Ça veut dire que vous devenez un serf, un esclave au service de tous vos supérieurs, corvéable à merci, n'étant pas encore un médecin, même pas un bébé médecin. Cet tâche vous reviens de 8h30 à 12h30 (en théorie) tous les jours et un samedi de temps en temps et vous en serez dédommagé de 100€. Non pas par jour, non pas par semaine, non pas par samedi d'astreinte, oui par mois. Et la garde de nuit, 14 heures d'affilée, 20€.
En échange, le sénior (ou seigneur, ou saigneur, selon le contexte) que vous servez avec gratitude daignera vous octroyer une partie de son savoir médical.
Ça, c'est quand il y a quelqu'un pour s'occuper de vous, pauvre externe que vous êtes. Sinon, un externe oisif ressemble plutôt à une larve qui se traîne entre les différentes pièces de l'hôpital jusqu'à ce que quelqu'un daigne remarquer sa présence et s'occuper de lui. En général, il tombe sur la reine de la ruche et elle le bouffe (fatal destin que celui des insectes hospitaliers).
Bon en pratique, un externe c'est un larbin, une sous-merde, la personne qui fait le boulot que personne ne veut faire :
"Bon alors madame, parlez-moi des antécédents médicaux complets de toute votre famille sur 3 générations."
"Bonjour, je suis bien aux archives ? je cherche le dossier de Monsieur Perdudevue qui était hospitalisé dans le service il y a 15 ans. Oui...ah...vous avez changé 3 fois de méthodes d'archivages entretemps et vous avez déménagé dans un autre bâtiment ?...ah je comprends...Il faut que je vienne trouver le dossier moi-même. Où est-ce qu'il faut que je viennes fouiller alors ?"
"Bonjour Monsieur Constipé, je viens vous faire une extraction de fécalôme."
Ou alors, vous avez le droit d'apprendre par vous même :
"Bonjour Madame, est-ce que je peux vous faire un interrogatoire clinique ?
_ Non.
_ Ah bon ? avec un sourire qui s'efface progressivement.
_ Non, parce que vous êtes la 7° personne qui me pose les mêmes questions.
_ Ah bon ? l'air incrédule.
_ Oui : mon médecin généraliste qui m'envoie aux urgences, l'externe des urgences, puis l'interne, puis son chef qui m'hospitalise ici, puis l'interne d'ici qui m'a déjà interrogée hier soir puis son chef, puis encore vous. Alors ça suffit.
_ Mais euh...si je ne remplis pas d'observation dans le dossier je vais me faire défoncer par mon sénior ! l'air franchement paniqué.
_ C'est pas mon problème. J'en ai marre, laissez-moi tranquille."
Ou alors, plus constructif encore : il faut savoir que les résultats biologiques apparaissent sur un écran d'ordinateur quand on en fait la demande, ils sont ensuite imprimés pour les montrer au sénior pour pas perdre de temps à les redemander à l'ordinateur. Puis ces mêmes résultats sont imprimés par le laboratoire et envoyés dans le service où l'externe est sensé les regarder et les interpréter. Certains services demandent qu'en plus, les résultats soient recopiés à la main dans l'observation.
Je suis passé par là, ce n'est pas drôle du tout et c'est une des raisons qui m'avaient poussées à arrêter médecine. Le destin m'a rattrapé (cf ici). En tout cas, sachez qu'avec de l'expérience, l'externe devient expert en administration hospitalière et que fortuitement il arrive à apprendre la médecine sur le tas plutôt que dans les bouquins.
Cette étape de ma vie était loin, j'étais interne, le grade supérieur, donc potentiel persécuteur d'externes. Les hôpitaux de périphérie n'ont pas le privilège d'avoir des externes, c'est une exclusivité des CHU, presque un monopole. C'était donc mon deuxième stage au CHU et j'avais des externes à ma merci.
Sauf que, je n'ai pas été élevé chez les rats. Chez moi, quand on vous fait une crasse, on serre les fesses et on essaye d'éviter cette même crasse à son prochain. Ça s'appelle la politesse, ça existait encore il y peu dans certains contrées lointaines. Beaucoup de "séniors" en ont oublié jusqu'à l'existence même (cf ici).
Bref, j'ai remarqué que se faire aimer (ou à tout le moins, ne pas se faire détester) par ses externes, vraiment leur apprendre des trucs et répondre à leurs questions, au delà du service médical rendu, ça rendait la vie plus facile. Accessoirement, le travail que je leur donnais à faire était exécuté 2 fois plus vite et avec le sourire. Par exemple, nous voyons ensemble un papi qui vient pour syndrome confusionnel aigu :
"Jean-Pierre, est-ce que tu sais comment on calcule le score de Glasgow ?
_ Oui, en évaluant la motricité, la réponse verbale et oculaire.
_ Alors ? quel est le score du patient ?
_ Euh...il bouge spontanément les bras, ouvre les yeux, est réactif à la lumière et à la douleur.
_ Et est-ce qu'il parle ?
_ Monsieur (en lui criant presque à l'oreille) est-ce que vous savez où vous êtes ?
_ Dans mon slip !
_ Alors ? c'est une réponse orientée ou pas ?
_ Euh ...je sais pas.
_ Vérifies s'il a un slip."
Le patient avait un slip, Glasgow = 15/15, il avait juste un humour pourri. On s'est bien entendu lui et moi.
Un jour, comme par magie, 3 nouveaux externes sont apparus, dont ma Wonder-Externe.
"Vous êtes qui ?
_ On est les externes de D4. On vient de passer le concours de l'internat. Le chef de service nous avait offert un mois de vacances pour réviser et en échange on doit passer 2 semaines en journée complète."
Elle était parfaite : elle savait tout sur le bout des doigts, les pathologies de ses patients, leurs traitements, leurs antécédents...tout ! Lorsqu'un patient sortait, son ordonnance était déjà prête avant même que je ne la demande, il ne me restait plus qu'à signer et dicter son courrier. Lorsqu'un nouveau patient était hospitalisé :
"Ah zut ! elle ne connait pas son traitement habituel. Est-ce que ...
_ J'ai téléphoné au médecin traitant, il nous faxe sa dernière ordonnance.
_ Nickel. Ah et aussi, elle a passé un examen chez son cardiologue et son ophtalmo il y a 3 mois, est-ce ...
_ Déjà fait, ils nous faxent un compte-rendu.
_ Parfait.
_ D'ailleurs, ça y est, les fax sont en train d'arriver. Et voilà ! me dit-elle en me les tendant, tout ça avec un ton de speakerine et avec le sourire, comme si ça avait été fait en toute logique et simplicité, parce que ça allait de soi. Je me tends vers elle, j'ouvre mes bras et laisse échapper une petite larme :
_ Est-ce que tu veux bien rester ici pour toujours rien que pour moi s'il te plait s'il te plait s'il te plait ?"
Peu de temps après, on discutait de langues étrangères et du fait qu'en général, la première chose qu'on apprend d'une langue, se sont ses gros mots.
"Je pense que j'aurais atteint un niveau de culture satisfaisant quand je saurai dire un gros mot dans au moins 25 langues. Sur ces bonnes paroles, wonder-externe répond :
_ Tu veux apprendre un gros mots en langue des signes ?
Heureusement que j'étais assis, j'en aurais été projeté sur mon fondement.
_ Oui, dis-je complètement abasourdi.
_ Tu fais un croissant avec ta main droite que tu met à côté de ton oreille droite. Tu tends l'index et le majeur collés et inclinés à 45° à côté de ton oreille gauche.
_ Oui ? et alors ?
_ Tes mains forment les lettres C et N.
_ Et ...?
_ Et ta tête un gros O.
_ Ah !!! excellent ! Encore ! Comment on dit "bonjour" ?
_ Comme ça :
_ Génial !!! Encore !_ Qu'est-ce que tu veux apprendre ?
_ Chocolat, ça peut servir.
_ Comme ça :
_ C'est super !!! merci !!!
_ Attention ! à ne pas confondre avec "tout nu" : le même mouvement mais qu'une seule fois vers l'extérieur."
A partir de ce jour, j'ai fondu. Le lendemain, je lui proposais par SMS :
"_ Est-ce que ça te dirait qu'on aille prendre un verre ?
_ Ça dépend, on sera combien ?
_ Pour l'instant, on sera 2.
_ Si vous n'êtes que 2, alors je vous laisse en tête à tête."
J'ai été parfaitement décontenancé, désarçonné par cette réplique. Est-ce qu'elle est complètement conne ou ultra naïve ? il s'est avéré qu'elle n'était ni l'une ni l'autre. Après réflexion, elle m'a éconduit de la façon la plus incongrue et respectueuse que j'ai pu vivre.
Malgré le fait que Wonder-Externe soit partie loin, très loin, j'ai réussi à garder cette personne atypique dans ma vie et dans mon cœur, nous sommes devenus des amis très proches.
Je vous souhaite à tous de rencontrer des êtres aussi humains.
PS : je tiens à remercier tous les externes qui ont travaillé avec moi et je félicite toutes les personnes qui sont actuellement entre la 4° et la 6° année de médecine, courage !
PPS : images tirées de lsf.Wikisign.org
Encore un joli billet, merci !
RépondreSupprimerPour ma part, je m'éclate à chaque fois que j'ai des externes en stage au cabinet. C'est généralement très riche et amusant à la fois. Je suis souvent étonné de leur niveau de connaissances théoriques dès la fin de la D2, et en même temps ils sont encore plein de fraîcheur et de bonne volonté.
Des qualités qui ont malheureusement déjà bien souvent tendance à s'estomper chez les internes.
Les études médicales françaises sont une belle machine à déformer.
Je viens de découvrir ton blog, en cherchant des blog d'autres externes. Après lecture de quelques billets, je m'y retrouve totalement alors que ça fait déjà presque 4 ans que tu es passé par là (je viens de rentrer en D2). Rien à changer : le cycle de la vie se répète...
RépondreSupprimerMerci, et encore bon courage pour cette dure épreuve que sont la 4°, 5° et 6° années.
SupprimerLe seul moyen de sortir des rouages de l'hôpital est de bosser intelligemment. Moi, je n'ai réussi à devenir un externe intelligent qu'en fin de 6° année (trop tard).
A bientôt j'espère =)