Je sollicite votre avis, votre aide et votre sympathie.
"Sympathie", c'est vraiment le mot : je cherche quelqu'un qui souffre comme moi. Oulah, je vous rassure, ce n'est pas une maladie grave, j'ai juste l'impression qu'autour de moi, tout le monde est daltonien et que je suis un des rares à voir en couleur. Je m'explique.
Depuis l'année dernière (2015) sont sortis les résultats d'une étude qui me mettait mal à l'aise sans savoir trop pourquoi.
étude disponible ici et là |
Depuis, j'ai décortiqué, épluché, tordu l'étude dans tous les sens que je pouvais et j'en ai déduis ma petite conclusion : comment peut-on sortir une étude avec autant d'incertitudes, approximations, conjectures, suppositions...et affirmer à la fin avoir accumulé des preuves solides ???
Ensuite, les résultats se sont propagés, diffusés, ils ont fait leur vie et ont amené des commentaires, tous dithyrambiques. Pourquoi ? non mais oh ! Suis-je le seul à penser : prenons un peu de recul avant de s'extasier ???
Et l'autre soir, j'ai assisté à une conférence où les résultats ont été présentés et commentés par une assemblée de spécialistes, et là...extase générale. C'en était trop ! je n'allais pas me limiter à penser, je vais partager mes pensées : j'ai pris la parole en public en pointant du doigt ce qui me gênait dans l'étude et je n'ai eu que des réponses évasives, où il était hors de question de remettre en question la splendeur de l'étude.
Deviendrais-je fou ? suis-je le seul à voir les tares de cette étude ? pitié, aidez-moi. Confirmez-moi que je suis fou en m'apportant des arguments solides, débattons à science ouverte, pointez mes erreurs. Ou alors soutenez-moi, partagez avec moi votre désarroi. Dans tous les cas j'ai besoin de vous.
Alors, je ne dis pas que l'étude est nulle, ou mauvaise, mais les zones d'ombres sont tellement énormes que je voudrais savoir si vous les voyez aussi. Entrons dans le vif du sujet.
INTRODUCTION
On va prendre le temps de situer le contexte quand même. Après la sortie d'UKPDS (et DCCT avant) on a eu la preuve que faire baisser l'HbA1c faisait baisser les complications micro-angiopathiques du diabète (cf ici).
Bon après, en regardant un peu dans le détail, on s'est rendu compte de 2 trucs : d'une part la baisse des complications macro-angiopathiques (et micro également) est peut-être imputable à la baisse d'HTA (ici).
D'autre part, la baisse d'HbA1c était parfois liée à une surmortalité, surtout dans le groupe sulfamide+insuline (ici et là ).
Au final, aucun médicament individuellement n'avait apporté la preuve de son efficacité dans la prévention des complications. Bon en vrai, si, la metformine, mais surtout sur les complications micro-angiopathiques (ici). Et peut-être pour les complications macro (ici).
Puis après, plusieurs études sont venues semer le trouble. D'abord, une méta-analyse a soulevé un lièvre statistique en suggérant un sur-risque de 15% d'infarctus chez les patients sous Rosiglitazone (ici).
Puis une autre de cancer de la vessie avec la Pioglitazone (ici). Les deux molécules ont depuis été retirées du marché en France (mais pas ailleurs).
Puis en 2008, une étude sur les vieux diabétiques à haut risque CV a été arrêtée prématurément à cause d'une promotion chez la Grande Faucheuse (l'étude ACCORD, ici). Confirmée plus tard avec VADT (ici).
Du coup, les diabétologues se sont demandés si on n'était pas en train de tuer les patients à vouloir les traiter. Alors, pour y remédier, on a demandé à toutes les nouvelles molécules de prouver qu'elles ne provoquaient pas de sur-risque de mortalité. C'est la moindre des choses.
Chaque gliptine a sorti son étude (SAVOR TIMI et les autres, en 2013 et après) et LEADER pour un analogue de GLP1 en 2016 (ici et ici).
Evidemment, toutes ont prouvé leur innocuité par rapport aux autres molécules anti-diabétiques (dans le sens "contre le diabète" et pas "conte les diabétiques" quoi que, à l'époque, on ne savait plus trop).
Par contre, aucune n'a pu démontrer un bénéfice ni micro, ni macro-angiopathique (en 2013 en tout cas).
Voilà pour le contexte.
PRESENTATION DE L'ETUDE
Tout d'abord, ça me titille doucement de faire une étude de non infériorité vs placebo chez des patients à très haut risque cardiovasculaire. C'est à dire, si on leur rajoute le médoc, on ne fait pas pire dans le meilleur des cas qu'avec un placébo. Autrement dit, on les regarde mourir sous placebo et si par chance le médicament testé les fait moins mourir, on compte les survivants. Au pire, on souhaite qu'il n'en tue pas davantage.
Ca ne vous chagrine pas un peu vous ? c'est pas un peu limite, au niveau éthique ?
Bon ok, vous allez me dire, ils ont déjà un traitement maximal et adapté à leur condition, on ne pouvait rien faire de plus. Si on peut leur apporter une aide supplémentaire, c'est une bonne chose, non ? Certes.
Et puis c'est le seul moyen de vérifier l'efficacité de ce médicament, contre placebo, en aveugle, dans un essai randomisé. Bah oui, c'est vrai, c'est la base. En plus, c'est la FDA qui a dit. Cf ici.
La FDA demande plusieurs choses :
D'abord, on compare la molécule à un placebo, pour être bien sûr qu'elle fait bien baisser l'HbA1c (normal vous me direz), puis on vérifie qu'elle ne tue pas plus qu'un placébo (normal encore une fois). Et après on fait des études à long terme pour voir l'effet à 5 ans sur le coeur et les petits vaisseaux.
Sauf qu'un labo, il n'a pas de temps à perdre. Ca fait déjà 15 ans qu'il bosse sur une molécule alors il ne va attendre encore 5 ans pour voir les effets (quitte à ne pas en avoir) pour commercialiser une molécule moins longtemps que la concurrence ! alors on va faire du 2 en 1 : on sort une étude à la fois de non infériorité et à la fois de supériorité vs placébo.
Le labo (Boeringher-Ingelheim) va même plus loin, il propose un médicament 2 en 1 (comme le shampooing) dans la même molécule ! c'est un anti-diabétique oral ET un diurétique puisqu'il fait pisser du sucre, donc de l'eau, c'est la définition même du diabète je le rappelle. Le mec pisse, c'est un diabète (sucré ou salé ou insipide). On trempe son doigt dans l'urine, on goûte, c'est sucré, c'est donc un diabète sucré.
Les auteurs le précisent bien en introduction de leur article, page 2, 2° paragraphe.
LE DESIGN DE L'ETUDE
C'est une étude randomisée en double aveugle (avec des extraits de Stevie Wonder et Michel Montagnier) pour prouver la non-infériorité de l'Empaglifozine versus placébo sur des patients diabétiques à très haut risque cardio-vasculaire. Rentrons un peu dans le détail.
Page 48 de l'annexe, nous avons le détail des 3 groupes : 2 dosages différents d'Empaglifozine et 1 groupe placebo. Evidemment, les 3 groupes sont comparables et même la fusion des 2 groupes Empa sont comparables au groupe placebo.
Ce sont principalement des hommes (72%) de 63 ans en moyenne, obèses (IMC moyen 30,5kg/m2) dont 46% ont déjà fait un infarctus, 23% un AVC et 10% sont déjà insuffisants cardiaque.
L'HbA1c moyenne de départ de tout le monde est à 8,08%.
Alors déjà, faisons ensemble une pause.
Si je prends les dernières recommandations de l'HAS, que voici, il me semble que le profil des patients de l'étude ont un objectif d'HbA1c <8%.
Donc, quel est l'intérêt de les traiter ?
Vous aller me dire, les américains s'en foutent des reco françaises. Je vais vous répondre : c'est pas faux. Donc, on va prendre les reco ADA/EASD de 2015, que voici :
Oui, donc grosso modo la même chose. On va les ranger dans le groupe comorbidités donc <8%. A quoi sert de développer un médicament pour des personnes qui n'en auront pas l'utilité ?
Continuons l'analyse de la cohorte.
57% ont plus de 10 ans d'antériorité de diabète. Normal vu qu'ils ont déjà des complications. Si je me réfère à UKPDS 10 ans après (ici) et au concept de "mémoire glycémique", si on a eu un diabète dégueulasse pendant 10 ans, même si on ramène ce diabète à 7% d'HbA1c, le patient aura toujours autant de complications (ou alors pas tellement moins que le groupe qui a toujours été à 7% et ce n'est pas mesurable ou significatif).
Donc, on a des patients qui n'ont pas besoin de ce médicaments et qui de toute manière n'en bénéficieront pas puisque leur diabète a ...euh...est-ce qu'il a toujours été déséquilibré ?
Là, on touche à un autre problème. Si UKPDS a raison, un des critères d'inclusion dans un étude doit être à la fois l'HbA1c à l'inclusion mais également la moyenne d'HbA1c des 10 dernières années. Or, je remarqué que peu d'études depuis 2008 le faisaient. Mais ce n'est qu'un avis perso très tatillon je l'admets. De toute manière vous voyez ce que je veux dire. Ce n'est pas le même patient, celui qui a toujours été <7% et là, paf, pas de bol, 8%, par rapport a celui qui a toujours été à 8%. Et ce n'est pas tout d'avoir un diabète fort, s'il a déjà des complications, il va obligatoirement se compliquer davantage. C'est justement le sujet de l'étude : compter les complications macro-vasculaires qui vont arriver de toute manière.
On verra le détail du groupe plus tard, repassons au design.
Tout au long du suivi les médecins pourront avoir recours à d'autres thérapeutiques pour équilibrer diabète et tension artérielle.
Du coup, je me pose la question, parce que je ne suis pas statisticien et que je n'ai pas passé d'HDR (habilité à diriger des recherches). C'est là que je demande votre aide. Si on étudie un anti-diabétique oral qui est à la fois un diurétique et qu'on veut étudier ses effets, mais qu'en même temps on change le traitement anti diabétique et anti HTA, comment on fait ? est-ce que les résultats sont fiables ? c'est une réelle question que je pose, je n'arrive pas à bien comprendre ça.
Imaginons, le médocs est tellement efficace qu'on est obligé de réduire les autres ADO. Ok, là je peux comprendre. Inversement, le patient n'est pas assez bien équilibré donc on rajoute des médocs. J'imagine que dans le groupe placebo, on est obligé de rajouter davantage de médocs, puisque c'est un placebo, et qu'il est moins actif. J'en conclue qu'on étudie à la fin si on a ajouté moins de médocs dans le groupe Empa par rapport au groupe placebo.
En page 76 de l'annexe, on a effectivement présenté un tableau avec tous les médocs qui ont été rajouté après l'inclusion (bon, techniquement, après la 12° semaine du début du test).
Effectivement, 47% des patients dans le groupe placebo ont eu recours à un anti-HTA supplémentaire contre 40% dans le groupe Empa. Ok, mais j'aurais bien aimé savoir si c'est significatif. Pas vous ?
Et comme par hasard, le plus gros écart porte sur les diurétiques : 22% dans le groupe placebo contre 16% dans le groupe Empa. Là, ma curiosité est piquée. Pas la votre ? Pour les traitement anti-diabétiques, j'en parlerai plus tard.
Bon, donc, je résume : on prend des patients de plus de 60 ans en moyenne, obèses, avec une HbA1c à 8% en moyenne (donc potentiellement des patients déjà bien équilibrés mélangés avec des patients avec un diabète dégueulasse) et qui ont déjà des complications CV. On les suit pendant 2,6 ans en moyenne. En vrai, on attend que 691 patients aient un événement CV, on compte les blessés et on les range dans des boites :
primary outcome (critère primaire en français): ceux qui sont morts du coeur + ceux qui ont eu un infarctus ou un AVC mais qui n'en sont pas morts.
secondary outcome (critère secondaire) : critère primaire + hospitalisation pour angine instable.
Nous sommes donc bien d'accord que l'hospitalisation pour insuffisance cardiaque ne fait pas partie des critères principaux.
Après, ils précisent tout un tas de méthodes statistiques pour déterminer la non-infériorité voire la supériorité de leur médoc et honnêtement je n'y comprends rien.
RESULTATS
Ca y est, on rentre dans le plat de résistance. La page 5 nous fournit un superbe tableau avec tous les résultats.
Le critère primaire est positif ! le médicament a prouvé sa supériorité sur le placebo ! Wouhou !!! Je reformule : chez des patients diabétiques et à haut risque CV, faire baisser l'HbA1c et la TA réduit le risque global d'événements CV. Pas de quoi tomber de sa chaise. Vous allez me dire : oui, mais aucun médicament anti-diabétique ne l'avait montré avant. C'est vrai, mais je vais vous répondre que plein d'anti HTA l'ont prouvé avant. Même chez le diabétique.
UKPDS 38 (disponible ici) montre dès la 1° année un effet bénéfique d'une baisse de 10mmHg de TAS et 5mmHg de TAD sur à peu près tout, micro et macro-angiopathie.
Oui alors, si on veut être tatillon, c'est -10mmHg de TAS et pas -5mmHg comme dans EMPA-REG. Bon, ok. Mais ce qui est intéressant c'est que c'est indépendant de l'HbA1c. Et en plus, 50% avaient soit sulfamide, soit insuline, soit les 2, qui sont les médocs les plus "mortels" dans le diabète (j'en parlait plus haut dans l'introduction). Je vous l'accorde, on étudie l'effet de plein d'anti HTA et pas juste l'effet d'un diurétique. C'est vrai.
Cependant, le bénéfice est hallucinant ! -32% décès à 9 ans, -44% d'AVC, -37% de complications micro-vasculaires (ce n'est pas significatif pour l'infarctus seul).
Est-ce que l'effet diurétique de l'Empaglifozine n'a pas une plus grosse part à jouer dans le bénéfice CV que l'effet anti-diabétique ?
Si je poursuis l'analyse des résultats :
Significatif (sans précision "non infériorité" ou "supériorité", juste "significatif") pour décès toutes causes et décès de causes cardio-vasculaire. Bon, ok, c'est bien. Mais encore une fois, n'est-ce pas l'effet diurétique plus qu'anti-diabétique ?
Non significatif pour infarctus non fatal, AVC non fatal, (ni fatal d'ailleurs) et hospit pour angine instable (c'est con, c'est le critère secondaire).
Par contre, super significatif pour la réduction d'hospit pour insuffisance cardiaque. Du coup, il semblerait que le médicament ne soit pas efficace pour toutes les choses qu'on lui avait demandé : il réduit la mortalité globale mais quand on prend chaque critère CV un par un, il n'est pas si efficace.
Concernant l'effet anti-diabétique pur, il a été étudié pendant 12 semaines sans changer/rajouter/retirer de médicament. Donc assez fiable finalement. Page 8, on a une jolie courbe de baisse d'HbA1c commentée dans le texte un peu en dessous.
Nous avons une jolie baisse de 0,5% d'HbA1c à 12 semaines. Puis avec la correction des traitement, on se retrouve à 208 semaines (3,5 ans) avec une différence de -0,24%...bof bof moi j'ai envie de dire. Mais en même temps, ça veut aussi dire que les investigateurs ont fait de leur mieux pour ne pas négliger leurs patients et les traiter au mieux. C'est à dire que tout le monde est stabilisé à 8%. Existe-t-il une différence significative d'HbA1c entre le début et la fin du test ?
Oui et non, expliqué à cheval entre les pages 10 et 11, le groupe Empa avait une HbA1c moyenne de 7,81% à la semaine 206 contre 8,16% dans le groupe placebo mais ils ne disent pas si la différence est significative.
Est-ce qu'il existe une différence significative de thérapeutique en fin de test entre les 2 groupes ?
Je constate que le groupe placebo a eu beaucoup plus de traitements anti-diabétiques que le groupe Empa (heureusement). Mais quand même, je constate surtout que le choix s'est porté essentiellement sur l'insuline (11% contre 5,8%), les sulfamides (7% contre 3,8%) qui ont toutes deux montré une surmortalité chez les diabétiques et les gliptines (8,3 contre 5,6%), molécules dont les études récentes n'ont pas montré de bénéfice CV mais pas de surmortalité non plus.
Oh allez, je suis un peu méchant. C'est vrai qu'UKPDS 49 (cf ici) nous fournit à peu près les mêmes courbes pour la metformine et les sulfamides.
On voit qu'on revient à peu près au point de départ au bout de 8 ans sous metformine et environ 5 ans sous sulfamide. Ok, Empaglifozine a le droit de ne plus être aussi efficace que ça au bout de 3,5 ans, ça va, je lui autorise.
On continue avec les résultats. Page 10, les auteurs nous racontent tous les effets annexes du médicament, il y en a un tas :
Perte de poids (en vrai -1kg sur 3 ans), diminution du tour de taille (en vrai, -1cm), baisse de l'acide urique, de la TAS (-5mmHg) et de la TAD (-3mmHg) et une petite augmentation de LDL et HDL. Oui, oui, ça fait tout ça. On y reviendra. En précisant tout de même qu'il n'y avait pas de différence significative de traitement par statine dans les 2 groupes. Encore heureux ! si on étudie la prévention secondaire CV sans tenir compte des statines ça serait très louche.
La suite.
En page 6, on peut voir que les événements CV étaient quasiment identiques dans le groupe à TA élevée (>140/90) par rapport au groupe TA normale (<140/90) et même tendance à moins de décès CV dans le groupe à TA élevée. On peut aussi voir qu'il y a moins d'événements CV dans le groupe HbA1c <8,5%. Tant mieux.
Mais existe-t-il une correlation entre baisse d'HbA1c et baisse de mortalité/événements CV ? idem avec la TA ?
Je n'ai pas retrouvé d'établissement entre la baisse d'HbA1c directement corrélée avec la baisse d'événements CV. Par contre, en page 59 (annexe), j'ai trouvé une analyse en régression de Cox.
Alors, non, il n'y a pas de différence d'événements CV dans les groupes traités/pas traités et TA élevée/normale, p=0,65.
Par contre, il y a bien une différence d'homogénéité si on traite vs si ne traite pas. MAIS ! dans le groupe HbA1c <8,5% c'est plutôt favorable, et dans le groupe >8,5% c'est défavorable (HR 1,14). Ce qui veut dire que pour un patient dont l'HbA1c dépasse 8,5%, à très haut risque cardiovasculaire, il ne faut pas traiter sinon on augmente le risque.
Du coup, je me dis : est-ce qu'il n'aurait pas fallu faire une analyse en sous groupe ? par exemple, groupe HbA1c <7% traité vs pas traité, 7 à 8%, 8 à 9% >9% et faire des mesures précises. Je ne sais, c'est encore une fois, une question que je soulève.
Pour résumer, si je me réfère aux petits points rouges à droite du trait gris (ou pile dessus), l'Empaglifozine ne présente aucun intérêt chez les moins de 65 ans, aucun intérêt chez l’afro-americain, aucun intérêt quand l’HbA1c est >8,5%, aucun intérêt chez l’obèse, aucun intérêt pour des clairances >90ml/mn (qui doivent éliminer le sucre normalement j’imagine). Ca limite un peu.
DISCUSSION
Oui, c'est vrai, l'Empaglifozine réduit le critère primaire associant décès de cause cardiovasculaire + AVC ou IDM non fatals. C'est vrai. Ca réduit aussi la mortalité toute cause. MAIS ! nous l'avons vu, ce n'est pas significatif si on prend IDM non fatal et AVC non fatal individuellement. C'est d'ailleurs presque une traduction littérale du début de leur chapitre. Ok, mais pourquoi ?
Ils disent que tous les patients ont bien été traités (aucun animal n'a été blessé pendant le tournage) avec les thérapeutiques adaptées et les recommandations en vigueur. Soit.
En fin de discussion, ils disent que "le mécanisme derrière le bénéfice cardiovasculaire de l'Empaglifozine est multidimensionnel" et citent une pelletée de pistes possibles pour expliquer l'efficacité du médicament. Et juste après ils balancent qu'ils ont des "preuves solides pour la réduction du risque cardiovasculaire". WTF ?
Si je reformule : notre médoc il est beau, il est fort, il empêche de mourir. Comment ? on ne sait pas, plein de trucs possibles, mais ce dont nous sommes sûrs, c'est qu'il le fait (pause dramatique) et qu'il le fait fort."
J'ai gentiment l'impression que les auteurs sont en train de se foutre de ma gueule. Pas vous ?
MA CONCLUSION A MOI
Je fais une remarque générale sur toutes les études de diabétologie en général : pourquoi est-ce aussi difficile de montrer un bénéfice CV en rapport avec la baisse d'HbA1c ? plusieurs hypothèses :
- l'HbA1c n'est pas un marqueur fiable. Certes, cf Dr Agibus et son excellent billet. Ca pourrait faire l'objet d'un billet entier.
- il y a d'autres déterminants plus importants que la baisse de la glycémie. C'est vrai, notamment l'alimentation, l'activité physique, la perte de poids, la baisse de la tension artérielle, l'aspirine, les statines...le diabète est une maladie complexe, globale, multifactorielle dont le sucre n'est qu'un élément. A ce propos, cf cette étude avec un petit effectif qui montre des résultats prodigieux sans rien faire d'exceptionnel, juste bien traiter la TA, statine, aspirine, tout ça : Steno-2.
- peut-être que les thérapeutiques sont délétères sur le coeur en même temps que bénéfiques sur la glycémie. C'est très probablement vrai.
- peut-être que les effets se mesurent à très long terme.
Bah oui putain !!!! si tu traites un patient pour n'importe quoi tu vas pas surveiller qu'il ne meurt pas dans l'année ! Que ce soit pour la TA, le cholestérol ou le diabète, il faut se donner le temps pour voir un effet. Surtout quand, avec toutes les recommandations et les nouvelles molécules, l'amélioration du dépistage et de la prévention, un patient actuel sous statine, aspirine, anti HTA a un risque global franchement diminué. Donc on veut isoler seulement l'effet de la baisse de la glycémie sur l'ensemble de son risque CV, ça prend du temps !!!
Bordel, pour moi, ça me semble évident ! Mais on ne construit pas la médecine sur des "évidences" mais des "preuves". UKPDS a mis 20 ans pour montrer (je ne dis pas "démontrer") un bénéfice CV à la baisse de l'HbA1c, pour des patients bien suivis sur tous les plans en ne faisant varier QUE l'HbA1c.
Alors ça me chagrine un peu qu'on demande aux gliptines de "prouver" une "bénéfice cardiovasculaire" tout en sachant que c'est impossible (ou très improbable) à 5 ans ! laissez leur 20 ans ! Ah Ah Ah !
Mais surtout, ce qui m'alarme, c'est quand on y arrive ! et ici, en 3,5 ans !!!! quelle ruse a été utilisée pour accélérer la significativité ou la rendre plus visible ?
Je ne sais pas, je ne suis pas statisticien mais je me pose des questions : si on veut étudier l'effet d'un double association anti-diabétique/diurétique (qu'on veut vendre comme anti-diabétique) est-ce qu'il ne faut pas isoler l'effet anti-diabétique en le comparant vs diurétique plutôt que placebo ?
Inversement, si on veut étudier son impact CV en tant que diurétique, ne faut-il pas comparer vs anti-diabétique ?
En fin fond d'annexe, on obtient le détail des thérapeutiques en fin d'étude :
74% sont sous metformine, 48% sous insuline, 42% sous sulfamides, 11% sous gliptine, 4% sous Rosi ou Pioglitazones (molécules retirées en France) 3% sous analogue GLP-1.
29% sous monothérapie et 49% sous bi-thérapie.
80% ont un IEC ou un ARA2, 64% sous ß-bloquant, 42% sous diurétique, 33% sous inhibiteur calcique, 6% sous Spironolactone.
Malheureusement, on ne précise pas combien sont en bi, tri ou quadri thérapie.
Pour moi, je trouve très difficile d'extraire une information fiable sur cette molécule puisque ses 2 effets sont comparés à une flopée de molécules différents aux effets différents. Mais c'est mon humble avis et je me tourne vers vous pour savoir si je me trompe.
Je voudrais aussi soulever les 5 cas (sur 6000 patients) d'acido-cétose, 1 cas dans le groupe placebo et 4 cas dans le groupe Empaglifozine. Je trouve ça plus inquiétant que les nombreux cas d'infection uro-génitales logiques quand on pisse du sucre.
J'ai peur qu'à trop demander aux nouvelles molécules, à trop vouloir pousser pour les vendre, on fasse de la junk medecine, à la va-vite, à l'esbroufe, à l'annonce, au retentissant, sans prendre la mesure des faits tout simplement, sans prendre un peu de recul, sans temporiser. Voilà, c'est ça qui ne me plait pas avec cette étude : ça me parait trop rapide, trop tape-à-l'oeil. Mais je veux bien leur accorder le bénéfice du doute (innocent jusqu'a preuve du contraire) et voir l'avenir réservé à ce type de molécule.
Voilà, je soumets humblement mes réflexions à la communauté scientifique d'internet pour soulever mes propres incohérences, mes errements, mes erreurs, mes lacunes, mes raccourcis. J'ai réellement le soucis de comprendre, de prendre du recul avant de rejoindre la majorité de tous ceux qui encensent cette étude.
Avec mon plus profond respect confraternel.
Georges Zafran
PS : après avoir fini de rédiger cet article, je suis tombé sur ça, et ça me conforte : non je ne suis pas le seul à douter de la performance exceptionnelle de ce type de molécule
http://www.minerva-ebm.be/FR/Article/1088
PPS : oui, je sais, UKPDS a plein de défauts, ce n'est pas une étude thérapeutique d'intervention (pas au début en tout cas) mais une étude d'observation qui nous a apporté beaucoup de renseignements, discutables sans doute, mais au moins une base de travail.