Pendant les stages en CHU, je n'avais quasiment pas de vie tout court. Je me levait entre 6h et 6h30, en fonction du courage que j'avais à ces heures matinales (autant dire très peu), je me pointais au boulot à 8h, je suais bien fort à faire le taf de 2 internes à moi tout seul (oui, 15 patients lourds tout seul, c'est épuisant) et je sortais à 22h en moyenne. En moyenne, ça veut dire que les jours de chance, j'arrivais à m'enfuir à 20h et les jours de pas de chance, à minuit.
Ça veut dire une arrivée à la maison une heure plus tard (45mn aller, 45mn retour et entre 15 et 30mn pour trouver une place pour se garer), manger un peu, dormir et recommencer. Le weekend, lessive, course, rattraper le sommeil en retard. Le dimanche, essayer de lire les dernières publications.
Le vendredi était très très dur parce que le matin, on avait une séance de lecture d'articles avec tous les médecins du service. Ça durait une heure, donc il fallait super bien résumer l'article, montrer qu'on avait bien compris les tenants et aboutissants de la publication et répondre aux questions. Sauf que, l'article en question, on n'avait pas eu le temps de le travailler dans la semaine, donc on le lisait en catastrophe le jeudi soir jusqu'à 2h du matin. Le soir, on faisait les transmission de nos 15 patients à l'interne qui allait devoir rester d'astreinte pour le weekend. Autant vous dire que 4mn par patient, ça fait déjà une heure de passée dessus. Sauf qu'on avait des patients lourds, je me répète mais faut bien comprendre. Généralement, à 21h ou 22h, quand la journée était finie, qu'on n'avait presque pas dormi la veille et qu'on voyait qu'on allait encore passer 2h sur des transmissions, on pleurait.
Là bas, dans ce service, le weekend, c'était comme une journée normale pour un interne normal dans un service normal. Pour nous, c'était presque des vacances : arrivée à 9h, départ à 18h30, avec seulement une à 2 entrées par jour (oui, même le dimanche). Parfois même, miracle, pas d'entrée de tout le weekend.
Tout ça pour dire qu'en dehors du travail, on n'avait pas vraiment de latitude pour avoir une vie sentimentale, même pas pour trouver l'âme sœur, non (faut pas trop croire au Père Noël non plus) mais ne serait-ce qu'avoir une personne avec qui passer une peu de temps, avec qui parler d'autre chose que le boulot.
Au bout de 3 mois, il ne se passait tellement rien dans nos vie à tous les 3co-internes, Pilar, Micheline et moi, que la moindre petite éventualité de possibilité de moitié de bisou nous enflammait en un quart de seconde. Si par exemple le fils d'une patiente était moyennement beau ou un peu bien habillé et qu'il faisait un sourire à Micheline, on avait droit à un debriefing immédiat (à 21h) autour d'un thé et d'un Pepito.
Un jour dans le service a débarqué une étudiante diététicienne brésilienne, Yolanda. De grands yeux verts, des cils immenses...parce que le reste, je n'avais pas trop la possibilité de voir avec la blouse blanche informe qui la recouvrait. Un jour, je l'ai bousculé un peu sans le faire exprès (si, en vrai, c'était complètement fais exprès), ça l'a surprise et amusée en même temps. Avant de partir (vers 17h, c'est écœurant) elle est venue me voir, en civil (j'en ai profité pour admirer tout ce qui était caché par l'uniforme), m'a demandé mon nom et je lui ai proposé de lui faire visiter la région étant donné qu'elle venait d'un pays lointain et qu'elle ne devait pas connaître. OK, rendez-vous samedi à 10h.
Je cours voir Pilar pour la supplier d'échanger le weekend pour que je puisse avoir une vie de dehors l'hôpital pitié-pitié-pitié et je te promet de te raconter tous les détails lundi matin première heure. Elle a accepté avec comme taxe, une boîte de Pepito.
J'ai emmené la belle Yolanda en bord de mer, marcher sur le sable (oui, en hiver, c'est moyen), en plus, il faisait tout gris et il s'est mis à pleuvoir. Mais en la raccompagnant chez elle, j'ai pensé à la chanson de Brassens "le parapluie". C'est vrai qu'elle avait quelque chose d'un ange et j'ai elle m'a offert un petit coin de paradis, le temps d'une après-midi.
"J'espère que la journée t'a plut, malgré le temps.
_ Oui, c'était très bien (je ne vous parle même pas de son accent charmeur). Mais pour être honnête, je connaissais déjà.
_ Ah bon ?
_ Oui, je suis née en France, ici même, c'est pour ça que je parle aussi bien.
_ Pourquoi tu as accepté mon invitation alors ? (oui j'étais très naïf à l'époque et je n'ai pas tellement changé depuis)
_ Pour pouvoir passer l'après-midi avec toi bien sûr."
Elle m'a souris et m'a embrassée. J'ai souris bêtement, j'ai lutté pour ne pas rester planté devant chez elle comme un benêt sous mon parapluie et je suis rentré chez moi.
Lundi matin, c'était l'Afghanistan : tous les patients ont décompensé en même temps pendant la nuit et il a fallu leur faire une tonne d'exploration à tous dans la matinée. Pilar nous a promis qu'elle n'était pas responsable et qu'ils étaient tous en pleine forme la veille au soir. Du coup, nous avons repoussé le debriefing au repas du midi (ou plutôt 14h). Je raconte l'après-midi et j'en viens au passage juste avant le pas de la porte. Mes 2co-internes étaient pendues à mes lèvres :
"Alors alors alors ?!?! Ensuite ! il s'est passé quoi ? tu l'as embrassée ??? m'ont-elles demandé avec de grands yeux qui pétillent.
_ Non, répondis-je, et on pouvais lire dans leurs yeux toute la déception de 2 mois de frustration sentimentale sentimentale. Il faut comprendre qu'à ce moment du stage, je représente leur plus grand espoir de vivre une histoire par procuration, il ne fallait pas que je les abandonne, j'étais leur feuilleton. J'ai poursuivi :
_ Non, je ne l'ai pas embrassée. C'est elle qui m'a embrassé."
_ AAAAAAAHHHH TROP BIEEEEEEEEEEN !!! se sont-elles exclamé et applaudi en même temps.
On était dans le self de l'hôpital (où on mange la même chose dégueu que les patients), il devait y avoir une centaine de médecins qui mangeaient en retard comme nous et ils se sont TOUS retournés vers notre table pour connaître la raison de cette clameur : un mec seul à table entouré de 2 filles qui l'applaudissent...plutôt sans équivoque.
Heureusement, les diététiciennes mangeaient à des heures décentes et n'ont pas eu vent de cette histoire. J'ai eu à la fois ma plus grande honte et ma plus grande fierté, simultanément.
Hello :) merci pour ton petit mot de thèse, et bravo pour ce début de blog! Je relaye sur twitter!
RépondreSupprimerAu fait, "Zafran" c'est en référence à ou tu es de la même famille que Martin Winckler? (quoique lui c'est 2 f je crois)
RépondreSupprimerJ'ai pris ce pseudo avec l'aimable autorisation de Martin Winckler en effet =)
RépondreSupprimerMerci pour la pub et à bientôt
Merci Gélule de m'avoir fait découvrir le blog ;)
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