lundi 27 février 2012

Médecine, cuisine et musique


Ce sont mes 3 passions. Elles se ressemble beaucoup plus qu’au premier regard et elles m’ont procuré les plus grand bonheurs de mon existence.

En première année de médecine, un des étudiant m’a fait écouter le deuxième album de Led Zep, intitulé à juste titre Led Zeppelin II. Le disque commence, avec en ouverture, le riff de guitare de Jimmy Page, envoutant, auquel s’ajoute parfaitement la puissante voix de Robert Plant. Je suis littéralement collé à mon pouf, les yeux grand ouverts et j’ai mon premier orgasme auriculaire (non, je n’ai pas eu le petit doigt dressé mais les oreilles complètement époustouflées).

Depuis, la musique m’a toujours accompagné : juste avant les examens, en courant, le matin au réveil en sifflant, sous la douche, dans les transports. Je recommande à tout le monde de passer sur son auto-radio Bohemian Rhapsody de Queen, de mettre le volume à fond, de chanter le plus fort possible et, au moment du solo de guitare, de secouer la tête de haut en bas et d’arrière en avant, au rythme de la batterie, avec un maximum de cheveux si possible. Le meilleur anti-dépresseur du monde avec le chocolat.

Deuxième orgasme auriculaire, Brassens, dont je parle ici.

Après ça, j’ai acheté une guitare et commencé à apprendre, petit à petit, seul dans ma chambre, à chanter le plus bas possible, par timidité, en n’assumant pas cette activité poétique, ce pur bonheur que j’envisageais uniquement en solitaire à l’époque.
Plus tard, bien plus tard, un soir de désœuvrement, j’ai sorti ma guitare et joué en public (rien à foutre, trop rebelle le mec). Quand j’ai vu une, puis deux, puis quatre, puis huit personne m’écouter et demander poliment « encore »…ça m’a fait chaud au cœur, et j’ai continué à jouer, pour moi avant tout et pour ceux à qui ça peut faire plaisir.

Alors je prends une chanson que j’aime, je vais chercher les partitions et je travaille. Mais souvent : « hey, mais cet accord, il va pas bien…et puis, à cet endroit là, c’est mieux. Et si j’essaye cet accord là plutôt…oh ! ça sonne vachement mieux ! et si je joue plutôt comme ça ?... ». 
Mais dès que je m’engage à improviser des fioritures, à faire plus compliqué que nécessaire, ça se casse la gueule.
Au final, c’est toujours la même chanson, on la reconnaît, mais à ma sauce, avec des petits bouts de mes émotions dedans et je préfère jouer comme ça, même si j’aime toujours autant l’originale. Les deux versions se complètent et vivent leur vie de façon presque indépendantes, comme deux sœurs jumelles hétérozygotes (qui ne sont pas nées du même œuf).

A ce propos, je vous encourage fortement à aller écouter ou ré-écouter toutes les reprises que vous connaissez, toutes les nouvelles interprétations de chansons ultra-connues par des interprètes tout aussi connus mais… uniques, dépassant parfois l’originale. Chacune possède son identité propre, son âme.

Mais pour arriver à rendre justice à une chanson, il y a derrière de nombreuses heures de travail, de peines, de douleurs dans les doigts et les oreilles (surtout celles des autres), de lassitude et d’abandon. La musique, c’est exigent.


Je collectionne les livres de cuisine, j’adore ça. A un moment de ma vie, je lisais le titre de recettes et le nom me faisait rêver, je m’endormais avec le sourire aux lèvres (et un peu de salive aussi). Dedans, j’y pioche des idées, j’exécute une recette comme Harry Potter réaliserait une potion. Elles ressemblent à des formules magiques du bonheur : 
Thermostat à 8 pendant 45mn
Touiller pendant 15mn, rajouter un peu de sel mais pas trop
Un peu de cumin par ci, un zeste de citron par là,
Faire cuire jusqu’à obtention de la couleur adéquate…

C’est simple et mystérieux à la fois : « ça veut dire quoi un peu mais pas trop ? »

Je recommande à tout le monde de tremper un doigt léché dans un sachet de sucre pétillant et le relécher de nouveau ; de soulever le couvercle d’une ratatouille avec une pointe de raz-el-hanout, d’inspirer fort pour s’en imprégner jusqu’au dernier neurone disponible ; de se détacher le bouton du pantalon pour pouvoir finir l’assiette de pommes de terres sautées avec magret de canard aux pêches préparés par mamie ; de goûter un chocolat au poivre rose dans les doigts de l’aimé(e)…chacun a sa madeleine de Proust.

Très souvent, je recopie à l’identique la recette mais…il y a comme une certaine insatisfaction. Alors, la deuxième fois, je change un peu, j’intervertis quelques ingrédients, j’improvise, j’innove.
Parfois, le résultat est fulgurant ; d’autre fois, c’est une catastrophe culinaire. Mais j’essaye. De rares fois, je respecte la recette à la lettre et le résultat est inexplicablement abominable. J’ai du rater une étape quelque part mais j’ai beau chercher, je ne vois pas où. De temps en temps, je me donne du mal, je donne le meilleur de moi-même et mes convives n’aiment pas. Très souvent, quand j’essaye des trucs, qui je tente de rajouter de la complexité, c’est de trop. La cuisine, c’est parfois ingrat.

Mais voir le sourire de mes amis, les yeux fermés, vider un plat en cinq minutes sans rien dire parce qu’il n’y a plus de place pour les mots, seul le plaisir indicible du bon, c’est ma plus grande satisfaction. 


La médecine est un art qui recouvre tout cela. Comme la musique et la cuisine, c’est exigent, pénible, ingrat, fastidieux, douloureux…

Mamie démente qui me prend dans ses bras et me colle le plus gros bisous possible sur la joue avec le sourire banane d’une oreille à l’autre (avec et sans les dents)

Enfant casse-cou qui affirme après suture : « j’ai même pas eu mal ! »

Parent inquiet qui dit : « merci docteur »

Collègue têtu qui finit par dire : « t’avais raison »

Résultat biologique ou radiologique qui revient avec le diagnostic évoqué

Patient en fin de vie qui me prend la main et qui sourit


Ok, parfois quand je prends ma guitare, c’est moche, et il vaudrait mieux que j’arrête. Mais je ne fais de mal qu’aux oreilles des autres.
Ok, parfois quand je cuisine, c’est dégueulasse et il faut tout jeter directement à la poubelle. Mais je ne fais de mal qu’aux crève-la-faim qui auraient été ravis de manger mon gâteau raté.
Ok, parfois je commets des erreurs diagnostiques, du moins, j’aurais pu mieux prendre en charge un patient, je passe à côté de certaines choses, mieux écouter…et je m’en veux, je me remets en question, je m’approfondis et je me dis que la prochaine, je ferai mieux. Comme quand je rate un gâteau ou une chanson.  

J’envisage la médecine comme la musique et la cuisine : toujours donner le meilleur de soi par amour de l’autre, et rester simple.  

samedi 25 février 2012

Mon année sabbatique 2

Les événements relatés ici suivent directement les événements d'ici.

Je viens de finir une semaine de remplacements, j'ai le sentiment d'avoir fait du bon boulot, j'ai travaillé une semaine et gagné autant qu'en un mois de salaire d'interne...où est l'erreur ?
J'ai passé une semaine de vacances à marcher dans les montagnes du Maroc, très très bien et je suis en train de me préparer mon prochain voyage. Très certainement en janvier.

Comme je ne suis pas de 8h à 22h à faire l'esclave, j'ai du temps à consacrer aux 500 dossiers de mon recueil de données. Je m'organise bien :
1 semaine de remplacement par mois (voire 2 quand j'ai des poussées de vénalité)
1 semaine de glande (que c'est bon...)
1 à 2 semaines de recueil de données, de 9h le matin à 11h, puis je vais courir, puis j'y retourne de 14h à 16h. Après un internant de merde, il est hors de question que je me surmène.

Cependant, vu que j'ai du temps, j'en profite pour revoir les amis que je n'ai pas vu depuis longtemps, certains 4 ans (depuis le début de mon internat) : 
"Salut ! ça fait longtemps ! qu'est-ce que tu deviens ? pour le nouvel an ? rien...ok ! on se voit le 31 décembre alors ! tu me raconteras tout ça. A plus !"

Vous vous rappelez de Wonder-Externe ? Elle s'appelle Emilie. Après son concours, elle est partie faire sa spécialité sur l'ile de la Réunion. Loin...Mais nous étions restés en contact, régulièrement, une fois tous les 3 ou 6 mois, on s'écrivait pour se donner des nouvelles. Début décembre, elle m'appelle :
"_ Salut Georges ! je fais un tour en métropole et je serai chez toi vendredi soir. Ça te dit qu'on aille au resto ensemble ?
_ Carrément !"

Je ne lui ai pas dit que c'était pile le jour de mon anniversaire et que j'ai décommandé à la dernière minute une sortie organisée avec mes potes, rien que pour la voir. Mais elle aussi avait une surprise à me réserver.

J'arrive au resto, en premier, une table pour 4. C'est bizarre. Elle ne va pas me présenter ses parents quand même ! Non, pas ses parents. Elle arrive avec un homme à chaque bras, un jeune musclé, un moins jeune, l'âge d'être son père.
"_ Je te présente 2 personnes qui comptent beaucoup pour moi : Bastien, mon homme et Victor, mon oncle. Je vous présente Georges, aussi quelqu'un qui compte beaucoup pour moi."

On se sert les mains, on s'assoit, on regarde le menu dans un silence un peu gêné. Au moment de passer commande, Emilie regarde son oncle et ils signent. Le silence n'était pas gêné : Victor est mal entendant. Le mystère est éclairci : voilà comment elle a appris à signer !
Je suis fasciné, subjugué : je veux apprendre !
"Ok, pendant 15mn, il est interdit de parler mais il est obligatoire de communiquer avec Victor.
_ Comment on va faire ? demandent Bastien et moi.
_ Si vous avez un truc à dire ou à répondre, mimez-le."

Alors on a passé 15 minutes à mimer, à se marrer, à demander comment on dit un mot en LSF et nous avons continué comme ça pendant tout le repas. Emilie faisait la traduction, forcément, elle se servait de ses deux mains et elle parlait en même temps. Elle n'a pas beaucoup mangé la pauvre. Au moment de se quitter :
"_ Voilà tu connais les 2 hommes qui comptent le plus dans ma vie, à part mon père et toi.
_ Ah bon ? merci, je suis très touché. Mais en quel honneur ?
_ Tu m'as remonté le moral au moment où j'en avais le plus besoin, juste après le concours et ma rupture. Je tenais à te remercier."

Je suis resté sans voix. J'ai été très content de la voir heureuse, bizarrement pas jaloux, simplement heureux de voir rayonner une personne, de voir son bonheur devenir contagieux. C'est rare et c'est beau. Je suis reparti de cette soirée avec le sourire, le cœur léger et des crampes aux doigts. 


En attendant le réveillon, je prépare mes prochaines vacances...je veux aller dans une destination de film, un truc de taré, à la Indiana Jones...il est allé où ? Amérique du Sud ? trop vaste. L'Inde ? trop épicé. La Jordanie ?
Petra, le désert, la mer Morte, Amman la blanche...Google, Air France, Billet, carte bleue...check !


Arrive le réveillon de la nouvelle année, de mon année. L'année qui arrive m'appartiendra pleinement ! Je vais réaliser tous mes rêves et boucler cette putain de thèse ! Je vais devenir Docteur et si c'est pas trop demander, je vais rencontrer la femme de ma vie !

Je retrouve les amis dans un appartement parisien, la musique suffisamment forte pour avoir envie de danser et suffisamment basse pour pouvoir parler, le volume parfait. Une jeune fille m'accoste (très jeune, genre 18 ans) :
"_ Salut ! ça va ?
_ Bien et toi ?
_ Très bien. Tu es venu par qui ?
_ Euh...
_ Qui t'as invité ? je ne te connais pas.
_ C'est lui là, avec les lentilles sur les yeux.
_ Ah ok. Tu t'appelles comment ?
_ Georges et toi ?
_ Guenièvre Lotus."

Personne ne se présente jamais avec son nom de famille en soirée. Personne ! Mais là, par le plus grand des hasards, je connaissais ce nom de famille, ça ne s'oublie pas.

"_ Lotus...t'aurais pas une grande sœur ?
_ Si ! comment tu sais ?
_ Et elle ne s’appellerait pas Murielle par hasard ?
_ Si !!!
Elle ne me connait pas, je ne la connais pas et je lui ressors sa généalogie. Elle me regarde avec des yeux comme des soucoupes.
_ Héhé. Tu passeras le bonjour à ta grande sœur de ma part.
_ Tu le feras toi même, elle est sur Facebook."

Elle est partie, l'air un peu vexée et je ne l'ai pas revue de la soirée.

3 jours plus tard, je recherche Murielle sur Facebook. Ça fait 10 ans qu'on ne s'est pas vus. Petit flashback :

Il y a 10 ans, dans une année de transition comme celle-ci, entre ma première et ma deuxième année de médecine, je suis parti en vacances dans le Bénélux, à faire le tour des auberges de jeunesses : 3 jours à Bruxelles, 3 jours à Luxembourg et 3 jours à Amsterdam. Malheureusement j'ai du écourter mon voyage à cause des résultats : j'étais reçu en médecine, ce qui n'était pas prévu, et les cours commençaient avant la fin de mon voyage...

A Luxembourg city, j'ai rencontré une jolie jeune fille, avec de longs cheveux, de grands yeux pétillants et beaucoup de malice. On s'est embrassés mais au moment de sortir en boite :
"_ Je ne peux pas.
_ Mince, pourquoi ?
_ Je suis mineure.
_ Arrête ! à t'entendre parler, ça se voit que tu as 20 ans comme moi.
_ Regardes ma carte d'identité." C'est comme ça que j'ai retenu son nom de famille.

En effet, malgré son corps de déesse, le petit ange Murielle avait 15 ans...On a finit la soirée devant une glace, à parler littérature (comment a-t-elle pu lire autant à son âge ?). Je n'ai pas eu de nouvelles pendant 10 ans, jusqu'au réveillon...


J'écris :
"Salut, je ne sais pas si tu rappelles de moi. Ça fait très longtemps. J'ai croisé ta sœur par hasard à une soirée et j'ai repensé à toi. Alors j'étais curieux de savoir ce que tu devenais depuis tout ce temps. A bientôt."

Je l'imaginais avec ses longs cheveux...est-ce qu'elle avait changé ? toujours aussi belle ? elle a quoi maintenant...25 ans ?

J'ai eu rapidement la réponse à toutes mes questions :
"Salut, bien sûr que je me rappelle de toi ! Je vis à Liège en Belgique, je suis étudiante en histoire de l'art. Et toi ? que deviens-tu ?"

Avec sa réponse, j'ai pu accéder à ses photos de profil. Rien à voir avec la petite adolescente de jadis. Elle a les cheveux très courts, teints en rose clair, 1m75 et toujours ses yeux verts pétillants. Elle n'a plus l'air d'un petit ange, elle a l'air d'une princesse.

Au début, on s'écrivait une fois par semaine, puis 2, puis 3, puis tous les jours et nos échanges nous manquaient quand l'un des deux ne répondait pas. Un jour, elle m'écrit :
"_ C'est dommage qu'on habite si loin, ça m'aurait bien fait plaisir de te revoir.
_ Ah bon ? c'est vrai ? tu as envie de me voir ?
_ Oui bien sûr !
_ Ce soir, ça t'irait ?"

L'avantage d'être en année sabbatique, c'est qu'il n'y a pas d'impératif de jour. Et l'avantage de remplacer, c'est la paye. J'ai réservé en quatrième vitesse et sauté dans le premier train pour Liège. Le soir même, les retrouvailles se passaient devant des pèkèts à la liégeoise et 2 bières trappistes.  Chacun a résumé sa vie en 20 minutes et on a enchainé sur le présent.

"_ Et les amours ? tu as un mec ?
_ Oui, mais...ça va pas fort en ce moment.
_ Ah bon ?
_ Non...je sais pas trop si je peux te dire ça mais...ça fait 6 mois qu'on n'a pas couché ensemble.
Je manque m'étouffer avec ma bière.
_ Ah oui, c'est vachement intime ces retrouvailles, dis-je en mouchant la mousse que j'avais dans le nez. 
_ Oui, c'est vrai, mais je me sens en confiance avec toi. J'ai le sentiment de pouvoir tout te dire.
_ Mon avis : le sexe n'est qu'un symptôme, il y a autre chose qui ne va pas entre vous."

Elle me re-raconte son histoire mais du point de vue sentimental cette fois-ci. Une tout autre version.

"_ Tu dors où ce soir ?
_ Euh...ben...je suis un peu parti précipitamment ce matin, je n'ai rien prévu. Tu n'aurais pas l'adresse d'un hôtel pas loin ?
_ Pas loin, je te le déconseille, c'est des bordels. Viens chez moi !"

En tout bien tout honneur, je suis allé dormir chez une fille magnifique que je n'avais pas revue depuis 10 ans et avec qui ça va pas fort dans son couple et avec qui il y a déjà eu une histoire. Je suis pas fou, il y avait un gyrophare orange allumé dans ma tête. Attention Georges, tu marches sur des œufs, ne fais pas de conneries !

"Toi tu dors dans le canapé dans le salon et moi dans ma chambre. Tu laisses bien la porte fermée parce que je dors nue."

J'ai essayé de dormir tant bien que mal, mais j'y suis arrivé.


Le lendemain matin, elle était en train de siroter un petit thé, dans son fauteuil, face à moi.
"_ Tu fais quoi ?
_ Je te regardais dormir. Tu es très beau quand tu dors.
_ Seulement quand je dors ?
Elle a ri, a posé sa tasse et m'a embrassé.
_ Ohla ! doucement ! pour des raisons qui seraient trop longues à t'expliquer (cf ici) je ne suis pas un briseur de couple.
_ Mais tu en as envie, je le sais, ça se voit. Dit-elle en regardant un certain pli apparu sous la couverture.
_ Oui mais non, pas comme ça. Tant qu'il y aura un homme entre nous deux, il ne se passera rien.
_ Ok, mais je ne vais pas plaquer mon mec sans un minimum d'échantillon de ce que j'ai en face de moi."

Là, on a commencé à s'enlacer, se passer les mains sur l'épaule, le dos, toutes ces courbures si belles à regarder et encore plus douces à toucher, d'autant plus douces qu'elles sont défendues...mais sans s'embrasser. Puis nous avons roulé l'un sur l'autre, elle sur moi, à respirer mon cou, moi à respirer son corsage. J'ai voulu retourner la situation, passer sur elle, nous sommes tombés du canapé. Nous avons ri. Nous nous sommes relevés, un peu désorientés de ce qui était en train de se passer.

On s'est regardé au plus profond, pour sonder ce que l'autre avait dans le cœur, nous nous sommes rués l'un sur l'autre, enlacés de nouveau, moi glissant une main vers sa cuisse droite, la remontant vers moi, mon bras droit sous son épaule gauche, je l'ai soulevée et plaquée contre le mur et effleurant de mes lèvres son cou...toujours sans s'embrasser. 
 
3 jours plus tard, elle quittait son homme. 3 semaines plus tard, nous nous retrouvions à Paris pour visiter les musées et aller au cinéma. On n'a pas beaucoup vu de toiles ce weekend là.

Avant de partir en Jordanie, Murielle m'a donné un de ses livres préférés (qui est devenu un des miens) :
"C'est une histoire d'amour atypique mais formidable. J'espère que ça te plaira."
C'était "Tours et détours de la vilaine fille" de Mario Vargas Llosa, devenu Prix Nobel de littérature un an plus tard.

En Jordanie, pendant que je le lisais, cette histoire d'amour me faisait penser à l'amour en général, aux relations, à ce que je voulais vivre comme histoire fabuleuse cette année. Et le premier nom qui est sorti de mes élans sentimentaux : Emilie. Ah merde...Georges, t'es en train de faire une connerie.

Pfff il sert à rien le gyrophare dans ma tête...

To be continued... (ici)

vendredi 24 février 2012

Réunionite

Définition : nom féminin malheureusement souvent pluriel, réaction inflammatoire allergique, pustuleuse, prurigineuse, nauséeuse et gerbative à un excès de réunions en tout genre. A ne pas confondre avec le syndrome de manque de l'ile de la Réunion...rien à voir.

Il était vraiment temps que je parte. L'histoire se situe entre "thèse 7" et "mon année sabbatique 1".

Un de mes premiers stages d'externe, je l'ai fait dans un service d'endocrinologie, les hormones tout ça. Un jour, en fouillant dans un tiroir, j'ai trouvé un collier jaune et bleu. J'essaye de me le mettre autour du cou, sans succès. Je demande à une infirmière :
"_ C'est quoi ce collier ?
_ C'est pas un collier, c'est un orchidomètre.
_ Un quoi ?
_ Ca sert à mesurer la taille des testicules.
J'ai immédiatement relaché l'objet.
_ En jaune, ça veut dire taille post-pubère. En bleue, taille impubère."
Quand je pense que je l'ai collé à mes oreilles l'instant d'avant...Vous allez voir, c'est important pour la suite.


Les 2 dernières semaines de mon internat, j'ai eu droit à 10 réunions successives. 10 !!! La machine administrative hospitalière nécessite le regroupement de médecins et de personnel médical pour parler de différentes situations, c'est normal et nécessaire. Grâce à ça, un médecin seul et isolé n'aura pas droit de vie ou de mort sur un patient. Il y a des réunions de concertation pluri-disciplinaire (RCP) où, comme son nom l'indique, des médecins de plusieurs spécialités discutent les cas de Mme Findevie et M. Casentlesapin. Et c'est une bonne chose. Mais parfois, la machine s'emballe. Et malheureusement, de temps en temps, tout me tombe sur la gueule au même moment.

Ca arrive sournoisement, doucement, en catimini.

Ca commence par une réunion exceptionnelle, originale, ponctuelle, à laquelle il est normal d'être convié (une fois n'est pas coutume). Alors pour ne pas cracher sur le privilège de recevoir Pr Machin de Paris, on doit cesser toute activité dans le service à 14h et se rendre à la salle de staff.

En général, ça ne doit durer qu'une heure, mais ça déborde toujours. A 17h, je retourne dans le service pour voir mes 3 ou 4 entrées de l'après-midi qui ont gentiment patienté (les pauvres) et je vais encore finir à 22h.

Là dessus, Micheline m'appelle :
"_ Est-ce que tu peux me rendre un immense service s'il te plait Georges ?
_ Tu sais bien que je ne peux rien te refuser.
_ Est-ce que tu pourrais aller à la commission d'adéquation des postes d'internes ? c'est demain après-midi.
_ Euh...pourquoi je ne peux rien te refuser déjà ?
_ Parce que grâce à moi t'arrêtes pas d'embaler.
_ Ah bon ? c'est même pas vrai !
_ Il y a eu Yolanda, MilèneNadine, Liselotte et ...
_ Bon ok ça va, j'irai."

Pour ceux qui ne connaissent pas ou qui ne savent pas : un hôpital fonctionne grâce à ses internes. Sans interne, pas d'urgences, pas de médecin dans les couloirs de l'hôpital, pas de prescription. Sauf qu'on n'est pas encore Docteur, alors pour l'administration, on compte pour du beurre, comme "étudiants". Ca leur permet de nous payer 3 fois rien en nous faisant bosser 3 fois plus. Les lits des chambres de garde sont les vieux lits trop pourris pour les patients, avec le matelat creux en son centre et des grincements à chaque mouvement, hyper pratique pour dormir. Les chambres de garde elles-mêmes ont la peinture (vieille de 30 ans) qui se décolle des murs, les robinets qui fuient et des cafards dans le faux-plafond.

Nous les internes sommes la 5° roue du carrosse. Alors pour rappeler qu'on existe, il y a une commission où on a la liste des internes qui arrivent au semestre prochain et la liste des lieux où ces internes peuvent effectuer leur stage. La confrontation des 2 listes montre bien qu'il y a un problème : trop d'internes, pas assez de stages. Les internes désignent donc un représentant qui va taper du poing sur la table pour quémander l'ouverture de postes.

C'était Micheline notre représentante. Là, demain, elle ne pouvait pas. C'est moi qui suis allé taper du poing sur la table. Ce semestre là, l'hôpital n'a ouvert que 4 postes et tous les autres internes sont allés en périphérie. Je ne sais pas taper très fort du poing.

Par dessus, s'est rajoutée une réunion mensuelle, pour discuter de cas de cancérologie complexe, en visio-conférence avec Paris.
"_ Ah au fait Georges, c'est bien toi qui t'étais occupé de Mme Tumeur ?
_ Non.
_ C'est pas grave. Est-ce que tu peux la présenter demain au staff de cancéro ?
_ Euh...
_ Surtout n'oublie pas, il nous faut son compte-rendu opératoire d'il y a 5 ans, les résultats de tous les scanners qu'elle a passé depuis et toutes les chimiothérapies successives qu'elle a eu chez nous. Tu synthétises tout ça sur un diaporama de 2 minutes et ça suffira. Merci.
_ ..."

Ok, donc, vous ne voulez vraiment pas que je dorme.

Le lendemain, après avoir fouillé pendant 2 heures dans les 3 dossiers gros comme des annuaires, j'assiste à la réunion, je commence à parler du dossier de la patiente, le médecin qui m'a confié le boulot m'interrompt toutes les 30 secondes et au bout de 2mn, avant la fin de mon diaporama. Paris nous préviens :
"Bon, nous allons devoir y aller, on a une réunion importante. On finit tout de suite et on reparlera de votre patiente la prochaine fois. Merci à bientôt."

C'est vraiment frustrant.

Et comme par hasard, comme si ça ne suffisait pas, j'ai eu droit à une réunion annuelle : le bilan d'activité du service, celle où les chefs présentent les chiffres, le nombre de patients vus, combien ils ont coûté au service, combien ils ont rapporté à l'hôpital, pour pouvoir négocier l'ouverture de postes de personnel supplémentaire. C'est écoeurant de cynisme. Seule la logique comptable a de l'importance. On ne parle pas de qualité de soin, de qualité de vie, de guérison. On parle de production de soin, d'efficience, de rentabilité. Je comprends que ce soit nécessaire, la santé a un coût. Et laisser la santé uniquement dans les mains des comptables serait une abomination. Mais quand les médecins rendent des rapports de comptabilité, je crois que c'est pire.


Et puis il y a les réunions de service hebdomadaires, celles auxquelles on s'était habitué, où plusieurs représentants de la même spécialité se masturbent intellectuellement en cercle autour d'une table, en public, devant une ribambelle d'externes et d'internes (les pauvres) et où l'éjaculation cérébrale, pudiquement appelé "compte-rendu de staff" est recrachée suavement par la bouche du Professeur (celui qui a la plus grosse) dans l'oreille d'une secrétaire via ustensile interposé (un dictaphone). En théorie, c'est lors de ces staff que le Professeur dispense son savoir à ses ouailles. En pratique, les externes payent les croissants, distribuent le café et se taisent.

En vérité, c'est un show d'auto promo, organisé par le Professeur et à destination du Professeur. Il y fait d'ailleurs souvent démonstration de son humour douteux et manifeste, par moyens plus ou moins ostentatoires, que c'est lui le patron.

Exemple :
"_ Mme Poil, vient pour hirsutisme idiopathique (si vous ne savez pas ce que c'est, ça veut dire qu'elle a des poils partout et allez voir le film de Michel Gondry "Human Nature"). Malheureusement, comme la date de son hospitalisation a tardé, elle s'est tout rasé avant de venir et était très déçue de ne pas pouvoir vous les montrer.
_ Ah lala, encore une qui rêve de me montrer ses poils."

Voilà, vous voyez le genre.

Comme c'était la dernière réunion à laquelle j'étais obligé d'assister, je me suis permis de me lacher. Au bout de 2 heures de staff, généralement, tout le monde s'endort, même le Grand Professeur. J'en ai profité pour réveiller brutalement tout le monde :
"_ M. Pasdenfant qui vient pour infertilité. Lors de l'examen génital, Monsieur avait les couilles bleues.
_ QUOI ?!?!
_ Oui, à l'orchidomètre, ses testicules étaient de la même taille que les boules bleues du collier."

Je jubilais intérieurement, futilement bien sûr. Je me suis fait engueuler parce que "couille" n'est pas un terme médical et "bleue" n'est pas un diagnostic. Mais une fois de temps en temps, faire preuve de finesse dans ce monde de pesanteur, ça soulage.

jeudi 23 février 2012

Mon année sabbatique 1

Les événements que je vais relater ici se déroulent entre "Thèse 7" et "Thèse 8". C'est un spin-off en quelque sorte (pour les habitués des séries télé).

Je résume un peu la fin de mon internat : 2 semestres en périphérie, très bien, j'avais une vie. Puis 4 semestres en CHU où je n'avais pas assez de temps pour dormir. Suivis de 2 semestres en périphérie où il fallait que je fasse le recueil de données pour ma thèse.
En théorie, et si tout s'était bien passé, j'aurais du soutenir ma thèse en fin de dernier semestre et enchainer avec 2 ans de poste de chef de clinique au CHU, mais dans la vie, on ne fait pas toujours comme on veut. Comme dit le proverbe : "Si tu veux faire rire Dieu, fais des plans...". Rien ne se passe comme prévu (sauf ma soutenance de thèse, mais ça, c'est une autre histoire, j'en parlerai plus tard). En l'occurrence, Dieu, c'est mon directeur de thèse, Pr A, et il n'a pas le sens de l'humour.

Nous sommes fin octobre, à un jour de mon dernier jour en tant qu'interne. Je n'ai pas de poste prévu au CHU, pas de source de revenus stable et encore moins de date de soutenance de thèse. La seule perspective d'avenir à l'horizon, c'est que Pr A m'a promis qu'un statisticien allait me joindre en janvier. Ça me laisse le temps de finir mon recueil de données d'ici là.

Mon dernier jour d'interne s'est passé sans remous, sans événement particulier. Sachant que j'allais de toute manière repasser dans le service pour ma thèse, ce n'était pas les grands au revoirs, les adieux pathétiques ni les larmes de séparation. Pas de gâteau de départ, pas de verre de l'amitié, pas de grande fête. Rien. Un jour comme un autre. Un peu décevant finalement.

Je viens de finir mon internat mais si je commence le boulot demain, seul, sans personne pour me superviser, est-ce que je vais assurer ? parce que depuis que je suis au CHU :
"L'interne est un clown"
"L'interne est nul, il ne sait pas ça. C'est évident pourtant."
"Vous devriez travailler davantage, vous apprendriez plus de choses."

Pas un seul compliment en 2 ans de CHU...je suis persuadé d'être un moins que rien. Alors pendant les périodes de doute, je questionne mes co-internes :
"Est-ce que je suis vraiment un gros nul ?
_ Bah ...euh...c'est à dire...en tout cas, de tous les co-internes que je connais, t'es le plus drôle."
Merci pour la belle jambe...

Je résume : j'ai fini mes études, je me sens nul, je suis à 2 doigts de tout abandonner avant la fin, je n'ai pas de boulot, pas de copine et pas d'argent...une année sabbatique apparaît indispensable

Comme ça faisait à peu près 1 an que je n'avait pas pris de vacances, la première chose que j'ai faite, le premier jour de mon sabbat, j'ai pris l'avion pour le Maroc : 4 jours de randonnée dans l'Atlas. J'atterris à Marrakech, je débranche le téléphone, je sors un bon bouquin et je profite. Enfin...le repos, le calme, les vacances...oui mais...combien de temps ? et après ? comment je vais gagner ma vie pendant un an ? et après, qu'est-ce que je vais faire ? est-ce que je vais continuer à travailler dans un hôpital que je n'aime pas ? avec des gens que je n'apprécie pas (voire pire) ?
Qu'est-ce que je veux faire de ma vie ???

Voilà, super reposant le début de vacances.

Plein de questions me trottent dans la tête. Ok, je n'aime pas l'hôpital. Mais ailleurs, en ville, en libéral, comment c'est ? aucune idée. Nos professeurs nous rabâchent qu'on ne peut pas faire de la bonne médecine en ville, que c'est la misère, que les spécialistes en ville mettent la clé sous la porte et supplient pour retourner au CHU...Quelle est la part de vérité là dedans ?

Dans ma petite chambre, je me retrouve seul avec mes questions et les réponses n'arrivent pas. Seulement davantage de questions. A l'heure du repas, je n'ai toujours pas avancé. Je vais manger. A table, en expédition avec moi, je tombe sur un couple, jeunes retraités, souriants, et qui, par le plus grand des hasards, habitent à 3 jets de caillou de mon lieu de naissance.

S'en suivent les questions habituelles : que faites-vous dans la vie ? c'est "tu" au fait. Que fais-tu dans la vie ? et pourquoi ?
"Hein ? pourquoi je fais médecine ?
_ Oui. On peut tourner la question dans l'autre sens : pourquoi es-tu médecin ?
_ ... je n'y avais jamais vraiment réfléchi. J'ai poursuivi mes études parce que j'y arrivais et que ça me plaisait.
_ Et ça te plait toujours ?
La réponse est venue comme une évidence, spontanément, sans réfléchir :
_ Non.
_ Ah ! qu'est-ce qui ne te plait pas ?
Et là, c'est le grand déballage. J'ai raconté mes 10 ans de persécutions diverses dans le monde cruel de la médecine, à des gens que je ne connaissais que depuis 10 minutes, sans réfléchir qu'en racontant toutes ces horreurs à des non-médicaux, je pouvais les faire fuir à tout jamais tout ce qui porte une blouse.
_ C'est intéressant. Mais alors, pourquoi tu restes ?"


Un jour, une patiente est rentrée dans le service, en pleurs.
"_ Docteur, je ne veux plus être malade, mon traitement m'emmerde et il n'arrange rien.
_ Ne vous inquiétez pas, on va s'en occuper. Je vais vous poser plein de questions mais en retour il va falloir que vous me répondiez franchement, d'accord ?
_ D'accord.
_ Depuis combien de temps...? et dans la famille ...? et vous ...? comment on vous a annoncé...?
...
_ Et les médicaments, est-ce que vous les prenez bien ?
_ Non, parce que celui là, il me donne des diarrhées et vous comprenez, déjà que ça m'emmerde d'avoir une maladie, si c'est en plus pour avoir des diarrhées, merci bien !
_ Bon, ok. On va revoir ça. Qu'est-ce que vous savez de votre maladie ? qu'est-ce que vous voulez savoir ?
_ Vous avez le temps de m'expliquer tout ça ?
_ Oui, les professeurs ne sont pas là, les étudiants non plus, les infirmières sont sympas aujourd'hui, alors je m'organise comme je veux. Les autres patients je les connais par cœur alors aujourd'hui, je m'occupe de vous. Je ne vous le cache pas, ça n'arrive pas souvent.
_ Ah ben j'en profite alors !"

Nous avons discuté un peu moins d'une demi-heure, nous avons revu son traitement ensemble, on s'est parlé honnêtement chaque jour, certains j'étais occupé mais je prenais quand même 30 secondes pour lui serrer la main et repartir (c'était parfois tout ce qu'elle voyait de moi ce jour là).
Six jours plus tard, elle est repartie, elle m'a dit "merci". Ma co-interne l'a revue 6 mois plus tard, elle allait parfaitement bien. Toujours malade (on ne se débarrasse pas de certaines maladies chroniques) mais elle gère.

Un autre jour, M. Gros, 55 ans, une tronche d'alcoolique, un ventre d'alcoolique, un métier d'alcoolique (ah les préjugés). Oui mais voilà, un bilan biologique d'alcoolique aussi.
"Docteur, je vous le dis : il y a eu une période de ma vie où je buvais. Depuis que j'ai des enfants j'ai arrêté, ça fait 20 ans."
Personne ne le croyait. Personne ne voulait le traiter tant qu'il n'aurait pas avoué son éthylisme caché. Le visage rougeaud, le teint gris, des douleurs dans les mains, un diabète et un petite cytolyse hépatique chronique...Bon admettons qu'il ne boive pas, qu'est-ce qu'il peut avoir d'autre ce patient ? Et puis cette ferritine, quand même, tout le monde disait que c'était l'inflammation mais...Et si ...? J'ai demandé une recherche d'hémochromatose, maladie génétique rare mais pas tant que ça. Elle est revenue positive. Le patient m'a remercié de l'avoir cru. Ce n'était pas vrai, je ne l'avais pas cru, je suis juste allé au bout du raisonnement.

Un point de suture sur la tête d'un enfant.

Une réduction de luxation.

Prendre le temps, expliquer, comprendre, chercher, investiguer. Voir revenir un bilan exactement comme on l'espérait, faire le diagnostic juste au bon moment...Bref, il y a certains moments en médecine qui valent tout l'or du monde et que je n'échangerais contre rien d'autre.


"Donc, il y a des trucs qui te plaisent et d'autres qui ne te plaisent pas.
_ Voilà.
_ Et est-ce que tu peux changer les choses qui ne te plaisent pas.
_ Euh oui, mais il faudrait que je quitte l'hôpital.
_ Et qu'est-ce qui t'en empêche ?
_ ... euh...rien... RIEN. Je suis libre ! Putain, mais je suis libre de faire ce que je veux !!!"

L'année sabbatique commençait bien.

Une semaine plus tard, je trouvais un remplacement dans une clinique privée : en 4 jours de boulot, j'ai reçu autant de compliments qu'en 4 ans de CHU. On n'en est qu'aux 2 premières semaines, la suite de l'année a été extra-ordinaire, crescendo, mais je vous raconterai tout ça un peu plus tard. =)              (ici)

dimanche 19 février 2012

Thèse 7


Previously on "Thèse" : episodes 1, 2, 3, 4, 5 and 6.

(bah dis donc ! ça commence à en faire des épisodes !)
Je n'en suis encore qu'au recueil de données, il reste encore les statistiques, l'analyse des résultats, la rédaction, l'impression, la soutenance, et ce qui se passe après la soutenance. Sans compter les histoires extra-ordinaires qui me sont arrivées entretemps. 

J'ai tellement de choses à vous raconter, si vous saviez... C'est bien pour moi d'avoir cette trame, ce fil conducteur de la thèse, pour vous amener avec moi vers la conclusion de cette histoire (qui n'est pas terminée à l'heure actuelle). Mais revenons à nos moutons électroniques (un cadeau pour celui qui comprend la référence).



Il y a certains moments dans l'internat où, malgré le désir presque viscéral de venir en aide aux malades, de les soulager, éventuellement de les sauver et de les guérir, il arrive par moment que j'ai envie de buter l'humanité toute entière. 

Alors ça commence doucement par quelques contrariétés, puis ça s'enchaine avec d'autres frustrations, des rancœurs et au bout de quelque temps, ça finit en dégout profond pour tout ce qui a deux jambes, un cœur et un cerveau. 

D'abord Pr A qui me rajoute 380 dossiers. Je lis un dossier qui me rappelle bizarrement un dossier précédent. C'est bizarre. Je compare les deux : identiques. Même les 2 patientes ont le même prénom...attends...et oui. Évidemment. C'est bien la même patiente. Le premier dossier avec son nom d'épouse, le deuxième avec son nom de jeune fille. L'informatique ça aide, mais c'est parfois désarmant de logique implacable. Et surtout, je me pose la question : combien ai-je de doublons comme ça dans ma base données ? ça me donne des frissons dans le dos.

Dans ces moments là, je commence à écouter Radiohead, histoire de s'enfoncer doucement dans la déprime sans se l'avouer et je ressors "l'insoutenable légèreté de l'être" de Milan Kundera. 

Après ça, les patients. Dans la même semaine, j'ai croisé une diabétique qui ne voulait pas d'insuline, mais alors pas du tout, jamais, et c'est même pas la peine d'insister docteur. Suivie d'un psychotique qui ne voulait pas plus prendre son traitement. 
"Mais c'est pas grave docteur. Il ne faut pas avoir peur des extra-terrestres, ils sont gentils avec moi. Ils me guérissent de ma maladie par la pensée et vos médicaments me coupent de leur contact. Et dès que je serai mort, je monterai dans leur soucoupe avec eux."

Dans ces cas là, j'imagine de laisser sortir tous mes patients, de les laisser gambader dans un parc et de devenir médecin-sniper, avec un fusil longue portée et une lunette de visée. Avec mes petites aiguilles hypodermiques à pompons rose fluo pour l'insuline et jaune fluo pour les neuroleptiques, je leur viserais le cou et je leur administrerais leur traitement quotidiennement, sans demander leur avis et en me faisant plaisir en même temps. 

Dans ces cas là, je ressors le "black album" de Metallica et je lis "la nuit des temps" de Réné Barjavel.

Pour ne pas sombrer définitivement et pour pas qu'il me pousse des envies d'acheter un fauteuil noir pivotant avec un chat blanc sur l'accoudoir (comme les méchants docteurs de cinéma) je me sors les doigts du ... de la poche de pantalon et j'appelle une amie : 

"Milène, faut qu'on se voit. 
_ Ok, j'arrive. 
...
_ Qu'est-ce qui se passe ? 
_ Il y a tout qui me soule en ce moment, c'est la cata : la thèse n'avance pas, elle recule. Les patients me font chier et mon chef me sort par les trous de nez. Je fais quoi ? 
_ Changes toi les idées, sors, va au cinéma...je sais pas, mais rencontre des gens. 
_ T'as raison, il y a une soirée internat vendredi. 
_ Voilà ! bonne idée."

Je m'arme de ma plus belle parure et mon sourire ravageur. J'ai laissé tomber le jean moulant contre un pantalon plus ample aux entournures sans pour autant altérer mon trait de caractère le plus convexe. J'arrive à l'internat et qui vois-je ? 
Liselotte en train de danser sublimement. On dirait un ange possédée par le démon de la luxure. Elle me voit, se dirige vers moi, m'enserre de ses bras et commence à onduler verticalement. Je l'accompagne, d'abord doucement, puis fermement. Je la retourne contre moi, son dos contre mon ventre, lui caresse la taille en remontant doucement, respirant son parfum...quand elle dit : 

"Ah, il faut que je te présente mon mec."

Là, subitement, je n'ai plus du tout de problème de taille de pantalon. Elle me prend la main et nous nous dirigeons vers l'extérieur. Elle tapote l'épaule d'un interne, qui se retourne. C'est Clément. LE "chirurgien" archétypal. Celui qui m'avait foutu des cornes d'auroch (hop, une autre référence, qui va trouver ?) deux années auparavant (cf ici).

Nous nous serrons la main, très fort et très longtemps, avec un grand sourire hypocrite mutuel, chacun ne sachant pas ce que l'autre sait mais ne voulant pas courir le risque de se dévoiler. On échange des politesses et Liselotte retourne danser avec lui, à faire baver d'envie n'importe quel être humain, homme ou femme. Le pire, c'est qu'ils sont beaux tous les deux, ensemble.

Alors là, j'écoute "Rage against the Machine" en boucle et je lis "la guerre des mondes" où l'Angleterre se fait raser en moins de 3 jours. Bien fait pour leurs sales gueules à tous ces humains !!!

Maintenant que je suis bien au fond du trou, il est temps de rebondir. 

Je m'achète des chaussures de course et un capteur à brancher sur mon lecteur mp3. Comme ça j'ai de la musique et en même temps ma vitesse, la distance parcourue et le temps de course. 

Je m'attaque à mon tableur : j'élimine tous les doublons (un peu plus de 50) et les dossiers qui n'ont rien à foutre là (environ 80). Il me reste encore 200 dossiers à lire, les stats, la rédaction et tout le reste à faire pour la fin de mon internat qui arrive dans...4 mois. Je prends rendez-vous avec Pr A. : 

"_ Professeur, faut qu'on parle. Il est impossible que je finisse ma thèse pour octobre, même décembre, c'est illusoire. Alors voilà ce que je vous propose : je finis le recueil de données en octobre et à partir de novembre on voit ensemble pour les stats, en janvier ou février on analyse les résultats, en mars/avril je commence la rédaction, on corrige, en septembre la thèse est bouclée, imprimée et en novembre je la soutiens. 
_ Ça me semble envisageable. Ok. 
_ Est-ce que vous avez un statisticien à me conseiller. 
_ Alors, oui, je pourrais t'orienter vers un statisticien. Mais ça serait une perte de temps. 
_ Pourquoi ?
_ Et bien, parce qu'il ne travaille pas gratuitement, il faut le rémunérer et le service n'a plus d'argent pour payer un statisticien. 
_ Bon, ok. Est-ce que vous avez un logiciel de statistiques à me conseiller, je me débrouillerai et j'apprendrai sur le tas. 
_ Alors, oui, j'ai bien un logiciel de statistiques mais la licence a expiré le mois dernier. Je ne peux pas te le filer. 
_ Donc vous n'avez rien à me proposer. 
_ Je pourrais bien te proposer le poste de chef de clinique en novembre mais il faut être thésé pour ça. Sinon, on te prend comme Faisant Fonction d'Assistant. 
_ Ah ? et c'est mieux payé qu'interne ? 
_ Non, moins bien, et le travail est plus intense. 
_ Non merci alors. On se voit en janvier avec ma base de données remplie. 
_ Attends ! j'ai d'autres patients à inclure. 
_ Non merci. Il y aura toujours des patients à rajouter. Je finis les 500 que vous m'avez donnés et on verra en janvier. Au revoir Professeur."

Je quitte le bureau jaune avec un petit sentiment de victoire : c'est moi qui mène la danse désormais. 

Peu de temps après cet entretient, je vois se profiler l'année sabbatique : pas de boulot rémunéré et une thèse à taper. J'appelle différentes cliniques : 
"Vous ne chercheriez pas par hasard un spécialiste remplaçant ?
_ Ah si ! bien sûr ! dès la première semaine de novembre. Payé 1000 euros. 
_ Par mois ? 
_ Non, par semaine."

Je recommence à retrouver le sourire. Ça sera la meilleure année de ma vie, mais c'est une autre histoire. To be continued...

La suite ici. Et .

samedi 18 février 2012

Thèse 6

Previously on "Thèse" : episodes 1, 2, 3, 4 and 5.

Que faire ?

Bon, réfléchissons. L'ambiance aux soirées internat ne démarre vraiment qu'à partir de minuit, il me reste encore 1h de boulot. J'accélère, je finis 5 dossiers en 1 heure et je m'arrache. Comme ça il m'en restera 15 pour demain. Je reviendrai à 5h du matin, je bosse 3h et c'est bon, je serai prêt pour le rendez-vous à 8h30. Ça va être sportif mais c'est faisable.

Je prends la Georgeomobile, j'enfile mon costume de super interne (pantalon moule-fesses, chemise de beau gosse, les lunettes la nuit...mmm...on s'en fout) et je me dirige vers l'internat.

Liselotte se déchaine sur la piste de danse, avec 5 mecs qui lui tournent autour. Elle me voit arriver, se dirige gracieusement vers moi en repoussant les énergumènes comme s'ils étaient une vollée de mouches. Le message est simple et clair : c'est elle la reine de la ruche ce soir et je suis sa proie. J'accepte bien volontiers.

Nous dansons, de plus en plus proche au fur et à mesure que la nuit avance, je respire le parfum de son cou, une main au milieu du dos et l'autre sur une cuisse, puis je remonte (et redescends, j'ai 2 mains, suivez un peu) vers l'endroit où les muscles du dos forment 2 petites concavités juste au dessus du sacrum, je suis fou de cet endroit là. Visiblement, ma partenaire apprécie aussi et me fait part de son intérêt en m'embrassant langoureusement.

Je commence déjà à savourer la suite des événements (les jeans moulants, c'est bien mais ça présente certains inconvénients quand même dans certaines circonstances) quand, soudainement, je ne sais pour quelle raison, je regarde l'heure :
4h30 du matin.

Dans une demi-heure il faut que je sois dans le secrétariat de l'hôpital pour finir cette saloperie de recueil de données.

Que faire ? je ne peux quand même pas finir la soirée sur les chapeaux de roues, ou bâcler une activité à laquelle je préfère passer un maximum de temps et la répéter plusieurs fois si possible (cf l'excellent livre "11 minutes" de Paolo Coelho).

Nous sommes toujours sur la piste de danse, dans les bras l'un de l'autre, toujours en train de nous embrasser. Nous nous séparons, elle me lance un regard de braise jusqu'aux tréfonds de ma personne (décidément, il faut vraiment plus que je mette de jean moulant), je la regarde dans les yeux et je lui dis :
"Je suis désolé, il faut vraiment que j'y aille."

Elle est resté bouche bée, immobile au milieu de la piste, les bras ballants, absolument décontenancée. Je me suis retourné plusieurs fois, elle était toujours figée dans la même position.

Pr A, c'est officiel, je te déteste.

Je remonte dans ma voiture, je n'ai plus du tout le sentiment d'être un super héros. Je me dirige rageusement vers l'hôpital. Il y a une voiture devant moi au feu rouge. Elle s'impatiente et son conducteur décide de faire demi-tour. Mais malheureusement, le conducteur portait des lunettes de soleil (à 4h45 du matin!!!) et a effectué sa marche arrière dans l'aile avant gauche de ma voiture, à moi, ma petite voiture toute neuve.

OH !!!

Je gare mon véhicule que j'aime, je sors, et j'ai à peine le temps de voir filer la voiture, toujours en marche arrière vers le fond de la nuit. Même pas le temps de voir ou de relever la plaque ou la marque de la voiture. Juste les lunettes de soleil du conducteur.

Mais comment est-ce que je vais expliquer ça au commissariat. Jamais ils ne vont croire une histoire aussi débile.

J'arrive à l'hôpital, j'ai envie de tuer quelqu'un. Mais à 5h du matin...c'est pas vide un hôpital, mais ceux qui restent éveillés travaillent et gagnent tout mon respect et mon admiration. Ça serait con d'en buter un.

La porte principale est fermée mais heureusement je connais tous les recoins du bâtiment, l'avantage de faire des gardes de nuit. 3° porte au sous-sol, toujours ouverte. Salut Gérard. Je gagne l'accueil, ouvert, mais personne dedans. Qu'à cela ne tienne. 2° tiroir à droite, la clé de la réserve. Dans la réserve, 4° rangée de clés, 7° poste-clé, celui violet en plastique : la clé du secrétariat.

Je m'enferme dedans, au milieu de mes 15 dossiers restants. J'ai tellement la rage d'avoir mis un des plus gros vent du monde à une des plus belles filles de la terre, et d'avoir été puni en retour par l'univers en bousillant l'avant de ma caisse ! et ce qui m'enrage le plus, c'est que je la mérite cette vengeance. J'ai vraiment été nul ! et pour quoi ? pour une thèse de merde et un directeur pour qui je voue un désamour mutuel. C'est d'ailleurs une des rares fois où les sentiments que j'éprouve pour quelqu'un soient réciproques.

Heureusement, toute cette colère me rend service. J'expédie les 15 dossiers en une heure. Merde ! quand je pense que j'aurais pu rester sur place et finir la soirée en beauté. J'enrage encore plus.
Il est 6h du matin. Je m'allonge sur la moquette marron, ça sent le carton, la poussière et la sueur de pied. Mais je m'endors tout de même.

Je me fais réveiller à 7h du matin par la femme de ménage. Ou plutôt je suis réveillé en sursaut par le cri de la femme de ménage. Elle a cru que j'étais un cambrioleur caché sous la table.

"Non non madame, je suis interne ! je travaille ici.
_ La nuit ? au secrétariat ? vous ne devriez pas être aux urgences plutôt ?
_ Euh...c'est à dire que...normalement je devrais être dans les bras d'une hollandaise mais on ne fait pas toujours ce qu'on veut."

Ça ne l'a pas fait rire. J'ai du m'expliquer avec la sécurité (re bonjour Gérard) qui m'a laissé partir sans histoire. Juste le temps d'attraper un café et de me poser devant le bureau jaune, le bureau d'el Professor.

8h30 précises (il est ponctuel, on ne peut pas lui enlever ça), Pr A me reçoit.
"J'ai discuté avec l'attaché de recherche clinique, et il s'avère qu'on a trouvé des patients supplémentaires. Bon il va falloir faire le tri, il y a certainement trop de patients, des homonymes, des doublons mais ça serait intéressant de poursuivre le recueil de données avec ces nouveaux patients."

Il me tend un CD, je le rentre dans mon ordi, apparait une liste de 380 noms.

Il me pousse hors de son bureau. 8h35, l'entretient est terminé. Il n'a même pas regardé mon tableur.

Je crois que l'univers m'en veut, personnellement.

La suite ici.

vendredi 17 février 2012

Thèse 5 : le recueil de données

Previously on "Thèse" : épisode 1, 2, 3 et 4.

Tout fier d'aller au boulot avec ma nouvelle petite voiture, bon, ok, j'avoue, je me la pète. C'est pas souvent, mais là, pendant 1 semaine (bon ok, un bon gros mois), je suis venu avec les lunettes italiennes, le jean bien coupé qui moule les fesses, la chemise de beau gosse (avec les poils de torse qui dépassent) et le sourire qui scintille. Ça c'est l'image que j'avais de moi.

La vérité c'était plutôt ça : des lunettes des années 80, un chemise pas repassée, boutonnée mardi avec mercredi, un jean troué qui fait juste vieux et les fesses de toute manière on ne les voit pas sous la blouse. Mais c'était pas grave, je me sentais pousser des ailes. Tous mes patients étaient admirablement bien soignés, je sortais tôt du boulot et je partais en weekend à l'heure en m'étant avancé pour la semaine prochaine. Même pas de courrier en retard !

Sauf que...

J'arrivais à partir en weekend parce que j'en foutais pas une pour ma thèse, et plus l'échéance du rendez-vous arrivait, moins j'avais envie de m'y mettre. Comme prévu, j'étais dans un stage de périphérie et il fallait que je revienne dans la grande ville et son CHU pour fouiller dans les dossiers.

Un beau jour ("beau", façon de parler), Pr A. m'appelle sur mon téléphone perso (déjà, c'est louche) :
"Ah Georges ! il faut qu'on parle.
Quand une conversion commence par ce "il faut qu'on parle", ça n'annonce jamais rien de bon. Si c'est une fille, ça veut dire "il faut que je te dise qu'on va rompre" et si c'est un Professeur, ça veut plutôt dire "tu vas en prendre plein les fesses en 5mn et tu vas pas dormir pendant 1 mois". Il continue :
"Je voulais voir avec toi où tu en étais des 300 dossiers que je t'ai donné à examiner.
_ Et bien...euh...c'est à dire...ça avance.
_ Parce qu'il faut qu'on voit ensemble les premières données. Samedi tu es libre ?
_ Euh...
_ Bon ben c'est décidé alors, on se voit samedi avec tes tableaux remplis."

Pour ceux qui ne connaissent pas, il faut que je vous explique ce que c'est qu'un recueil de données. En fait, au tout début du travail de thèse, on se réunit avec le directeur de thèse, on parle ensemble d'un sujet intéressant, on regarde la littérature médicale et on voit les zones de doutes, les précisions qui n'ont pas été abordées, pour que le travail de thèse apporte une nouveauté par rapport aux publications précédentes. Parce que bon, quitte à se faire chier 1 an à pondre une thèse, autant que ça en vaille la peine, on ne va pas non plus refaire un boulot qui a déjà été fait (en fait, si, ça serait bien, il faudrait le faire, ou plutôt le refaire, mais personne ne le fait).

Cela dit, une fois le sujet de thèse décidé, il faut l'envoyer à la fac pour qu'il soit enregistré et pour ne pas qu'un autre interne-esclave fasse le même sujet dans une autre fac. Ça n'empêche toujours pas qu'un interne américain vous coiffe sur le poteau. Alors, grosso modo, on croise les doigts pour que personne n'ait eu la même idée au même moment.

Le sujet choisi, il faut aller fouiller dans les dossiers pour trouver les données qui nous intéressent et les rentrer dans un joli tableur. J'en étais donc à cette phase là. Mon chef m'avait donné un liste de 250 noms, donc 250 dossiers à éplucher. Et quand je dis éplucher, c'est le bon mot : ça sent parfois l'oignon et ça fait souvent pleurer.

Parce que, à 23h, un dimanche, quand les potes sont à la plage et que je suis seul dans un bureau qui sent le renfermé, que j'attaque mon quarantième dossier de la journée et que tout ce que je trouve dedans c'est la carte de visite de son taxi, je ne suis pas super persuadé de faire un des plus beaux métiers du monde.

Ça, c'est les jours de chance. Autrement, pour récupérer un dossier, il faut prendre un ordi, ils sont tous occupés par une secrétaire donc il faut en attraper un quand elles changent de pièces où en voler un à un externe en faisant valoir son grade d'interne (c'est moche, je sais). Ensuite, il faut rentrer le nom du patient ou de la patiente, éliminer les homonymes, ne pas se tromper dans la date de naissance, et là, l'ordi vous donne le sésame : le numéro de dossier.
Avec ce numéro de dossier, vous rechopez un ordi mais pas dans la même pièce (cf étape précédente), vous allez sur le logiciel des archives qui vous demande votre code de secrétaire...vous demandez poliment à une secrétaire à qui vous venez de piquer l'ordi d'avoir en plus la générosité de vous prêter son code.
Vous demandez aux archives de vous envoyer dans le service le dossier avec le numéro sus-nommé. Et vous attendez livraisons.

C'est loin d'être comme les pizzas. En général, ça prend 3 jours. Il faut donc s'y prendre à l'avance. En plus, les numéros ne correspondent pas toujours. Et oui ! parce qu'entre 2000 et 2004, le service avait sa propre méthode d'archivage, donc ses propres numéros de dossiers. Entre 2004 et 2008, tous les dossiers ont été regroupés aux archives centrales. Mais en 2008, la numérisation de l'archivage a commencé, il a fallu attribuer un nouveau numéro à tous les dossiers. Il m'est arrivé de demander 3 fois un dossier pour le même patient. Et encore, il parait qu'il existe encore des services où l'archivage se fait sur micro-film, le top de la technologie des années 60 !

Pr A m'avait appelé un mardi, j'avais du lire à tout casser 100 dossiers. Il m'en restait 150 à lire en 3 jours...ok, 50 par jour, c'est dur mais faisable. Je pose 3 jours de congés, j'arrive tous les matins à 7h30 (avant même que les secrétaires n'arrivent) et je repars à 23h30, 15h de boulot (avec une heure pour manger quand même), ça fait 3 dossiers par heure, un dossier en 20mn, bonne moyenne.

Mais ça, c'était sans compter sur Liselotte, interne hollandaise, en stage dans le service.

Le deuxième jour de recueil intensif, je croise Micheline, mon ex-co-interne. Elle a les yeux rouges. Une seule décision s'impose : une tisane et un biscuit.

"Ça va pas fort en ce moment. Il y a Pr A qui m'a appelé.
_ Ah bon ?
_ Oui, c'est mon directeur de thèse aussi. Il me dit "Micheline, il faut qu'on parle".
_ Ah zut.
_ Il m'a dit : " J'ai réfléchis et ça serait intéressant de regarder ça aussi dans les dossiers".
_ Et ?
_ Le problème c'est que j'en suis à plus de la moitié de mon recueil de données et qu'il va falloir que je ressorte tous les dossiers précédents pour récupérer LA donnée intéressante qui lui manquait.
_ Ah merde !"

Elle fond en sanglots. Ce qui attire sa co-interne actuelle, Liselotte. Immense, 1m80, des cheveux blonds, raides, interminables, d'immenses yeux bleus, une taille de guêpe et pas le moindre soupçon d'accent.
"Qu'est-ce qu'il se passe ?
_ Rien, je lui parlais de ma thèse.
_ Ah tu me rassures. Je croyais que c'était ton mec et qu'il t'avait fait pleurer. Je lui aurais cassé la gueule si c'était le cas; dit-elle avec un immense sourire.
_ Ah non, lui c'est Georges, un ami.
_ Bonjour Georges."

C'est comme si j'avais un nuage dans mes chaussures, la terre n'était plus sous mes pieds. J'avais du mal à choisir quoi regarder, sa bouche exquise, son petit nez (oh mon Dieu ! 5 taches de rousseur !) ou...j'optais pour les yeux, plus sûr.

"Micheline, pour te changer les idées, il y a une soirée internat vendredi soir. Amènes ton ami Georges si tu veux."
Elle s'est en allée avec un clin d’œil dans ma direction.

J'ai travaillé d'arrache-pied, autant que possible avec les idées autant embrumées par Liselotte que par la perspective de devoir tout refaire dans 1 mois. J'ai donc recopié l'INTEGRALITE du dossier de tous mes patients dans mon tableur, sauf les 100 que j'avais déjà recueillis en croisant les doigts pour que ça suffise.

Arrive vendredi soir, sonne 23h. Merde !!! la soirée internat !!! et il me reste...20 dossiers pour demain matin 8h !!! aie !!! que faire ?!?!?!

La suite au prochain numéro...

Tatatataiiiiiiiin

(musique de suspens de folie de cliffhanger de la mort)

La suite ici.

vendredi 10 février 2012

Le plus mauvais café du monde

Avant de poursuivre la suite des péripéties de ma thèse, j'ai besoin de vous raconter l'état d'esprit dans lequel j'étais après le concours de première année, avant les résultats.

Je doublais ma première année, je participais au bazar ambiant dans l'amphi, je n'avais aucun espoir de réussir le concours de médecine; alors je m'étais inscrit au concours de kiné. Je bossais les matières qui me plaisaient et j'essayais tant bien que mal de retenir un minimum de choses des matières qui me gonflaient profondément, histoire de ne pas avoir de regrets.

Le concours arrive, j'écoute toujours de la musique avant les épreuves, pour me détendre. Je suis déjà détendu de toute manière puisque je connais déjà les résultats : recalé en médecine et pris en école de kiné. No stress. Mais pas de regrets à avoir, j'ai donné le meilleur de moi.

Le soir des examens, on a fait le tour des boites de la ville. On n'a pas vraiment dansé, non, on a gigoté plutôt, remué intensément, transpiré beaucoup. On a fait les fermetures en série, filé dans la première boulangerie qui ouvrait ses portes et pris le petit déjeuner chez l'un d'entre nous. Enfin, l'un d'entre eux puisque moi, je me voyais déjà ailleurs. Je ne me sentais pas particulièrement dans la bande des carabins.

Une petite douche et au lit à 10h du matin. Les vacances d'été commencent bien.

Réveil à 18h, par mon téléphone :
"Hey, Georges ! ça te dit un apéro chez moi ce soir ?"

Soirée toute simple, 4 mecs de moins de 20 ans dans un appart, à écouter de la musique (c'est ce soir là qu'a commencé mon histoire d'amour avec Led Zeppelin), à jouer de la guitare (c'est ce soir là que j'ai décidé d'apprendre), à parler de la vie, à refaire le monde...

Couché à 4h du matin, réveil à 16h, encore par mon téléphone :
"Hey Georges ! ça te dit de passer le weekend au bord de la plage ? mes parents sont pas là, on a la maison de campagne rien que pour nous."

Soirée tout simple, 50 garçons et filles de moins de 20 ans ayant fraîchement fini leurs examens venant décompresser dans une maison de campagne, au milieu des bois et à moins d'un kilomètre de la plage. C'est ce soir là que j'ai décidé d'arrêter de boire. Imaginez, la musique à fond dans le salon, une douzaine de filles peu vêtues en train de danser, une douzaine de gars dans la cuisine, en train de vider le frigo de toute substance liquide, solide ou intermédaire.

"Aller Georges, je te fais un cocktail.
_ C'est quoi ta spécialité ?
_ Je te fais un 88.
_ C'est quoi un 88 ?
_ C'est un Pastis 51 avec du Jet 27.
_ Mais euh...51 + 27 ... ça fait pas...
_ De quoi ?
_ Laisses tomber !"

C'est pas tellement que c'était mauvais. Ni les 3 bières qui sont ressorties. C'était plutôt le fait de nettoyer le vomi étalé sur 6 marches d'escalier au milieu de couples en train de s'embrasser avec une pelle et un sceau de plage (nettoyer, pas s'embrasser, vous avez compris).

Le reste de la soirée a été d'une grand sobriété, pour moi en tout cas. Au début je les regardais amusé :
"La tranche de citron dans la bouche. Le sel dans le creux de la main... et PAF !"
...
"Le sel dans la bouche, le citron dans le verre, la téquila dans le creux de la main...et PAF le chien !"

Et petit à petit, ça m'amusait moins :
"Michelle ! redescends de cet arbre, tu vas te faire mal !"

"Roger ! Laisses ce bout de bois enflammé dans le barbecue, il ne va te servir à rien dans le salon."

Quelques minutes après, j'ai retrouvé Michelle en train de vomir dans le lavabo de la salle de bain et Roger en train de s'aggriper aux bords du toilette dans lequel il avait enfoui sa tête, pendant que 3 autres carabins les regardaient en riant bêtement, assis dans la baignoire.

"Rogeeeer ?
_ Quoiiiii ?
_ J'crois qu'on a un soucis.
_ Ah ?
_ J'ai envie de chier.
_ Ok, on échange."

Les 3 carabins ont quitté la salle de bain, et moi aussi.

Quelqu'un a lancé l'idée :
"Et si on allait dormir au bord de la plage ?"

J'ai vu le moment où l'un d'entre eux aurait la bonne idée d'aller nager bourré. Je les ai donc accompagnés. La plage à un kilomètre, dit comme ça, c'est pas loin. Mais dans le noir, avec une demi-douzaine de vertigineux, c'est du sport.

Personne n'est allé nagé, on a parlé, tout bêtement, regardé les étoiles, et très vite, tout le monde a sombré dans les bras de Morphée, le marchand de sable était passé : il en avait mis dans les yeux mais aussi dans les poches, dans la bouche, dans le nez et dans les sous-vêtements (ça gratte un peu au réveil).

Nous sommes retournés à la maison (c'était aussi facile ? comment on a fait pour mettre autant de temps). Elle était grise. Le sol collait aux chaussures, il y avait des empreintes de mains aux murs, des traces de suie au plafond, des verres et des cadavres de bouteilles disséminés partout dans le jardin (un genre de matin de Pâques pour alcoolique).

Un demi-zombie est sorti canapé en se dépatouillant de 2 autres endormis.
"Georges, vas nous faire du café."

Je me dirige vers la cuisine en enjambant les gens par terre, je dégage la cafetière cachée derrière 4 bouteilles de téquila et des rondelles de citron, je jette le filtre plein. Je fouille dans la cuisine : il ne reste plus rien de comestible. Même plus de café, ni de filtre. Tout le monde dort, personne n'a rien vu, je récupère le filtre usagé dans la poubelle et je le remet dans la cafetière. Je remplis d'eau et j'attends.

J'étais tellement exténué que ça ne m'a pas choqué de voir sortir un liquide la couleur du thé. J'en sers une tasse au zombi réveillé.
"Mmmm....sucre !"

Ah ! il en reste. Je l'ai trouvé à côté des bouteilles de téquila (la salière est vide...).

Je le vois mettre un morceau. Puis 2. Puis 3. Puis 6.

"Dis-donc, tu l'aimes vachement sucré ton café.
_ J'ai pas le choix, goûtes."

C'était effectivement le plus mauvais café que j'ai jamais bu de toute ma vie, malgré la tonne de sucre. J'ai gardé pour moi le fait qu'il avait un arrière goût de déchets. Je comprends mieux pourquoi cet étudiant est devenu anesthésiste plus tard.



J'ai déjà parlé des résultats du concours dans un précédent billet (cf ici).

En tout cas, pendant la rédaction de ma thèse, je me suis senti un peu comme le lendemain de cette soirée :
avec les yeux qui piquent (à force de regarder l'ordi), avec un vrai chantier à nettoyer devant soi, mal à la tête, fatigué, mais bizarrement heureux d'être là, heureux de faire ce boulot qui me plait, avec le sentiment de donner le meilleur de moi-même en permanence, sans regret. Et pour rester éveillé, des perfusions de café.

jeudi 2 février 2012

Thèse 4 : la rédaction d'abstract

Résumé des épisodes précédents : 1, 2 et 3.

Suite à l'accueil mitigé réservé à la soutenance de mon mémoire, Pr B m'a quand même encouragé à rédiger un résumé en anglais (appelé communément Abstract) et à le soumettre pour présentation à un gros congrès national. Lui pendant ce temps là s'occupe de motiver du monde pour commencer une étude de grande envergure, histoire de sortir des résultats significatifs.

Je travaille donc de mon côté, je peaufine mon anglais (oui parce que bon, c'est un congrès national francophone, mais il faut quand même soumettre l'abstract en français ET en anglais), je rédige tant bien que mal, je résume autant que possible mon mémoire de 50 pages en moins de 200 mots. Tout ça bien sûr, c'était en même temps que le stage en CHU et en même temps que le recueil de données pour ma thèse, avec d'un côté Pr A : "Alors, tu avances pour la thèse ?" et de l'autre Pr B "Alors, ça avance l'abstract ?".

Une fois fait, je soumets ma prose au comité de lecture du congrès. Ah oui ! faut expliquer un peu quand même : pour ceux qui ne sont pas en médecine ou pour ceux qui ne connaissent pas la joie de rédiger un article scientifique, lorsqu'on veut publier dans une revue ou un congrès, on soumet un abstract à la lecture d'un comité de lecture (ça tombe bien), ils le lisent (ça tombe encore mieux) et disent :
   - votre article est parfait, pas besoin de le corriger, il est accepté pour publication/présentation
   - votre article est intéressant mais il faudrait corriger ça, ça et ça
   - votre article manque de pertinence, ou alors est trop bancal, ou il y a trop d'erreurs, en tout cas il est rejeté
  
Pendant ma soutenance, on m'avait dit que mon article contenait trop d'erreurs, sa méthodologie était bancale et manquait de pertinence à cause de résultats non significatifs. J'ai donc soumis mon résumé sans grand espoir.

Pendant ce temps, Pr B motive du monde : il prévient d'autres spécialistes, essaye de voir combien de patients on pourrait recruter dans l'étude, quel financement on pourrait avoir de la part de l'hôpital et du ministère de la recherche. Dans le même temps, Pr A me donne une liste de 250 patients pour la thèse, faire le tri et se concentrer uniquement sur ce qu'il me demande. Ça veut dire qu'il faut que je fouille les 250 dossiers pour n'en garder qu'une partie spécifique, mais je ne le saurai qu'après avoir fouillé dedans, forcément.

1 mois se passe comme ça.

Je reçois un email du congrès national :
"Votre abstract a été retenu pour présentation murale et recevra une bourse d'étude."

Pardon ? Présentation murale ça veut dire que je vais imprimer les résultats sur un poster plastifié de 1m² et le placarder contre un mur pendant le congrès et que je vais devoir faire potiche (comme Miss Roue de la Fortune) en attendant que des spécialistes de toute la France viennent me poser des questions.
Ok. Mais "bourse d'étude" ? Je demande à Pr B. :
"Ah oui, je ne t'ai pas dit. J'ai eu le président du congrès au téléphone, je lui ai parlé de notre étude, il trouve ça très original et il va nous donner une bourse pour pouvoir payer un attaché de recherche clinique et un statisticien. C'est une bonne nouvelle, non ?"
_ Ah oui carrément ! et de combien elle sera la bourse ?
_ Je ne sais pas, il ne m'a pas dit. Mais assez pour payer 2 personnes à mi-temps pendant 6 mois."

Mon travail vaut tant que ça !?!? je suis très agréablement surpris. Ça fait bien plaisir. Du coup, ça ne m'a pas trop dérangé de payer de ma poche l'impression du poster (150 euros quand même) parce que le transport jusqu'au congrès était payé, le logement aussi. Et Pr B de renchérir :
"Ah oui, et je ne vais pas pouvoir y aller à ce congrès. J'ai décommandé mais tu pourras prendre la chambre d'hôtel qui m'était réservée. C'est arrangé, c'est bon."

1 mois passe encore, sur un petit nuage. Le weekend arrive, je prend mon train pour la capitale avec mon poster enroulé sous le bras (et protégé dans un emballage en carton rigide), j'arrive dans un hôtel de luxe, la chambre est immense, la vue géniale, le lit est tellement grand que je peux faire l'étoile de mer sans toucher les bords.

Pour la première fois depuis le début de mon internat, mon travail est substantiellement dédommagé. Avant, lors de congrès, nous les internes étions logés dans des auberges de jeunesse, entassés à 4 ou 6 dans un dortoir de 10. Là, j'ai MA chambre avec MON lit et MON petit déjeuner avec MON œuf à la coque, MES mouillettes servies à MA table par MON serveur. Faut que je fasse gaffe à ne pas trop vite prendre goût au luxe. Mais en attendant, je profite et ça fait du bien.

Bon, pour être honnête, je stressais un peu parce qu'il fallait que je prépare mes réponses aux éventuelles questions. Et puis :
"M. Zafran ? on ne vous a pas prévenu mais il faudra que vous montiez sur scène au congrès pour présenter votre travail.
_ Ah bon ? je croyais que je n'avais pas de présentation orale à faire.
_ C'est pas vraiment une présentation orale, on vous donne juste une minute de parole au lieu de 20 minutes. Ça laisse juste le temps de vous présenter et de dire le titre de votre étude.
_ Ah d'accord."

Bon, ok, prépare-toi Georges, tu vas être debout sur scène derrière un pupitre avec 3000 paires d'yeux qui te regarderont. Surtout ne montre pas tes fesses comme la dernière fois (cf ici et ).

Le matin, j'assiste aux conférences, l'après-midi je fais potiche. J'ai répondu à 3 questions. En 3 heures, ça fait beaucoup de potichage et des courbatures aux coins de lèvres pour rien. Et le soir, j'attends dans la fosse avec 4 autres internes qui ont aussi reçu un prix. Ils et elles passent avant moi, je suis le dernier. J'ai le temps de voir leur minute de présentation et surtout leurs sujets, ultra sophistiqués, de la recherche fondamentale du genre que seulement 10 personnes dans le monde peuvent comprendre. Je monte, je m'éclaircis la voix, je me présente, je dis le titre de mon étude, je remercie le congrès de m'avoir invité et le comité scientifique d'avoir sélectionné mon travail. Je descend du pupitre et je reçois mon chèque.

C'est pas le genre de chèque qu'on reçoit aux jeux télés, ceux en carton qui font 2m de long. Non, c'était une feuille A4 avec l'en-tête du congrès national qui me félicite pour mon travail "original et innovant" avec un petit chèque en bas de page à découper selon les pointillés. L'ordre est à mon nom. Et il y a plus de chiffres que ce que j'ai l'habitude de voir sur un chèque.

Je sais que cet argent n'est pas à moi puisque je vais le reverser au service pour financer la recherche mais cet argent, je l'ai gagné quand même.

Je rentre tout fier dans mon CHU, de retour à ma vie de Cendrillon après avoir connu la vie de palais. Ce que je ne savais pas, c'est qu'une pantoufle de verre m'attendait avec un carrosse...

Pr B vint me voir un matin, tout bougon, pas vraiment l'air d'un Prince et pas charmant non plus.
"La commission d'établissement s'est réunie. Ils ont rejeté notre étude de grande envergure. Soit disant parce que je n'avais pas prévenu les statisticiens.
_ Bah si ! on les avait prévenu il y a 2 mois.
_ Entretemps ils ont perdu la mémoire faut croire. Donc non seulement l'étude est rejetée mais en plus, on n'a pas le droit de la mener avec un financement indépendant.
_ Pourquoi ?
_ Parce qu'ils ne veulent pas mobiliser du personnel pour une étude qui n'est pas chapeautée par la direction scientifique du CHU.
_ C'est absurde, c'est nul, c'est...mais du coup, qu'est-ce qu'on fait du chèque ?
_ Si on le dépose sur le comte du service, il y a machin (Pr A, je traduis, chacun est Celui-Dont-Il-Ne-Faut-Pas-Prononcer-Le-Nom l'un pour l'autre) qui va s'en servir pour financer ses études à lui. Et ça, plutôt crever.
_ Qu'est-ce qu'on fait alors ?
_ D'une, il est pas au courant pour la bourse, et de deux, le chèque est à ton nom, non ?
_ Euh...oui.
_ Alors garde-le. C'est pour toi. Félicitations."

Bizarrement, ce petit bout de papier a repris en un instant la taille d'un chèque de jeu télé et j'avais l'impression d'avoir Christophe Dechavanne devant moi (mais en chauve) qui me serrait la main et me félicitait d'avoir trouvé "Mont Rushmore".
Avec cette bourse d'étude, j'ai revendu mon ancien véhicule-insecte à la casse (de toute manière, je ne pouvais plus fermer la porte à clé), j'ai vidé mon compte en banque et je me suis acheté une voiture neuve. Après 3 ans d'internat, j'avais bien le droit de m'offrir un cadeau.


La suite ici.