous les examens sont bons. J'aimerais me sentir à nouveau entière."

Depuis, j'ai de l'admiration pour les chirurgiens, ceux qui sont encore humains et médecins, ceux qui savent lire et parler, des soignants.


P.S. : pour ceux qui veulent se faire une idée sur l'optimisme et le pronostic des cancers. Voilà le pour :
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2661422/?tool=pubmed

et voilà le contre :
http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/cncr.24671/abstract

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