jeudi 29 novembre 2012

Encore une histoire de café

Je vous passe tous les menus détails et tracas du quotidien quand on veut déménager aux antipodes, tels que se loger, brancher une ligne de téléphone, faire ramener sa voiture, changer sa carte grise...bref, armez-vous de patience. Mais ce n'est pas le propos.

Revenons à nos moutons. Je suis accueilli par le Dr Shleck, chef de service, une femme à poigne. Elle me présente toute l'équipe, mon nouveau bureau et le local où j'effectuerai toutes mes explorations. Tout cela se présente pour le mieux.

Le lundi, au soleil, comme il se doit puisque je suis sous les tropiques, il est déjà 8 heures, le vrai travail commence. Je suis arrivé un peu en avance histoire de faire connaissance avec les lieux. Bonjour table, bonjour chaise, bonjour ordinateur, bonjour carnet de rendez-vous, comment allez-vous ? visiblement le carnet est plein de noms, de patients j'imagine, ayant tous la mention CP accolée (note pour plus tard : trouver ce que veux dire "CP"). L'ordinateur a besoin de café, comme moi. Je me mets donc en quête du local détente.

Une cafetière rose fuchsia m'y attend sagement, encore ronronnante, un brin fumante, émanant ce parfum, vous savez ? celui du café fraichement percolé : l'odeur du matin qui commence bien.
Dans la pièce, assise dos à moi, je vois une blouse blanche. Je lance un timide "bonjour" sans réponse. Je m'avance vers elle, passe une tête devant la sienne : elle a les yeux fermés, elle est jeune et très belle. Qui est cette gardienne du temple du café ?

Je récidive un bonjour, face à elle, toujours pas de réponse. Soit elle dort, soit elle a un casque dans les oreilles cachés par ses longs cheveux bruns. Je peux en prendre du café ou pas ? elle va me poser des questions et me manger ? j'ai besoin de mon café moi ! Oui parce que bon...les moteurs diesel ont leur fuel, moi je ne peux pas avancer si je n'ai pas ma dose de café. Et encore, je mets toujours un peu de temps à démarrer et prendre mon rythme de croisière. C'est pour ça que j'arrive toujours un peu en avance. Qu'à cela ne tienne ! je n'ai qu'à faire d'une pierre deux coups : si je lui mets un doigts dans une oreille, soit je touche un écouteur, soit je la réveille.

J'avance mon plus bel auriculaire, l'introduit doucement mais fermement et ...
"_ Aaaaaaahhh !!! mon Dieu !!! au secours !!!!! au viol !!!!
La charmante blouse blanche se réveille en sursaut, se lève et me lance le contenu de la tasse qu'elle tenait entre ses mains.

"Ça va pas de me secouer comme ça ! tu pouvais pas me laisser tranquillement suivre le cours de mes pensées, non ? t'as pas des patients à brancarder ? et puis t'es p'têt nouveau ici mais si tu veux du café, il faut que t'en apporte sinon je te coupe les couilles, je les fais sécher, griller, moudre, percoler et je te les fais boire. C'est clair ?
_ Euh...oui...très clair, dis-je en essayant d'essuyer ma blouse, en vain.
_ Maintenant retourne bosser, faignasse et va me chercher mes patients !
_ Chef oui chef !
_ Et ça se permet de faire de l'humour en plus !"
Je file hors de la salle détente avant de me prendre une volée de sachets de sucre dans la tronche et je file à mon bureau enfiler une blouse propre sans étiquette, puis au bureau d'accueil. Je regarde le carnet de rendez-vous, lis le nom du premier patient, me dirige vers la salle d'attente et :
"_ M. Jean Bernard L. ?
_ Oui ?
_ Vous me suivez s'il vous plait ? je suis le médecin.
_ Bonjour Docteur.
Je l'installe confortablement dans la salle d'exploration et je commence :
_ Alors Monsieur, qu'est-ce qui vous amène ?
_ On n'attends pas l'infirmière ?
_ Ah si tiens. Ça serait mieux. C'est elle qui a votre dossier en plus. Je vais la chercher, je reviens."

Au détours d'un couloir je tombe nez à nez avec mon agresseuse. Cette fois-ci, j'ai le temps de lire sur le badge de sa blouse : Infirmière Diplômée d’État. C'est bien elle que je cherchais. 
"_ J'ai installé le premier patient dans la salle d'exploration.
_ Ah merci. Très bien. Je suis en retard, je te laisse.
Elle se rend en quatrième vitesse vers la salle, moi de même, et me regarde bizarrement, comme surprise que je me dirige dans la même direction qu'elle.
_ Tu vas où ? espèce de violeur !
_ De violeur ?
_ Oui, de violeur ! le viol est l'introduction de n'importe quoi dans n'importe quel orifice de n'importe qui sans la permission de l'un des deux individus concernés. Un doigt dans l'oreille, c'est donc un viol.
_ Excusez-moi. Je ne recommencerai plus.
_ Bon.
Toujours étonnée que je la suive.
_ Mais sérieusement, là, tu vas où ?
_ Bah, voir mon patient.
Toujours incrédule, elle trouve encore plus bizarre que je rentre dans la salle d'exploration avec elle.
_ Ah Docteur ! vous l'avez trouvée.
_ ... Docteur ? ... Docteur ! ... ah mais ...
_ Oui c'est moi le nouveau médecin de l'équipe.
_ Ah zut ! excusez-moi pour tout à l'heure, je vous ai pris pour un de ces brancardier qui essaye tout le temps de nous chiper du café.
_ C'est pas grave. Ça peut arriver à tout le monde. Et puis je l'avais mérité.
_ Mais j'y pense...c'est normal qu'il y ait eu méprise ! c'est toi le mal poli ! vous ne vous êtes même pas présenté !
_ C'est vrai que c'était un piètre façon de m'introduire.
_ C'est le cas de le dire !
_ Mais aussi, vous ne m'avez pas laissé le temps je vous rappelle. Vous m'avez jeté du café et du sucre à la figure !
Le patient nous regarde et m'interroge du regard :
_ C'est vrai ? elle a fait ça ? 
_ Quelle idée aussi de vous balader avec une blouse où il n'y a ni votre nom ni votre fonction !
_ Parce que la mienne a été pulvérisée de café par vos soins.
_ C'est vous qui m'avez mis un doigt dans l'oreille, pas moi !
_ C'est vrai, vous avez fait ça ? renchérit le patient. 
_ Oui mais je n'aurais jamais...d'ailleurs (je redescends d'un cran) vous êtes passé au vouvoiement. C'est nul. Quand vous m'avez engueulé comme du poisson pourri, c'était "tu".
_ Et alors ?
_ Je préférais avant.
_ Quand je vous gueulais dessus ou quand je vous tutoyais ?
_ On a commencé avec le "tu" c'est absurde de finir sur le "vous".
_ Bon d'accord. Repartons du bon pied.
_ D'accord.
Elle me tends la main :
_ Je m'appelle Carole Pepperonni. Mais tout le monde m'appelle Lola ou même Lol. Je suis l'infirmière des explorations.
_ Enchanté. Et moi Georges Zafran, le nouveau médecin des explorations.
_ Enchantée moi aussi, révélant un immense sourire parfait, chaleureux, radieux, lumineux, et découvrant enfin des yeux magnifiques, vastes, dans lesquels on voudrait s'y plonger pour y cueillir des perles.
_ Et moi je suis Monsieur J.B.L.  et j'attends qu'on me fasse mon examen !
_ Oh pardon, excusez-nous monsieur. Au travail !
Elle me lança un regard complice qui dura moins d'une demi-seconde mais qui me fit fondre instantanément. Son regard rechangea immédiatement en celui de courroux que je connaissais mieux. Les yeux révolver...non, c'est pas assez. Les yeux machine-gun peut-être. Un subtil mélange de Clint Eastwood, Mike Tyson et Clara Morgane.
_ Par contre, tu es de corvée café pour le reste de l'année, c'est clair ?
_ Très clair Lola.

Le café ne ment jamais : c'est vrai que la journée commençait bien.

To be continued...


dimanche 11 novembre 2012

Saison 2 : un nouveau départ

Ma thèse en poche, des idées plein le crâne et des espoir à raz bord du cœur, je sortais du restaurant où j'ai fêté ma victoire sur Pr A (cf ici) avec tous mes proches, la tête haute, les épaules larges, le torse droit (et même pas beurré, ou alors à peine) pour regarder les étoiles et me poser la seule et unique question : "et maintenant quoi ?"

Parce que bon, ce n'est pas tout de finir haut la main 13 ans d'études, il faut savoir quoi en faire, ou comme disait un grand philosophe des années 80 : "l'essentiel n'est pas d'avoir des bagages mais de savoir où les poser".
En l'occurrence, la question se pose au sens propre et figuré. En effet, il y a quelque temps, on m'avait proposé un poste sous les tropiques. Je vous relate l'entretient avec le Dr Shleck :

"Vous verrez ici nous sommes aussi bien équipés qu'un CHU, nous avons une trentaine de lits d'hospitalisation, 10 lits d'hôpital de semaine et 2 d'hôpital de jour, 5 médecins, une excellente ambiance et nous allons ouvrir une nouvelle aile prochainement. C'est pour cette raison que, après la thèse obtenue, nous serions ravis de vous accueillir ici pour développer notre activité et nous enrichir de votre expérience. D'ailleurs quelle est-elle, votre expérience ?
_ Et bien, c'est à dire que j'ai passé 4 dans un CHU de métropole dont 6 stages de spécialité.
_ Ah c'est bien ça ! vous avez du être bien formé.
_ Euh...oui, pas trop mal.
_ Oh vous êtes modeste.
En vrai, non. Je n'ai pas eu le cœur de lui dire qu'en 4 ans, les occasions où j'ai croisé mes Professeurs (en dehors des congrès et de la thèse) peuvent se compter sur les doigts de mes mains (et des orteils en étant indulgent).
_ Et vous vous êtes sur-spécialisé dans quel domaine ?

Pour les néophytes, il faut que je vous explique un peu. Au terme d'un concours particulièrement sélectif, s'en suivent 5 ans de formation médicale dont 3 passées tous les matins au chevet du patient. Puis, à la fin de la sixième année, il existe un autre concours. En fonction de son classement, on choisit la spécialité et la ville où l'on souhaite exercer pour les années suivante : le premier peut choisir neurochirurgie à Paris (si c'est ça qui le fait kiffer) et le dernier choisit ce qui reste (et il y a des chances pour que ça ne le fasse pas kiffer mais alors pas du tout).  
Tout le monde a le choix parmi plusieurs spécialités allant de 3 ans pour la médecine générale jusqu'à 5 ans pour la chirurgie, la médecine interne ou la réanimation.
Et au sein de chacune des spécialités, chacun doit encore y trouver sa place en jouant des coudes.

Exemple : un interne de gastro-entérologie apprend qu'un poste va se libérer dans 2 ans dans l'hôpital qui lui plait. Ce service est spécialisé dans l'hépatologie (le foie) alors que d'autres sont spécialisés dans le tube digestif, ou parfois même encore plus spécifiquement dans le rectum (un proctologue ça s'appelle). Si notre interne veut garder son poste, il va donc devoir passer des diplômes universitaires (DU) ou des DESC (diplôme d'études spécialisées complémentaires) pour justifier de sa supériorité de connaissances vis à vis de ses confrères. Bref, c'est la guerre. Et moi j'ai horreur de ça.
Retenez bien, ça va servir pour les prochains épisodes.

_ Quel est votre domaine de prédilection ?
_ Disons que j'ai préféré garder une approche globale et pluri-disciplinaire de ma spécialité.
_ Ah fort bien !
Avec un soupçon d'intérêt dans la voie, ce qui m'a un peu décontenancé. Je m'aurais attendu à du mépris.
_ Parce que nous avons besoin de quelqu'un pour s'occuper du service pendant que les autres médecins vont se familiariser avec les appareils dont nous venons de faire l'acquisition.
_ Ah bon ?
_ Oui nous allons faire pas mal d'exploration techniques dans notre nouvelle aile. Vous connaissez ?

Si je connais ? j'en ai bouffé de ces trucs...Les dossiers des patients débordaient de ces données à la con à tel point que, pour les 12 entrées du lundi, il fallait passer tout son dimanche à faire le tri dans les résultats sinon on sortait le lundi soir à ...deux heures du matin.
_ Oui, ça ne m'est pas inconnu.
_ Formidable, vous pourrez nous donner un coup de main alors.
Plutôt crever. 
_ Euh oui mais bon, concrètement, ça se présenterait comment le boulot que vous me proposez ?
_ Et bien, mi-temps dans le service et mi-temps aux explorations fonctionnelles. Sauf pendant les congrès. Dans ce cas là, c'est vous qui vous occuperiez à plein temps du service.
_ Très bien, ça m'intéresse.
_ Alors recontactez moi dès que vous aurez passé votre thèse."
L'entretient s'est terminé avec un grand sourire amical et une poignée de main chaleureuse.

Je suis toujours sous les étoiles, en dehors du restaurant d'où sort un doux fumet de viande grillée (tiens ça me rappelle le bloc opératoire...). Plusieurs choix s'offrent à moi  :
   - ouvrir un cabinet, m'installer en libéral, comme ça tout de suite. Pourquoi pas ? j'ai l'expérience des consultations, j'aime ça, j'ai de bons contacts avec les patients...mais il faut que je fasse mon trou, que les médecins m'adressent des patients. Que je me fasse connaître. Ce n'est pas dit que ça marche tout de suite.
   - m'installer à l'hôpital. Pas d'angoisse d'argent, un salaire tous les mois, des patients à foison sans avoir à aller les chercher, du travail varié et intéressant. Oui mais voilà, un boss au dessus, des comptes à rendre, des papiers, des réunions, des commissions... 
   - racheter une patientelle : c'est à dire qu'un spécialiste en ville parte à la retraite et que je lui rachète son cabinet et surtout son carnet de rendez-vous avec sa secrétaire pour gérer la paperasse. L'idéal. Oui mais qui ? je ne connais personne.
   - ou alors je peux toujours continuer les remplacements pendant un certain temps. C'est bien payé et je voyage. Oui mais combien de temps ? et puis c'est frustrant de ne pas suivre un patient dont on s'est occupé.

Que faire ?

Fin décembre, il fait froid en métropole. Et la chaleur enveloppante des entrecôtes ne suffit pas à me réchauffer l'âme vagabonde qui commence à monter en moi. Je veux voyager, je veux vivre intensément des choses et faire du bon boulot. Je veux vivre heureux et utiliser mon cerveau. C'est ce dont j'ai toujours rêvé.
Au loin, portée par la brise, une mélodie au goût poivré m'entoure et me berce. "Emmenez-moi au bout de la terre. Emmenez-moi au pays des merveilles. Il me semble que la misère serait moins pénible au soleil."

Merci Charles. C'est décidé ! je pars loin, très loin. Au chaud, faire ce que j'ai toujours eu envie de faire sans jamais en avoir l'occasion : être libre, sans avoir de perpétuels examens, vivre et être heureux.

Pour moi, la vie va pouvoir commencer.

To be continued...


PS : pour ceux que ça intéresse, vous trouverez ici (atlas 2012 résumé, page 18) les choix qu'on fait d'autres jeunes médecins diplômé avant moi. Plus des 2 tiers choisissent une activité salariée, 1 sur 5 choisit les remplacements, moins d'un sur 10 choisit de s'installer. Toutes spécialités confondues.