Après le bac, tous mes copains sont partis faire des maths ou de la biologie. J’ai horreur des maths (j’ai eu le bac scientifique grâce aux matières littéraires) et la bio, si ce n’est pas concret, ça m’ennuie. Alors quoi d’autre ? informatique ? à part jouer aux jeux vidéos, je n’y connais rien, et en plus, je perd.
Une amie d’une amie m’a recommandé de m’inscrire en médecine si je ne savais pas quoi faire, comme ça, j’y acquerrai une excellente méthode de travail et tout me semblera facile après. Elle m’a vendu ses livres de première année.
« Et toi ? pourquoi tu ne continues pas ?
_ Oulah non ! pour rien au monde ! »
J’aurais du me méfier à ce moment là.
J’arrive dans l’amphithéâtre le plus grand de la faculté de médecine, il y a 700 places, un immense tableau noir tout en bas, derrière la chaire. L’amphi est rempli, je n’y connais personne.
Les dernières places assises sont tout au fond, sur les côtés, où on ne voit rien au tableau. Au centre de l’amphi, c’est le théâtre : 200 carabins (j’apprendrai plus tard que « carabin » désigne un étudiant en médecine) sont debout sur les tables, en train de lancer des avions, de chanter, de danser, de faire des bruits en tout genre.
Le Professeur entre, ils s’asseyent. Une élève assidue, assise au premier rang se retourne et fait « Chut ! ». Les 200 carabins la regardent et répètent « Chut ! » à 200, en faisant le plus de bruit possible.
Ces 200 là, sont les redoublants. Mais pas n’importe lesquels : ceux qui font tout pour faire échouer les primants (ceux qui passent le concours pour la première fois), ceux qui ont déjà les cours, qui cravachent comme des dératés en dehors des cours et mettent un boxon de tous les diables pendant les cours. Ceux que tout le monde déteste.
Le cours commence, ce sont les bases de la physique quantique. Vous allez me demander : à quoi ça sert en médecine ? et bien parce qu’à partir de la physique quantique, on comprend mieux la chimie organique et qu’avec la chimie organique, toute la biologie du vivant est plus explicite. Cela dit, c’est quand même un prétexte pour faire des examens difficile et éliminer un maximum d’indésirables.
« Il y a 100 ans, on pensait que les électrons suivaient une orbite.
_ BITE !!!
Ca m’a surpris au début. Très surpris. Dès qu’un mot prononcé par le prof finit par une consonnance particulière, quelques doublants la répète, fort, et de façon équivoque.
_ Autour d’un noyau, il existe donc une espèce de magma électronique.
_ NIQUE !!!
_ Lors d’une liaison covalente, il y a échange d’électrons. Lors de ce processus…
_ SUCES !!!
_ …les électrons ne suivent pas une orbite…
_ BITE !!!
_ … mais plutôt une zone de probabilité de présence qu’on appelle orbitale.
Une petite pause dramatique, pour laisser le temps aux primants de comprendre et aux doublants de faire un jeu de mot, mais non, pas de jeu de mot possible.
_ Donc, ces électrons orbitalaires…
_ BITE A L’AIR !!!
Puis arrive l’intercours. Les doublants se mettent à chanter sur l'air de "la balade des gens heureux" :
Ami machin, tu nous délaisses
Ça fait longtemps qu’on les a pas vues
Ami machin montres nous tes fesses
Ami machin montres nous ton cul
Et là, le dénommé machin se lève, monte sur la table et baisse son pantalon en mettant quelques petites claques sur la partie la plus proéminente de son anatomie. Pendant ce temps, les 200 autres doublants se mettent à frapper les tables et taper du pied jusqu’à faire trembler tout l’amphi, à en faire tomber les stylos.
Le cours suivant arrive avec le Professeur de physico-chimie et ses formules incompréhensibles. Bizarrement, ces deux heures ont été plus calmes. Là aussi, ça aurait du m’alarmer : même en redoublant, ça reste compliqué.
Mais c’est surtout le discours d’ouverture du Professeur qui a un peu (je dis un peu) refroidi les esprits :
« Vous êtes 650 dans cet amphi inscrits en médecine, nous n’allons en garder que 60. Tous les autres, ceux inscrits aux concours de kiné, ergothérapeute et psychomotricité, ce cours n’est pas dans votre programme, vous pouvez sortir. Ceux qui n’ont pas l’intention d’être sélectionnés peuvent s’en aller également ».
A chaque fois que le prof disait « sélection » ou « sélectionner », les doublants faisaient « sssssssssss » et un au hasard criait « primant ! jamais tu l’auras « ! » sous-entendant son concours.
Ainsi fut mon premier jour.
Après ça, des réflexes me sont venus très vite. Un jour, je regardait un documentaire animalier chez mes parents :
« La banquise est un écosystème où beaucoup d’espèces différentes cohabitent.
_ BITE »
Mes parents m’ont regardé bizarrement, très bizarrement. J’ai du leur expliquer l’ambiance qui régnait à la fac, ils ne m’ont pas cru. J’ai du leur apporter un enregistrement audio (beaucoup enregistraient le cours et se le repassaient chez eux) pour qu’ils me croient.
Voilà un post autenthique! L'ambiance est bien retranscrite, ça m'a fait sourire de la même façon que j'ai rit dans l'amphi alors même que l'ambiance joyeusement bordélique avait pour objectif avoué de faire échouer les "primants"... Déprimant au fond, mais drôle quand même ^^ tout un programme!
RépondreSupprimerCa fait 11 ans maintenant mes 2 P1 mais quand j'entend quelqu'un éternuer j'ai encore le reflexe de dire "salope" au lieu de "a tes souhaits". Quand quelqu'un me dit un mot du genre "discriminant" je le regarde et répète SCRIMINENT...... J'ai pas forcément adoré tout mon externat mais l'amphi de P1 reste un souvenir inoubliable!!!
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