lundi 24 septembre 2018

Forte tempête en prévision


C'est parti. Je profite du vendredi soir et de l'absence d'astreinte ce weekend (Dr Shleck est revenue) pour quitter mon ile. J'arriverai le samedi matin, pas trop tôt pour ne pas faire psychopathe, pas trop tard pour pouvoir en profiter un peu, juste assez tôt pour lui proposer un brunch. Je n'ai pas prévu de rester au cas où ma déclaration se passe bien, je passe le weekend dans ses bras et les quitte le dimanche soir, court weekend suffisamment intense et romantique juste ce qu'il faut. Bon, en vrai, secrètement en discrétion avec moi même, j'ai peur de me faire rembarrer et dans ce cas là, il n'y aucun besoin de s'éterniser.

Je lui ai envoyé un SMS lui proposant qu'on se rejoigne à la terrasse de tel café. Je m'y rends. Je n'ai même pas de valise, à peine un sac à dos. Rendez-vous à 11h. J'y suis une heure plus tôt. Je commence avec un café. Je n'ai peut-être pas de bagage mais j'ai pensé à prendre mon livre préféré avec moi. Je voyage toujours avec un livre.
Ce livre, Hyperion, je l'ai tellement lu ! et chaque fois, c'est à une période particulière de ma vie, ce qui fait qu'à chaque relecture, je suis projeté dans le temps, certains chapitres me remémorent une certaine année où je l'ai lu, un autre chapitre une autre année et ainsi, c'est comme si les souvenirs de ma vie étaient gravée entre ses lignes. Quel nouveau souvenirs vais-je y inscrire ? rien que pour le savoir, j'ai à la fois hâte de le lire et de vivre les prochains événements. Avec tout l'avion qui m'attend et la variété de toutes les choses possibles et imaginable qui peuvent se passer, j'ai pensé à prendre les deux premiers tomes. 600 pages. De quoi voir venir.

Onze heures sonnent. J'ai peu avancé. Toutes les 5 minutes, mon regard quitte le livre pour la chercher sur la place, au cas où elle serait venue en avance. Une heure passe encore. Il est midi et toujours personne. Pourtant elle m'a répondu qu'elle arrivait. Est-elle surprise ? il y a de quoi ! j'habite de l'autre côté de la planète (ou presque). A-t-elle peur ? j'espère que non. Je pourrais venir pour un congrès ou autre chose, ou je ne sais pas moi, mais ce n'est pas le moment de chercher des excuses.

Midi trente, elle arrive enfin. Elle s'assoit devant moi.

"_ Je n'ai pas très faim, tu prends quoi toi ?
Pas faim ? des papillons dans l'estomac peut-être ? et puis, ni bonjour ni merde, elle doit être tendue. Tâchons de l'apaiser.
_ Moi non plus je n'ai pas très faim. On peut aller ailleurs si tu veux, où tu seras à l'aise.
_ Tu as dis que tu voulais bruncher alors on y est, dit-elle d'un ton ferme. Vas-y, commande ce que tu veux, je vais prendre juste un jus d'orange.
_ Euh...ok. Un croissant s'il vous plait !"

Nous avons parlé de tout et de rien. En fait non, de rien, et surtout pas de l'essentiel. Je la sens fébrile, comme sur le point de vouloir m'annoncer quelque chose ou le contraire, comme si je voulais lui arracher un secret qu'elle se refusait à donner. AAAaaahh ! cette incertitude me tuera ! J'ai pris le taureau par les cornes, enfin non, la vache...euh, non plus, mauvaise image, mon courage à deux mains (comme ma bite, aaaah cerveau de merde !!!) et je me suis lancé :

"_ Mais sinon toi, sentimentalement, comment ça va ?
Je l'ai sentie s'apaiser. Comme une tension qui se relâche.
_ Ça va mieux, merci, souffla-t-elle avec à nouveau ce regard que j'aime tant (et déteste à la fois parce que je ne sais pas ce qu'il signifie). En grande partie grâce à toi. Tes messages, tes emails, ton épaule, ton écoute, ton soutien, tout ça m'a permis de remonter la pente et à faire preuve d'amour propre à nouveau. C'est la première étape, non ?
_ Euh...merci, dis-je confus. Elle est en train de m'ouvrir son cœur, là. J'en ai les jambes qui flageolent. Allez Georges, lance toi ! _ Ecoute Emilie...
_ Tu sais, je voudrais vraiment te remercier pour tout ce que tu as fait pour moi, m'interrompit-elle. Mais je dois y aller, j'ai une réunion familiale. Mais on peut se revoir ce soir si tu veux. Même endroit ? 20 heures ? 
_ Avec grand plaisir, Emilie, dis-je avec une assurance retrouvée.
_ Alors à ce soir. Bisous."
Elle m'embrassa dans la zone de doute, pas pile au milieu de la joue, ni sur les lèvres, mais entre les deux, avec le coin de ses lèvres effleurant le coin des miennes, à mi chemin entre chaste et sensuel.

Je reste à moitié au dessus de la table alors qu'elle quitte le café, mes fesses encore à moitié en l'air, ni franchement debout, ni réellement assis. Un peu comme la situation entre elle et moi. C'est ça, mes fesses sont le reflet parfait de ce qui se passe entre nous. Je ne sais pas vous mais ça ne m'inspire rien de bon. Et pourtant, son regard s'est attendri, s'est posé sur moi au moment où elle m'a ouvert son cœur alors qu'elle l'a évité pendant tout le reste du pseudo repas.

Donc c'est quoi ? une porte ouverte ? un adieu ? putain mais c'est diamétralement opposé !!! Devant autant d'incertitude, je suis obligé de recourir à une experte en femmes, une autre femme.

"_Allo Lola ?
_ Oaich Giorgio ! comment ça va ? tu viens prendre un verre en bord de plage ?
_ Pas tout à fait non, je suis en métropole.
_ Ah ! en vacances ! tu restes combien de temps ?
_ Je reviens demain.
_ QUOI ?!? mais tu es parti faire quoi ?
_ Je suis venu voir Emilie.
_ Pfff t'es un grand malade ! Super romantique en même temps, mais risqué.
_ C'est ce que je me suis dit.
_ Alors tu m'appelles entre deux bisous pour me raconter ? ça aurait pu attendre lundi.
_ Pas tout à fait non, voilà ce qu'il s'est passé : ...
Je lui ai relaté dans les moindres détails tout ce qui s'est passé, les mots précis, les attitudes, le langage non verbal, la position des yeux, des mains, des jambes. C'est Lola qui me demande tout ça, moi je n'y avais pas prêté attention.
_ Putain, fais un effort Georges ! c'est important ! ce n'est peut-être qu'un détail pour toi...
_ ...oui mais pour toi ça veut dire beaucoup, je sais. Tu m'impressionnes. On dirait le Sherlock Holmes de l'amour.
_Tu sais, il en va de l'amour comme du meurtre : il y a ceux passionnels, ceux d'opportunité et ceux prémédités.
_ C'est beau ce que tu dis.
_ Je sais, c'est toi même qui l'a dit.
_ Ah bon, j'ai dis ça ?
_ Oui, ou plutôt tu l'as écrit.
_ Sérieusement ! tu lis mon blog ?
_ Mais grave ! C'est mon rayon de soleil dans ma vie de merde. J'essaye de retrouver les bribes de vérités noyées dans le romanesque. C'est génial ! encore ! j'en veux encore ! raconte moi encore tout dans les moindres détails ! c'est comme si je lisais en avant première le prochain Harry Potter !
_ Bah attends encore un peu, ce soir, je la revois et je te raconterai ça, promis.
_ Ah cool ! tu m'appelles, hein ?!
_ Euh, avec le décalage horaire, je ne suis pas sûr.
_ Mmm, mouais, ok, et puis tu as le droit de garder un peu d'intimité au fond. D'ailleurs non ! je veux la suite dès que possible ! même s'il fait nuit, même si je dors ! rien à foutre ! ton cul m'appartiens et toutes ses histoires sont passionnantes !
_ Aaaah ! merci Lola ! Merci de complimenter mon cul comme ça.
_ Euh, blague à part, c'est très con de ta part d'avoir choisi un endroit assis. Ton cul justement, c'est un de tes arguments séductions principaux.
_ Ah oui, genre ma gueule, il faut pas trop que je compte là dessus.
_ Non, c'est pas ça. Toi tu as une belle gueule, un beau cerveau et un très beau cul. Tu peux remercier tes excursions dans la montagne, ça sculpte.
_ Bon, ça va, dans un café, il y a ma gueule et ma conversation. 2 sur 3, c'est déjà pas mal, non ?
_ Là on parle de ferrer un gros poisson. Tu ne vas l'attraper avec seulement la moitié de tes appâts ! Tu es beau, tu es intelligent, mais tes fesses sont LARGEMENT plus belles que toutes les belles paroles que tu pourrais sortir.
_ C'est sympa pour mon cul.
_ Regardons les choses en fasses, en fait non, regardons les par derrière : des paroles, ça reste des paroles, tandis qu'un postérieur bien ferme, c'est du concret, c'est du béton. On a beau être fleur bleue, une fille, ça reste pragmatique aussi.
_ Ah ok, merci du conseil, je le prends très au sérieux. Faut que je l'emmène se promener alors, en lui laissant la possibilité de voir mes fesses autant que possible.
_ C'est ça, sauf que de nuit, avec un manteau, c'est mort. Fallait y penser de jour.
_ Ah merde, j'ai perdu une carte maitresse, là.
_ Fallait m'appeler plus tôt.
_ Ouaf ouaf.
_ Putain, t'es con, pouffa-t-elle."
J'ai raccroché, il ne me restait plus qu'à attendre.

Il est à peine plus de 14 heures, soit environ 6 heures à attendre. Une petite voix intérieure me souffle "sans compter le retard" mais je la fais taire rapidement. C'est elle qui a demandé à me revoir, elle n'a aucune raison d'arriver à la bourre. Je vais donc me trouver une petite chambre d'hôtel (je n'ai même pas pris la peine de réserver avant de partir), je pose mes affaires, je vais dans un magasin de sport (il faut bien que ça serve de bosser à temps plein et demi) et je vais m'acheter du matos tout neuf : chaussures, chaussettes, pantalon et Tshirt stretch. Je redépose mes vêtements civils à l'hôtel, me change, et je vais essayer ma nouvelle armure, mon costume de super-héros, ce dans quoi je me sens le mieux, histoire de me donner confiance en moi.

Je prends le temps de m'habituer à l'air, sec, à la température, un peu fraîche pour moi, à la luminosité, diffuse à travers les nuages. Même s'il pleut j'aime ça. Même si je cours dans les bois, sous une pluie battante avec de la boue jusqu'aux joues, j'aime ça. Je vis pour ça, pour ces moments où plus rien n'existe que le vent, mes pas, le rythme de mon souffle et les battements de mon cœur. Le temps n'existe plus, je n'ai même pas mis de chrono. Je me sens presque voler. Si libre. Pas de travail, pas d'histoire d'amour compliquée, juste moi dans mon corps, vivant.

Les endorphines que la course libère me transportent jusqu'au soir. Je me sens bien. Je prends une douche froide puis je fais couler un bain chaud. Je laisse passer le temps et petit à petit, ma conscience quitte mon corps pour regagner ma tête. Ça me fait penser que ce matin, avec la précipitation de vouloir la revoir, je n'ai même pas pris de douche, je ne m'étais pas changé. Je devais avoir l'air bien piteux. Zut ! Tant pis. Oh et puis, si réellement elle m'aime, mon aspect est secondaire, c'est ce que j'ai à l'intérieur qui compte. Non ? je ne sais plus. Qu'en penserait ma confidente ?
 
Lola n'a pas pu me donner de renseignement sur la rencontre de ce midi avec Emilie. D'après le regard fuyant, les bras croisés, les jambes croisées, même ses pieds formaient un triple verrou, tout cela ne présageait rien de bon. Par contre, en fin d'entretien, lorsqu'elle a décroisé les jambes, croisé mon regard, déplié les bras pour les aligner sur la table dans un geste d'ouverture, Lola pense que ça coïncide avec le moment où je lui ai posé des questions sur elle, sur son ressenti propre, sur ce qu'elle vivait à l'intérieur et pas juste sur les manifestations externes de ce qu'elle faisait de sa vie. En bref, quand je m'intéresse réellement à elle, c'est là que nous avons eu une vraie conversation.
Bon, par contre, ça s'est fini brutalement avec son départ, mais ça peut aussi être une porte ouverte ! Elle a proposé qu'on se revoit, non ?

Un peu avant 20 heures, je suis retourné au café. Même table, même chaise, les yeux rivés sur la porte d'entrée. Je lui ai laissé la première demi-heure de politesse. Elle se prépare sûrement, se fait belle, se parfume, se maquille. Eh oh, ce matin, je sortais d'un avion, à peine recoiffé et sans me brosser les dents. Elle n'est pas obligée de se mettre sur son 31 non plus.
La deuxième demi-heure aussi, elle doit se douter que j'ai des choses à lui dire, je n'aurais pas fait tout ce chemin pour rien, et elle aussi doit avoir des choses à me confier, un genre de pesanteur sur le cœur qui ne demande qu'à se libérer. J'ai passé la première heure à rêver.

La deuxième heure par contre, je suis passé par à peu près tous les sentiments disponibles. Le déni d'abord, non, ce n'est pas possible qu'elle ait oublié. Elle ne peut pas m'avoir posé un lapin, je n'y crois pas. Ce n'est pas possible.
Puis la colère : pour qui se prend-elle ? non mais ! moi qui l'ai ramassée à la petite cuillère, qui lui ai remonté le moral à coup de chansons et de mots doux, qui lui ai regonflé l'amour propre, c'est comme ça qu'elle me remercie !!! bordel !

L'humiliation : non mais oh Georges, tu te rends compte de ce que tu dis ? l'amour est une réponse adaptée face à quelqu'un qui t'a évité le suicide ? tu es sûr que c'est comme ça que tu veux être récompensé ? si on peux parler de récompense. Un acte généreux n'est-il pas dénué de rémunération ? ou bien tu t'attendais à gagner ses faveurs peut-être ? c'est ça que tu veux ? une relation dominant-dominé ? elle te sera redevable à vie, de sa propre vie, d'être sortie de la dépression grâce à toi et donc tu pourras la baiser autant de fois que tu voudras, hein ?

La contrition : je ne suis qu'une merde en fait. C'est vrai. Oui, je voulais juste la baiser. Je ne suis qu'un connard qui pense avec sa bite. Et puis qui voudrait de moi ? j'ai baisé la sœur de ma meilleure amie, et je l'ai perdue par la même occasion. Les deux personnes qui comptaient le plus pour moi, je les ai trahies. Je ne suis qu'une petite merde. En plus, je suis parti aux antipodes pour quoi ? pour fuir certainement. Et une fois aux tropiques, je n'arrête pas de faire des aller-retours vers la métropole. Je ne sais pas prendre une décision pour moi. Je ne vaux rien. Emilie a raison de me planter.

La relativisation : oui mais bon, tu essayes d'être honnête, d'aller au bout des choses, en quête de vérité, de sens, un genre de Spock avec des sentiments. Euh...donc, pas du tout Spock en fait. Oui, un petit Captain Kirk.

L'humilité : oui bon, passer de sous-merde à Captain Kirk, il y a un grand écart, faut pas exagérer non plus. Un juste milieu ? Tu essayes d'être un humain à la hauteur et ce n'est pas facile tous les jours, qui veux aimer et être aimé, c'est légitime.

La négociation : Ok, elle est libre, c'est un humain elle aussi, avec son libre arbitre, elle est maîtresse de sa destinée. Si elle choisit de voir son avenir sans moi en tant que petit ami, je dois le respecter. Mais tout de même, ça ne se fait pas de poser un lapin. Tiens, je vais lui écrire de ce pas, elle peut tout de même m'accorder cinq minutes, juste cinq petites minutes ! je lui dis ce que j'ai sur le cœur et je me casse.

Je saisis mon téléphone : j'ai juste le temps de lire "vous êtes en train de courir 5km450 en 6h32mn25s" et le téléphone s'est éteint. Et merde. J'ai du brancher l'appli par réflexe et pas éteins après. Oh bordel. Je fais comment moi maintenant !

Bon réfléchissons. Faisons appel à la logique. Bah tiens, Spock, reviens ! Je prends mes oreilles les plus pointues et je fais carburer les méninges. C'est difficile. J'ai couru, je n'ai pas mangé et je n'ai même pas osé commander à manger pour ne pas passer pour un goujat au cas où elle arriverait.

Pourquoi ne viendrait-elle pas ? Emilie, j'ai besoin d'une explication. Dressons un profil de personnalité. Commençons par les faits : elle a été dépressive, mais c'est une personne enjouée, qui est très belle et qui le sait. Elle est aussi intelligente et sait comment être entourée. Elle est épicurienne et elle a su se sortir d'une situation pénible, elle a donc beaucoup de ressource.

Les suppositions maintenant : il est possible qu'elle garde une cicatrice de cet événement tragique, traumatisant et qu'elle ait perdu confiance en elle. C'est même très probable. Par extrapolation, si elle n'a pas su garder son oncle malgré tout l'amour qu'elle lui portait, il est fort probable qu'elle réagisse aux attentions d'un homme par la distance de peur de le perdre également. Je sens que je brûle.
De ce fait, si elle a peur de perdre à nouveau un être cher, je suppute qu'elle ait dans un premier temps proposé de le revoir parce qu'il lui apporte du bonheur, mais par peur, ce soit dégonflée au moment où les choses auraient potentiellement pu devenir plus sérieuses. Par conséquent, elle ne m'a pas posé un lapin, elle est juste chez elle, paralysée par l'angoisse de me perdre si jamais elle se laisse aller à ses sentiments ! Voilà ! elle est là, la solution ! je vais aller chez elle et la rassurer de toutes mes forces ! puis je démissionne de l'hôpital des tropiques et je trouverai bien un poste à sa proximité. Je n'ai même pas besoin de prendre mon billet de retour et peux tout faire à distance. T'es génial mon petit Georges. Sherlock Holmes serait fier de toi.

Vu que je connais son adresse, j'y vais d'un pas alerte. Je suis sûr de la trouver chez elle. Ok, bon maintenant, révise ton discours. Que vas-tu lui dire qui va à la fois la rassurer, ne pas la faire fuir, lui donner confiance en toi, lui faire ouvrir sa porte, ses bras, son cœur ? Vas-y, lance-toi, balance ce que tu as de mieux.
"Emilie, je sais que tu as peur et moi aussi. J'ai peur de te perdre parce que tu es mon rayon de soleil, ma lumière, tu me rends heureux et je suis fou de toi. Ça fait longtemps qu'on se tourne autour et je ne sais toujours pas ce qu'il y a entre nous mais j'espère que c'est de l'amour. En tout cas moi je t'aime Et si cet amour est réciproque, alors j'espère de tout cœur que nous ne serons plus séparés"

Pas mal, pas mal du tout. William Sheller a fait mieux, mais je n'ai pas de piano à disposition.

La météo semble approuver mon romantisme en m'offrant à la fois de la pluie et un clair de pleine lune, sa lumière et celles de la ville se reflétant dans les flaques, ondulant sous l'impact des gouttes. Je me précipite encore plus vite chez elle, vers un tournant de mon destin, un marqueur, une borne qui désigne ce moment dans le temps : "il y a un avant et un après à partir de ce point précis".

J'arrive. Je frappe à la porte.


...To be continued













Non, je déconnes.


J'entends des pas. Elle est chez elle ! Yes ! Je l'entends déverrouiller, elle m'ouvre dans la même tenue avec laquelle elle m'avait accueilli quelques mois plus tôt, son gros pull noir à grosses mailles transparentes. Elle est totalement nue dessous, encore. M'attendait-elle ?
Je prends mon courage à deux mains et ma respiration, je vais pour m'élancer et un grand mec apparait dans l'embrasure de la porte. Il est nu lui aussi, il n'a pas de pull. Il est en érection.

En réalité, elle ne m'a pas posé de lapin, elle m'a supplanté avec un rhinocéros. Je vois sa corne, là, juste devant moi, je n'arrive pas à la lâcher du regard, on dirait qu'elle va me transpercer. Tiens, d'ailleurs, je ressens comme une douleur pectorale.

"_ Qu'est-ce que tu fais ici ?
_ Euh...je t'attendais au café et...
_ Et t'as pas deviné qu'après 1h de retard je ne viendrai jamais ?
_ Euh...non, ce n'est pas à ça que j'ai...
_ Bon, t'es gentil mais je suis un peu au milieu d'un truc, là, donc si tu pouvais nous laisser ça m'arrangerait.
Le rhinocéros intervient : _ Sinon il pourrait nous rejoindre, non ?
_ Putain, toi, je ne t'ai vraiment pas choisi pour ta cervelle. Allez, retourne dans l'appart." La porte se referma sur moi.

Tout de suite, la lune et la pluie, je les trouve un peu moins romantiques. J'ai les pieds mouillés, ma veste est adaptée aux tropiques mais pas au climat tempéré, j'ai froid, j'ai faim, je n'ai pas mangé depuis 8 longues heures. J'ai traversé un quart de la terre pour me prendre un râteau et une porte. Je ne sais pas si, à ce niveau, je ne pourrais pas prétendre au livre des records.

J'appelle la compagnie Air Tropique, j'ai envie de rentrer chez moi. On peut avancer mon vol à dimanche matin, enregistrement à 5h. Le temps de prendre le train, il faudrait que je parte d'ici dans 3 heures. Du coup, je ne vais pas dormir non plus. J'ai largement le temps de rentrer à l'hôtel, je n'ai rien pour me changer à part mes vêtements de sport pleins de sueur. Il n'y a plus d'eau chaude. Je pars comme ça vers la gare, poireaute sur un ban en attendant mon train pour l'aéroport. Comme je ne suis pas parti pour dormir, je prends un café. J'en profite pour le siroter lentement, me réchauffer les mains avec. Il ne fait pas si froid que ça, une vingtaine de degrés mais venant des tropiques, forcément, la différence est plus grande. Et puis, la température ressentie est polaire vu les événements récents. Vu l'heure, vu mon état vestimentaire et ma gueule, vu mon café vide à mes pieds, un mec a pris pitié de moi et m'a laissé une pièce dans le gobelet.

C'est l'horreur totale. J'ai envie de m'enfoncer dans une grotte et de ne plus en sortir. Putain, mais qu'est-ce que je vais devenir ?


La suite au prochain numéro.









lundi 17 septembre 2018

Masse nuageuse en approche

C'est horrible, je suis un monstre mais je dois être honnête : le sexe de rupture, c'est... C'est un chardon au chocolat, une praline au piment.

Fenouil m'a lâché les cheveux, s'est assise sur le lit, baissé le regard, en silence.

Que faire ? la consoler ? c'est moi qui suis responsable de ses larmes (pleure-t-elle ?). Partir ? je serais le pire des goujats. Ne pas bouger, ne rien dire ? je ne sais pas, c'est peut-être le moins pire à faire. Alors je patiente, nu, toujours à genou au bord du lit.

"_ Je dois reconnaître que tu es honnête. C'est rare. J'apprécie. Mais je ne peux pas dire que ça me plait.
Je me lève pour lui caresser la joue, m'excuser, lui parler en face à face. Je pose un genou sur le bord du lit, elle toujours la tête baissée, mon sexe à moitié en train de dégonfler passe par inadvertance sur ses cheveux. Elle l'attrape au vol à pleine main et le serre fort.
_ Par contre, je t'interdis de débander. Tu n'étais pas obligé de dire la vérité, tu l'as fait, c'est un choix courageux mais je ne devrais pas en payer le prix. Viens là.

D'une main ferme derrière le genou, elle me déséquilibre, je tombe sur le dos contre le lit. Elle serre fort, très fort, à la limite entre le plaisir et la douleur, l'engloutit presque jusqu'à la garde et aspire, avidement, comme un sucre d'orge précieux à qui elle ne laisse aucune échappatoire.
_ Tu partiras quand je te le dirai. Mais avant...
Elle me pompe farouchement, en même temps qu'elle fait des montées et descentes avec sa main droite, celle qui ne m'a toujours pas lâché, elle me regarde droit dans les yeux. Son regard a changé : j'ai effectivement en face de moi une lionne et je ne sais pas si je suis son lion ou sa proie.

Tout en m'astiquant (notez le "m" apostrophe, heureusement qu'il est là) elle libère sa bouche, glisse une main vers sa table de chevet, m'enfile une protection et d'un mouvement fluide, expert, monte à califourchon au dessus de moi, toujours mon sexe en main, m'introduit en elle et me chuchote à l'oreille :
_ Là aussi, tu ne pars pas avant moi. Je réclame un orgasme, tu me dois bien ça."

Pendant l'introduction, sa tête bascule en arrière, libérant sa crinière sauvage qui se balance de haut en bas, en mesure avec ses coups de bassin. Je pose mes mains sur ses cuisses et l'aide dans ses mouvements, imprimant par ci par là une petite impulsion délicate. Mais rapidement, je me rends compte que ce n'est plus de la délicatesses qu'elle veut. Elle m'attrape les mains, les remonte vers ses hanches tandis qu'elle augmente la cadence pelvienne.

Je n'en peux plus d'être allongé, je me redresse, juste le torse. Elle en profite pour relever les jambes et les placer autour de moi tandis que je m'assieds en tailleur. Ses mains sur mes fesses, les miennes sur les siennes, elle a toute latitude pour imprimer tous les mouvements au rythme et l'amplitude qu'elle désire.
Ses saccades sont vives et musclées, elle transpire à grosses gouttes, je sens la pression monter en moi tandis que je sens son intimité se resserrer tout doucement puis palpiter. C'est le moment que je choisis pour la plaquer plus fort contre moi et à mon tour cadencer plus fort. Nous unissons nos cris à défaut de nos coeurs, ou plutôt j'émets un petit râle tandis qu'elle rugit en me griffant le dos, des larmes ruisselant sur ses joues.

Ses mouvement ralentissent, ses pulsations internes aussi, elle dépose sa tête contre mon épaule, ses cheveux cascadant sur mon dos, sa respiration haletante se mue petit à petit en sanglots. Je tente un baiser dans le cou et des bras réconfortants autour d'elle. Elle me rejette fermement, toujours en pleurant, me murmure de me casser.

Je n'ose rien dire, je file la queue entre les jambes, je me sens honteux, piteux, nul. Pire ! négatif, moins que zéro. Etait-ce absolument indispensable de lui révéler que c'est le bordel dans mon coeur ? N'eusse-t-il pas été plus judicieux, que dis-je! plus respectueux, de ne carrément pas venir avant d'avoir laissé décanter mon trouble sentimental ?
Mais non, Georges a réfléchi avec sa bite, sa queue, son appendice, sa gaule, son gourdin, sa biroute. Et Georges a eu ce qu'il a voulu : du sexe. Mais avec les plaisir de la chair, des larmes, du chagrin, en somme, du stupre.

Je ne suis pas fier de moi, et c'est peu dire.

De retour dans mon ile, la mine piteuse (et non pas la pine miteuse) Lola tente tant bien que mal de me remonter le moral :
"_ Non, c'est clair, tu n'as pas été un parfait gentleman.
_ Merci Lola, vraiment ça m'aide, dis-je avec toute l'ironie possible dans ma voix.
_ Non mais ok, faut reconnaître que tu as merdé mais ... en même temps, t'as de quoi être fier.
_ Hein ? je lui ai brisé le coeur, elle a fondu en larmes dans mes bras et m'a chassé comme un mal propre, ce que j'ai entièrement mérité. Et par la même occasion, elle en a sûrement parlé à sa soeur, Milène, et il y a de fortes chances pour qu'elle non plus ne me parle plus jamais. Je ne vois pas quel positif je peux retirer de tout ça.
_ Attend ! le mec, il est capable de donner un orgasme sur commande, quoi ! allo ! Ca aurait été moi, le mec, je l'aurais gardé tout le weekend histoire de bien passer ma frustration dans le sexe, changer les larmes en sueur et se quitter bons amis, épuisés mais ravis.
_ Fallait-il que l'on s'aime et qu'on aime la vie ?
_ C'est ça mon petit Charles !
_ Non et puis le plus ridicule, c'est qu'elle m'a viré de sa chambre en pleine nuit, que je n'avais nulle part où dormir et que je me suis démerdé comme un con pour trouver un transport et me ramener à l'aéroport, changer mon billet et rentrer plus tôt que prévu.
_ Ouais mais ça mon petit père, tu l'as bien mérité.
_ Tu as entièrement raison, je l'ai bien cherché.
_ Bon, si on retournait à cette visite ?"

Depuis mon retour, les autres médecins du service ont profité de mon absence de congés pour les 6 prochains mois pour eux-mêmes poser leur congés en étant sûr que j'allais assurer la continuité de soins. Bon, en théorie, c'est bien de leur part de penser aux patients et de ne se barrer que quand un des leurs reste. En pratique, je dois gérer un aile entière d'hospitalisation à temps plein, plus les avis dans les services, plus les explorations à mi temps. Ca fait un temps plein et demi.
Comme les explorations sont fermées la moitié du temps, Lola vient prêter main forte à l'équipe infirmière quand elle n'y est plus. En vrai, c'est quand même beaucoup plus sympa de bosser avec elle, et réciproquement, même si c'est 60 heures par semaine.

Nous voilà donc tous les deux, à faire notre visite pseudo-professorale, de chambre en chambre, d'abord la pré-visite dans le bureau, à discuter de tous les dossiers puis directement dans les chambres. J'ai toujours eu horreur des discussions de dossiers dans les couloirs, je trouve ça extrêmement irrespectueux, comme si savoir ce qu'on a retrouvé dans l'anus de Monsieur Machin était une information divulgable au grès du vent et discutable entouré des voisins du patient. C'est ce qui s'appelle avoir la raie publique.

Par contre, dans le bureau, ça ne nous empêche pas de parler caca autour d'un café, ça, ça va. Nous parlons aussi du turn over. Alors ça, qu'est-ce ? c'est très simple. Les patients ont 2 moyens de rentrer à l'hôpital : soit directement sur rendez-vous (via le médecin traitant) soit via les urgences qui cherchent désespérément à caser l'afflux massif qu'ils reçoivent. Parce que le problème vient de là : comme il n'y a plus que des services de spécialité et plus aucune hospitalisation de médecine générale (ou alors c'est une perle rare), les médecins spécialistes ne veulent recevoir en hospitalisation que des cas qui les intéressent, c'est à dire des cas de leur spécialité. Certains médecins s'arrangent pour avoir un flux continu de rendez-vous d'hospitalisation et n'avoir aucun intervalle libre qui laisserait de la place à l'improvisation des urgences et donc potentiellement à des cas qui ne les intéresseraient pas.

Leur argument, c'est que, comme ce n'est pas leur spécialité, ils risquent mal s'en occuper et que ce serait au détriment du patient.

Du coup, les urgences se retrouvent confrontés à ces services surbookés 1 mois à l'avance et n'ont plus de places pour hospitaliser ne serait-ce qu'une nuit. Ayant fait des gardes aux urgences, je connais bien le phénomène. Quand je gère une aile du service, je me débrouille pour laisser des places pour les urgences.
Sauf que, les pauvres, voyant que des places se libèrent, ils casent les patients les plus lourds, les pathologies les plus pourries. Moi j'aime bien, ça me permet de ne pas perdre ma formation généraliste. Par contre, pour les équipes soignantes, se retrouver avec des patients agités, des plaies qui prennent 1h30, ou des patients qui puent parce qu'ils se sont vomi, pissé et chié dessus dans un caniveau avant de se faire asperger de bière par les copains, pissé dessus par un chien errant, ramassé par les pompiers pendant leur coma éthylique... ça les enchante moins. Donc, on les fait partir vite, donc ils sont remplacés par d'autres patients venant des urgences, pas forcément mieux lotis.

Ce cycle infernal de renouvellement de patients, c'est ça le turn over. Mon rôle est de garder un équilibre subtil entre les patients programmés et les patients surprises.

"_ George, la cadre des urgences appelle pour faire le point des lits, me signale Lola, une main calée sur le combiné téléphonique.
_ Nous avons 1 sortie ce matin et 2 cet après-midi, 2 entrées programmées, soit une place libre pour les urgences, réponds-je à la cadre, via Lola.
_ Il nous reste une place libre. Répond-elle promptement. Puis elle cale encore sa main sur le téléphone. Elle me demande si c'est une place d'homme ou de femme.
_ Ca dépend de l'équipe. Si les aides soignantes sont prêtes à refaire les chambres et faire déménager le patient de la chambre 404 dans la chambre seule, on peut faire 1 place indifférente. Mais ça va leur rajouter du travail.
_ Oui, on peut aussi, libérer la chambre 404 et leur dire qu'on ne prend plus personne.
_ Et leur dire que nous avons fait une erreur et qu'il n'y a plus de place à cette adresse ?
_ Oui, c'est ce qu'on appelle dans le jargon "l'erreur 404".
_ Oh joli, subtil, cultivé, référence geek, j'aime beaucoup !
_ Merci merci. Du coup, je leur dit quoi ?
_ Dis leur que nous aurons une place en milieu d’après-midi et que nous pourrons leur donner le sexe quand les patients entrants auront pris place, pas avant. Ça ne surchargera pas l'équipe inutilement.
_ Ça roule, chef !"

J'aime beaucoup travailler avec Lola, on se comprend, on se complète, ça coule de source, ça avance tout seul, c'est fluide. J'ai l'impression de faire de la bonne médecine, nos arguments et contre-arguments se renvoient la balle dans un match de gala où le vainqueur n'a pas d'importance, juste la beauté de nos joutes et par conséquent la santé du patient. C'est jouissif. Ca fait passer la pilule de devoir bosser pour les autres.

"_ Pour la sortie de Madame Michu à la 402, tu as bien fait tous les papiers de sortie ? me checklist-elle.
_ Oui, ordonnance de médicaments faite, ordonnance pour les IDE à domicile faite, bon de transport signé. Courrier dicté en attente de signature.
_ Tu as pensé à rajouter un pilulier et à prescrire aux IDE "aide à la prise médicamenteuse" ?
_ Pas con ! non je n'y avais pas pensé, en effet, je le rajoute.
_ Et sa prise de sang dans 1 semaine à domicile ?
_ En effet, encore un oubli. Que ferais-je sans toi ?
_ De la merde.
_ Ah non ! j'ai pensé à ses bas de contention, tu vois ! Ah ! rajoutais-je d'un air narquois.
_ Très bien Docteur ! et tu as évidemment prescris aux IDE à domicile d'aider la patiente à les mettre tous les matins. N'est-ce pas ?
_ Euh...et bien...euh, je le rajoute de ce pas !
_ Mouais.
_ Sans déconner, comment tu fais pour penser à tout ça ?
_ D'abord, les infirmières ne sont pas les pense-bêtes des médecins mais il ne faut pas oublier qu'ils ont un afflux de sang trop important dans leur ego ce qui provoque un déficit d'irrigation du cortex. En tout cas j'ai été formée comme ça. D'autre part, j'ai fait des remplacements en libéral et si l'ordonnance n'est pas bien faite, l'infirmière travaille bénévolement. Alors il faut harceler les médecins traitants pour refaire l'ordonnance de l'hôpital et ils rechignent souvent à le faire. Et quand ils le font, ils râlent. Alors éviter de faire suer l'IDE à domicile et le médecin traitant, il vaut mieux que je te fasse suer toi.
_ Bien vu.
_ Et puis ça la fout mal quand les ordonnances de sortie d'hôpital sont incomplètes.
_ Tu as carrément raison.
_ Oui, je sais.
_ Tu fais quoi cet aprem ?
_ Plage. Je bosse depuis 6h du matin. Et toi, tu ne bosses pas ?
_ Ah merde, si ! j'avais oublié. J'ai tellement pas l'impression de bosser avec toi. Si, je bosse. Pfiou, ça va être long sans toi. 3 entrées, y compris la surprise des urgences, les courriers en retard, les PMSI, la contre-visite...Heureusement que je ne suis pas de garde ce soir.
_ Bon alors on se retrouve à la plage quand tu sors du boulot ?
_ Ca roule, chef !"

Après une longue demi-journée, en effet, ça fait plaisir de pouvoir se prélasser sur le sable chaud. Hélas, passé 18h, le soleil est déjà couché. Le seul inconvénient des tropiques. Heureusement, le sable reste chaud. Je retrouve Lola à notre QG, "notre" plage, celle où nous nous réunissons quand nous ne travaillons pas ensemble.
Je n'ai pas de serviette. Je m'assieds à côté de la sienne. Elle est belle, un bronzage légèrement pailleté d'or, un paréo bleu entoure ses fesses galbées et sa poitrine parfaite. 4 livres de 300 pages nous séparent.

"_ Tu lis quoi ?
_ Hyperion, de Dan Simmons.
_ Non, tu es sérieuse ? c'est mon livre préféré !
_ Sans déconner ! je le relis tous les ans.
_ Arrête tes conneries ! moi aussi je le relis tous les ans !
_ Non mais c'est dingue. Faut que je tombe sur LE médecin qui a les même gouts que moi. Le seul qui ne soit pas insupportable au quotidien.
_ C'est clair que c'est très atypique. En général, je ne traine pas avec les collègues de boulot en dehors des heures de travail.
_ Moi non plus, j'aime bien rester seule. A force de prendre soin des autres, j'ai besoin de me ressourcer et prendre soin de moi.
_ Tu as bien raison. Moi je vais courir.
_ Moi je lis en bord de plage. Tu en es où ?
_ J'en suis au passage où Het Masteen s'est fait déchiqueter par le Gritch.
_ Non, je te parle de ta vie sentimentale.
_ Ah ! ça t'intéresse ?
_ Grave ! c'est un véritable feuilleton ! Bon, aux dernières nouvelles tu as lamentablement plaqué une blonde torride et sauvage parce que tu es amoureux d'une brune mystérieuse.
_ Oui alors bon, forcément, résumé comme ça, ça fait très série télé.
_ (prenant une voix d'annonceur télé) précédemment, dans "Urgences, gloire et beauté du Dr Georges, homme médecin", Brenda et Pamela rivalisent de séduction pour remporter le cœur du docteur. Qui choisira-t-il ? vous le saurez au prochain épisode !
_ Oh, le choix est vite fait. Pamela...euh pardon, Fenouil n'a probablement pas l'intention de me revoir de sitôt et Emilie...je ne sais pas. Elle me semble si ... inaccessible.
_ Pourquoi inaccessible ?
_ J'ai l'impression d'être si loin d'elle et de ne pas arriver à la cerner. C'est une brume qui file dès que j'essaye de l'attraper entre mes doigts.
_ Tu dis ça parce que tu ne sais pas ce que tu ressens et puis, toi qui fait de la rando en montagne, tu sais bien qu'aucun sommet n'est inaccessible. Il l'est tant que personne n'y est allé. Emilie, tu ne sauras qu'elle est inaccessible qu'une fois que tu lui auras parlé.
_ Mais...mais tu as tellement raison ! j'ai le sentiment qu'elle s'évade uniquement parce que moi-même j'élude de lui poser la vrai question !
_ Exactement ! et du coup, c'est quoi la question que tu veux lui poser ?
_ Est-ce qu'elle m'aime ?
_ Non, enfin. Ne me dis pas que tu veux attendre de connaître ses sentiment à ton égard avant de lui déclarer les tiens ! T'as peur ?
_ Oui, un peu.
_ Peur de quoi ? d'être rejeté ?
_ Bah oui ! Il y a de quoi, non ?
_ Non, on ne rejette pas quelqu'un parce qu'il a le courage d'avouer ses sentiments. Ça serait nul. Si elle fait ça, honnêtement, tu ne perds rien.
_ Ce que j'aime chez toi, c'est que tu arrives à démystifier une situation qui me semble inextricable avec facilité.
_ Je te remercie.
_ Sur ces bonnes paroles, je te laisse, je vais faire crisser ma plus belle plume et envoyer une missive d'une passion enflammée vers le cœur de ma dulcinée.
_ Fais gaffe quand même. N'envoies pas ta lettre par pigeon voyageur, tu risques te faire chier dessus.
_ Ah merci, c'est encourageant, dis-je en m'éloignant.
_ C'est pour t'aider à démystifier ! crie-t-elle, les mains en cornet autour de la bouche."

De retour à mon logis, je suis face à mon ordinateur. Que dire ? quels mots ? Lola a raison. Est-ce que je suis amoureux d'elle parce que je pense qu'elle l'est de moi ? non, parce que sinon, je serais resté avec Fenouil qui visiblement avait de forts sentiments pour moi. C'est quoi alors qui m'attire chez elle ? c'est parce que je me sens utile à essayer de la rendre heureuse ? super. Donc c'est le docteur qui essaye de soigner sa patiente. Bravo pour le cliché.
C'est quoi alors ? qu'est-ce qui me rend fou d'elle ? ce sont tous ces moments à se tourner autour probablement.

Exemples. Je vous avais raconté la fois où elle m'avait rembarré de façon extrêmement fine, rappelez-vous j'en ai parlé ici (répétez cette phrase avec la voix de Jean-Claude Ameisen). Et bien il y a encore bien des choses que je ne vous ai pas narrées.

Peu de temps après mon éconduction, nous avions gardé contact de loin. On se croisait de temps en temps dans les couloirs de l'hôpital. Un soir, j'ai su qu'elle allait à une soirée internat. Elle n'est pas le genre à aller à ce genre de soirée et ça m'a surpris. Je me suis donc arrangé pour m'y rendre également. En général, je me fais royalement chier parce que je m'emmerde : soit les gens sont beurrés comme des tartines bretonnes, soit ils sont là pour se montrer, paraître, pavaner et cette fausseté me débecte.
Je vais donc à cette soirée, pour la première fois avec le pas guilleret, dans l'espoir de l'y trouver. Elle y était en effet, accompagnée de sa cousine. En fait, sa cousine était curieuse des soirées médecine, toutes les légendes grivoises qui circulent et avait insisté pour y aller. Rapidement, nous nous sommes retrouvés tous les trois, à papoter jusqu'aux petites heures du matin. Sa cousine disait : "Tu vois, ce n'est pas si mal, ces soirées."
Emilie avait de grands yeux éclatants, rivés dans les miens, buvant mes paroles. Je ne me rappelle absolument pas de l'amoncellement de conneries que j'ai du dire ce soir, mais je me rappelle très bien de ses yeux. Et déjà, je ne savais pas s'il fallait y lire de la gratitude de faire passer un bon moment à sa cousine ou de l'affection à mon égard.  

Voilà, je pourrais commencer par là. "Chère Emilie, rappelle-toi il y a 3 ans 5 mois et 2 jours, cette soirée où tu me regardais, que fallait-il lire dans ton regard ?"
Ah oui, pas flippant du tout ! Et puis je ne fais que réagir : j'attends de connaître ses sentiments avant d'avouer les miens. Ça ne va pas, ça !

Encore un peu de temps après ça, elle m'a recontacté et m'a proposé qu'on aille manger ensemble. Elle me donna rendez-vous chez moi. Atypique, j'ai accepté. Alors, je m'habille, je me prépare, elle sonne à ma porte, j'ouvre et ... elle traverse le pas de la porte à toute vitesse en disant "Pousse toi, c'est chaud." Particulièrement intrigué, je me retourne : elle avait apporté à manger, cuisiné par ses bons soins, un plat chilien.
"J'ai pensé te faire plaisir en te faisant un plat typique de chez toi.
_ Euh c'est très gentil, mais...
_ Zafran, c'est pas chilien ?
_ Euh non, je ne crois pas.
_ Ah merde !
_ Et toi, tu as des origines chiliennes ?
_ Non, pas du tout !"
Nous éclatâmes de rire, ce qui rameuta mes deux colocs. Elles ont fini le plat, nous de notre côté, nous nous mangions du regard. A cause des mes incrusteuses, je n'ai pas pu converser correctement.
"_ Il se fait tard, tu ne veux pas que je t'aide à rapporter ton plat chez toi ? proposai-je.
_ C'est une excellente idée. Tu me raccompagnes ? dit-elle l'air ravi.
_ Avec plaisir. J'attrape mon manteau et lance une perche.
_ Et il n'y a personne qui t'attends à ton appartement ? un chat ? un amant ?
_ Non, il n'y a personne. L'appartement est vide. Je n'ai pas de chat. Et ce soir, même si j'ai 5 amants, aucun ne m'attend à la maison."
Là dessus, j'ai ressenti comme une douche froide. Je l'ai raccompagnée à ma porte et l'ai refermée doucement, elle côté rue, moi côté couloir d'entrée. Il était hors de question que je fasse partie d'une ribambelle de conquêtes qui cohabitent. En amour, je préfère avoir l'exclusivité.

Je n'ai appris que bien plus tard qu'elle avait fait un lapsus. Elle n'avait pas 5 amants en même temps mais 5 prétendants, elle avait voulu me faire un compliment en sous entendant que malgré 5 hommes qui lui tournaient autour, c'est moi qu'elle avait choisi pour la raccompagner.

Le choix des mots est important.

Tu ne crois pas si bien dire. Quels mots choisir ? J'ai l'impression que c'est "je te suis, tu me fuis et je te fuis, tu me fuis." ou "suis". Oh je ne sais plus. Vous, vous me suivez ? Est-ce que c'est vraiment ça ou est-ce que je me fourvoie ? Lola a encore raison : il faut tout de même dissiper cette brume.

L'ordi est toujours allumé devant moi. Page blanche. Je vais sur la page d'Air Tropiques et en suivant, j'écris à Emilie :

"Tu fais quoi samedi matin ? je prends l'avion, j'arrive."

Quitte ou double.




To be continued...




lundi 10 septembre 2018

La lionne

Fenouil me présente avec fierté son nouveau fief.

"_ Tu te rappelles ? la dernière fois qu'on s'était vus ?
_ Oui, je me rappelle bien.
_ Je t'avais dis que mon boulot ne me plaisait pas et que je voulais changer d'horizon. Je suis tombé par hasard sur une annonce : recherche vétérinaire, avec expérience bovine, pour gérer une épidémie sur un cheptel de buffles en Afrique. Je me suis dit, je connais les vaches, ce boulot est fait pour moi. Et en effet, c'est passionnant, je soigne des super vaches de presque 1 tonne, je contrôle leur épidémie de mouches et c'est super ! Tu savais que le problème, c'est l'homme ?
_ Comme souvent, non ?
_ Oui, mais là, ils ont pulvérisé des insecticides pour éliminer les moustiques dans les zones urbaines, ça s'est répandu à la campagne évidemment, décimé les moustiques alors forcément, les mouches piqueuses ont pris leur place. Du coup, les buffles se font piquer, ça les rend agressifs et ça diminue le tourisme. Ca fait donc moins d'argent pour sauver les espèces menacées. Tout est lié !
_ C'est vrai que ça a l'air passionnant !
_ Du coup, tu sais ce que j'ai proposé ? réintroduire des moustiques ! et ça marche !
_ Bravo, je suis fier de toi.
_ Et puis il n'y a pas que ça ! entre deux observations, je m'occupe aussi des autres animaux malades, les éléphants, les lions, les zèbres...je suis hyper contente. L'autre jour par exemple...

Je la regardais, enflammée, marchant d'un pas vif et sûr sous un soleil de plomb, déambulant au milieu de la clinique, heureuse de sa nouvelle vie, ou heureuse de me revoir, ou bien les deux, je ne sais pas. Mais c'était si bon de la voir rayonnante, crinière au vent. Elle me fait entrer dans un bâtiment à l'écart et dans le couloir d'entrée, il y a une baie vitrée, épaisse, sur ma gauche. Derrière la glace, je vois une lionne à moitié endormie, avec un bandage autour du cou et une collerette de la honte, comme le chien de "La Haut".

Elle m'observe, le regard intense, happant toutes mes émotions. Moi, je ne vois rien, à part les 3 lionceaux dans la cage. J'ai 4 ans, je redeviens enfant.
"_ Oh regarde ! des bébés lions ! ils sont trop mignons !
_ Tu veux les caresser ?
_ Non, sans déconner, je peux ?
_ Bien sûr ! j'ai opéré leur mère ce matin, je t'ai dis tout à l'heure. Elle va encore dormir jusqu'en fin de journée. Je t'attendais pour leur donner le biberon.
_ Oh c'est hyper adorable ! Merci !"

Nous rentrons dans la cage, et mes testicules dans mon abdomen, avec la lionne ensuquée à moins de 2 mètres de nous. Elle attrape un lionceau, me le pose délicatement dans les bras et en attrape deux autres.
Nous changeons de pièce, un genre de nurserie, où son aide avait déjà préparé 3 biberons. Elle tend un lionceau qui se réveille doucement de la sieste à son aide et, chacun le sien, nous donnons le biberon à nos bébés poilus.
Le miens baille et empoigne son repas entre ses grosses pattes déjà bien griffues et je jubile. J'en ai les larmes aux yeux.

"_ Fais gaffe, hier, il y en a un qui m'a mordu un sein.
_ Oh merde, ça doit faire mal.
_ Un peu oui. J'ai dû mettre ma main dans sa gueule pour qu'il me lâche. Mais ça va, pas besoin de ponts de suture.
_ Mais comment...tout ça...toi...les bébés lions...
_ En fait, comme je t'ai dis, on a trouvé la lionne l'autre soir près de la frontière du parc. Des braconniers l'avaient endormie et voulaient l'emporter avec eux. Ils avaient attaché une corde autour de son cou et tiraient comme des brutes. Elle était enceinte et ils voulaient vendre les lionceaux. La patrouille de nuit les a vu, ils ont fui et m'ont rapporté la lionne. Je l'ai accouchée dans la nuit, opérée en suivant et j'ai refait le pansement ce matin. C'est pour ça qu'elle est endormie.
_ Oui, je comprends que tu kiffe ton job. C'est génial !
_ Oui c'est vrai, je suis bien plus heureuse qu'avant."

Au bout d'un moment, après de multiples papouilles dans ses petites peluches vivantes, il a bien fallu les déposer avant que la mère ne se réveille. Nous sommes sortis de la clinique, elle a pris le volant d'une Jeep et nous avons poursuivi notre route vers son gite.

Sur la route, je voyais sa chevelure blonde virevolter dans les airs, une crinière de lionne en liberté, heureuse d'être ce qu'elle est, enfin autonome, maîtresse de son destin. C'est beau à voir. Cette image m'a ramené à un autre tableau. Dans l'appartement d'Emilie, il y avait plusieurs toiles, dont une, "La lionne" de Gericault. J'aime la peinture, depuis longtemps. Depuis que j'ai vu "la Pie" de Monet, depuis que j'ai été subjugué de voir qu'avec peu de couleurs, le peintre arrive à retranscrire le froid, la nature, la liberté...comme si on les regardait à travers la fenêtre, bien au chaud au coin du feu. C'est un tableau qui me donne chaud et me donne envie de me blottir confortablement avec un thé.

Emilie avait "La Lionne" dans son petit salon.
"_ Tu vois ce regard intense et profond ? tu peux lire la détermination dans ses yeux, ce petit côté qui prévient que si tu marches sur son territoire elle te bouffe. J'aime ce tableau. Il me rappelle comment je dois me comporter dans un milieu aussi rude que l'hôpital."
Je connaissais ce tableau avant, mais le voir à travers les yeux d'Emilie m'en a donné une toute nouvelle dimension, davantage de profondeur.

Perdu dans mes pensées, je n'ai pas remarqué que nous étions presque arrivés. J'ai juste eu le temps de voir le soleil couchant rougeoyer, se reflétant dans un petit lac en contrebas où s'abreuvaient les gnous. Le crépuscule embrasait sa crinière et donnait un éclat de braise à ses joues.

Nous sommes rentrés dans son lodge, en terre, bois et paille. Pas de clim mais un ventilateur géant au plafond de l'unique pièce. La déco était...comment dire...pittoresque. Probablement faite pour ne pas dérouter les fantasmes du touriste. De fausses peaux de zèbres aux murs, de vrais tapis de paille tressée au sol, du bois, encore du bois, des draps marrons et un couvre-lit léopard en nylon.

J'ai posé mes bagages, elle a déposé ses clés, posé ses poings sur les hanches, m'a regardé avidement.
"_ Je ne serais pas contre une douche. Et toi ?
_ C'est pas de refus."

Nous nous sommes déshabillés l'un en face de l'autre, lentement, ne nous lâchant pas du regard une seconde, même au risque de tomber en s'emmêlant dans mon pantalon. Puis direction la salle de bain. Elle est rentrée la première, a agrippé le pommeau et m'a aspergé d'eau froide. S'en est suivie une petite bataille d'eau froide, juste le temps que l'eau tiédisse puis on ne laisse qu'un filet, quelques gouttes, une petite pluie.
J'ai attrapé le carré de savon de Marseille et j'ai délicatement commencé à le frotter contre ses épaules, descendant progressivement vers son dos, je passe vers l'avant, sur son nombril et elle me l'attrape des mains, le frotte jusqu'à ce que ça mousse bien. Pendant ce temps, je caresse le creux de ses reins de la main gauche, ma main droite monte, passe l'épaule, redescend, attrape le sein droit, le fais mousser, doucement, passant délicatement le téton entre mes phalanges, sans serrer, juste ce qu'il faut de pression.
Elle, de ses mains glissantes, m'attrape les fesses, les plaque contre elle, apprécie leur rotondité (la course, faut bien que ça serve à quelque chose). Moi, ma main gauche passe sur sa hanche gauche, ma droite sur la hanche droite, je continue de faire mousser, de l'intérieur des cuisses jusqu'à la base des seins. Ce n'est qu'à ce moment qu'elle tourne la tête, seulement la tête, pour m'embrasser, gardant son dos plaqué contre mon ventre. Sa main droite me caresse la joue tandis que sa main gauche empoigne ma virilité, fermement, juste ce qu'il faut.
J'en profite pour savonner sa cuisse droite, qui s'ouvre comme on tourne la page d'un livre, m'offrant son intimité. Mais je n'y vais pas. J'attrape son genou pour le lever vers moi, je passe ma main sur l'intérieur des cuisses jusqu'à la naissance de la jambe et ... je remonte vers le nombril, le sein.

Ce revirement de direction l'a fait me serrer plus fort, commençant des va et vient, frottant mon gland contre sa fesse gauche. Ce changement d'intensité m'a fait raffermir ma prise sur sa cuisse, serrant fort la chair contre moi, l'ouvrant davantage (elle est souple !). Je rince ma main sur le filet d'eau s'égouttant du pommeau et je commence à passer mes doigts juste à la surface de sa petite toison coupée court. Je la sens se cambrer. Elle doit apprécier.

Je fais faire des petits pas avec mes doigts, descendant du nombril vers sa toison, tout doucement, l'index marchant doucement sur son ventre, puis le majeur, puis l'index, pour finalement poser délicatement mon majeur sur son clitoris, je fais de petits ronds, avec mon index et mon majeur, j'étreins les petites lèvres, les capturant entre mes phalanges, puis je remonte, je redescends, je remonte...enfin vous voyez. Elle pendant ce temps, elle s'active sur moi, me serre fort mais point trop n'en faut, capture la naissance de mon gland entre son pouce et son index et joue avec.
De mon côté, mon majeur s'aventure plus impudiquement pour se diriger vers un endroit plus moite encore que l'eau qui nous enlace. En le courbant comme un crochet, j'effleure un endroit cartographié par le Dr Graffenberg, enflé, sensible, pulsant.

Elle se retourne, me regarde droit dans les yeux, m'embrasse le torse, puis le nombril, toujours en me fixant. Elle n'a toujours pas lâché mon membre de la main et maintenant, elle l'embrasse à son tour, toujours en me sondant de ses yeux bleus. Puis sa langue passe délicatement sur mon frein, c'est doux, c'est bon, ses lèvres déposent un baiser délicat sur la pointe du gland, en fait le tour avec sa langue et elle l'engage dans sa bouche jusqu'à sa main. Mon sexe repose sur sa langue qu'il caresse doucement avant de remonter et recommencer. Elle ferme les yeux. Je lève les miens au ciel et gémis. C'est bon.

Subitement, elle arrête son étreinte, un petit sourire malicieux au coin des lèvres en m'annonçant : "On va manger ? j'ai faim."

Il me faut un moment pour revenir à moi. Je ne me rappelle même pas ce qu'on a mangé. En vrai, je suis un peu perdu : j'ai une femme magnifique à ma table, elle est heureuse, pleine de vie et je repense au mois qui s'est écoulé.

Depuis mon séjour chez Emilie, depuis que je lui ai remonté le moral, on s'est écrit, beaucoup, fréquemment, presque tous les jours. Ca a commencé de façon anodine...

"_ J'espère que tu vas mieux depuis mon séjour chez toi. Je voulais te dire que tu comptes beaucoup pour moi et que ça me fait de la peine de te voir triste. Alors, pour te remonter le moral, voici une chanson. "

Peu de temps après, elle me répondit :
"Oh c'est trop chou ! merci de me remonter le moral. Je n'ai pas d'ami comme toi."

J'ai répondu : "You're my best friend"

Alors elle a répondu : "Si tu me lances sur les classiques alors ...voilà, prends ça ! Battle de chansons !"

Du coup, forcément, j'ai répondu "La guerre est ouverte ! Wouhou ! Tu sais, j'ai passé un jour parfait avec toi et j'aimerais que tu sois là."

Elle a renvoyé : "Tu me fais chialer, sincèrement. J'ai tant besoin de toi."

Forcément, j'ai renvoyé : "Je n'arrête pas de penser à toi."

Evidemment, la réponse a été : "Je te veux, près de moi."

J'ai noté la virgule, je me suis enflammé. Du coup, obligatoirement, ma réponse a été : "Il n'y a pas de montagne assez grande pour me séparer de toi".

Elle répondit : "Il y a tellement de choses que j'aimerais faire si tu étais là avec moi. Je ne saurais faire de liste. Heureusement, il y en a d'autres qui l'ont fait pour moi."

Bon, on est d'accord. C'est une chanson d'amour. Genre, elle n'ose pas me le dire, mais elle éprouve des sentiments pour moi, là c'est clair. Sans équivoque.

Du coup, par voie de conséquence : "Bouge pas, je cours vers toi." J'avoue, j'ai un peu hésité à lui envoyer ça, mais bon...

Cordialement, elle répondis : "Ouh, tu envoies du lourd niveau kitsch. Supporteras-tu ça ?"

J'ai failli en tomber de ma chaise. Non seulement elle m'envoie du gros pâté de bouse intergalactique, mais en plus, elle m'avoue à demi-mot qu'elle sait que je l'aime en secret. C'est énorme !!! Alors j'ai essayé de calmer le jeu parce que bon, à distance, ça ne sert à rien de s'enflammer les sous-vêtement par chanson interposée.

"Ne t'inquiètes pas, on trouvera l'amour, tous les deux, faut juste être un peu patient. "

Et là, je n'ai pas compris : "Désolé, je ne supporte pas le disco."

Oh la vache, la douche froide. Mais comment faut-il que je le comprenne ? est-ce qu'elle me dit qu'elle, en retour, ne m'aime pas ? et que veulent dire toutes ces chansons avec du "Je te veux" par ci et du "j'ai besoin de toi" par là ? ou alors a-t-elle des goûts musicaux absolument intransigeants ? moi j'aime bien écouter de la merde de temps en temps. Sommes-nous compatibles musicalement, c'est important pour moi. Et puis le disco, c'est pas tant de la merde que ça !
Du coup, je fais quoi ? je pense quoi ? je ressens quoi ? Ca m'obsède.

J'ai laissé un peu d'eau couler sous les ponts et je suis revenu en catimini, toujours par email :

"Alors ? comment ça va ?

"Beaucoup mieux, en grande partie grâce à toi. Je ne sais pas comment je pourrai un jour te remercier."

"Va mieux, déjà, ça sera bien."

"Merci, ça me touche beaucoup. Tu sais, je pense que mon coeur est guéri et que je suis prête à rencontrer quelqu'un."

Je crois que c'est cette phrase qui m'a marqué. La dernière fois qu'on s'était vu, elle m'avait dit que quand son coeur irait mieux, elle aimerait tomber amoureuse de quelqu'un comme moi. Forcément, ça me va droit au coeur, et j'aimerais être le chanceux qui pourra entrer dans son coeur.

Et là, j'ai la petite voix de Lola qui me glisse : "Tu es sûr que ce n'est pas plutôt dans sa culotte que tu veux entrer ?". J'ai gloussé comme un petit dindon.

"_ Qu'est-ce qui te fait rire comme ça ? me demande Fenouil avec un éclat de malice au coin de l'oeil.
Mince alors, ça fait au moins un quart d'heure que j'ai perdu le fil de la conversation.
_ C'est toi ! je suis tellement heureux pour toi, ta vie a complètement changé, tu es épanouie, tu aimes ce que tu fais, c'est beau. Alors je ris parce ça me réjouis. Hop là, pas vu, pas pris. 
_ Oui c'est vrai. Tu peux aussi me dire qu'avec le voyage et le décalage horaire tu es un peu fatigué.
_ C'est pas faux.
_ Alors retournons dans la chambre, d'accord ?"

En introduisant sa clé dans la serrure de la chambre, je commence à passer ma main droite sur son épaule, elle soupire de plaisir, tend la tête vers le haut, ferme les yeux. Je glisse ma main gauche sur son cou, d'abord juste au dessus du sternum puis je remonte vers son menton et l'oblige délicatement à tourner sa tête vers moi, je passe mon menton rêche dans ses cheveux, respire son parfum un peu musqué et je l'embrasse sur la bouche, langoureusement, chaleureusement.

Elle ouvre la porte de sa chambre, sans casser mon baiser, nos lèvres restent collées, elle se retourne et me saisit par le col, m'entraîne vers elle. Tout en m'embrassant, elle attrape ses grosses chaussures de brousse et ses socquettes et les envoie valdinguer de ci de là. Puis elle arrache littéralement ma chemise, un ou deux boutons volent à travers la pièce. Je fais de même avec sa chemise, des bouton-pressions, c'est plus pratique. J'en profite pour enlever mes chaussures d'un coup d'orteil bien placé sur les talons. Tout ça, sans me casser la gueule. Je passe mes mains sur sa peau douce, juste au dessus de la taille, fais glisser sa chemise en caressant ses épaules et je redescends vers son soutien-gorge. Il se dégrafe en un claquement de doigts, je n'ai jamais été aussi dextre.

Elle enlève frénétiquement les boutons de mon pantalon (je n'aime pas les fermetures éclairs). Et alors, je ne sais pas pourquoi mais j'ai commencé à lui demander, toujours en l'embrassant :
"_ Est-ce que ... tu sais... pourquoi ... il y a ... écrit ... Y ...KK... sur ...les ... braguettes ?
_ ...Rien ... à... foutre !"
Et, de rage, descend tout mon pantalon sans défaire plus que les deux premiers boutons.

Elle s'allonge sur le couvre lit en faux léopard, je l'attrape par la taille, embrasse son nombril, puis un peu en dessous et encore en dessous, tout en retirant tout doucement son pantalon, histoire de l'enrager. Ca fonctionne. Ses yeux s'embrasent, elle se mord la lèvre et rugissant. Je récidive avec sa culotte, elle halète. J'embrasse son triangle de Scarpa (pour les anatomistes), je la sens pulser sous mes lèvres, de plus en plus vite, de plus en plus fort.

Une fois les sous-vêtements évincés, j'embrasse son mont de Venus, je descends vers la jonction des grandes lèvres puis celle des petites, et je laisse dépasser un tout petit bout de langue, juste à peine, et je commence à laper, comme un petit chat, le petit bouton que je sens poindre sous ma légère pression. Je vois naître une petite oasis d'humidité au milieu de cette savane, je viens m'y abreuver. C'est le genre de source où plus on y pose les lèvres et plus elle abonde. Une sorte de corne d'abondance qui remercie la générosité de son buveur.

Je n'ai jamais compris les égoïstes qui pensent uniquement à leur propre plaisir. Le summum de l'hédonisme c'est au contraire de donner la priorité à la jouissance de son ou sa partenaire.

Enfin bon, plus prosaïquement, j'adore le cunnilingus. Sentir vibrer le corps de ma partenaire simplement via ma bouche et éventuellement ma main, ce n'est pas de la soumission, c'est un pouvoir immense ! Et à grand pouvoir, grandes responsabilités. Ne devrais-je pas être honnête avec elle ?

"_ Mmm, c'est bon ce que tu me fais.
_ Merci, j'aime te le faire tu sais.
_ Oui mais tout le monde ne le fais, je te le garantis.
_ Ah mais je réserve ça aux personnes qui comptent vraiment pour moi, celles pour qui j'ai des sentiments forts.
_ Ah ? tu es amoureux ? dit-elle en me lançant un clin d'oeil.
_ C'est encore un peu tôt pour se prononcer, tu ne crois pas ? Ca fait quoi, 6 mois qu'on se connaît ? et on n'a passé que 2 weekends ensemble.
_ C'est vrai. Tu as largement eu le temps de rencontrer d'autres personnes.
_ Oui, c'est vrai, mais non.
_ Ah bon, ça fait 6 mois que tu n'as couché avec personne ?
_ Absolument, dis-je en retournant entre ses cuisses.
Elle halète mais ne perd pas sa concentration.
_ Si je comprends...bien...tu n'as couché avec ... personne mais ... tu as rencontré ... d'autres personnes.
_ Si c'est important ... de savoir ça ?
_ Non non juste ... je suis curieuse. Ca serait con que ... depuis le temps ... tu sois tombé ... amoureux d'une autre.
_ Ah ah ah.

Je ne sais pas, je n'ai pas du faire exprès, mais il devait y avoir un soupçon de doute ou d'hésitation dans ma voix et ça n'a pas échappé à cette clinicienne hors pair.

_ Non, sans déconner, regarde moi.
Elle m'attrape par les cheveux et me foudroie du regard. Elle repose la question :
_ Dis moi la vérité. Est-ce que tu es amoureux d'une autre ?

Ces secondes en suspend sont horribles. Pas que pour moi, j'en ai conscience. Je dois me triturer la tête dans tous les sens. Si je lui dis la vérité, ça va juste lui faire terriblement mal. Si je mens, elle le saura. Mais bon, si je mens vraiment avec conviction, il y aura peut-être moyen que ... Non mais c'est horrible de penser comme ça !!! Georges ! enfin ! tu n'as pas honte ! Négocier avec la vérité juste pour baiser !!!
Mais la vérité, quelle est-elle ? En ce moment, je suis perdu. J'ai probablement Emilie qui est amoureuse de moi sans me l'avouer directement. Son coeur guéri m'attend peut-être et je la connais depuis beaucoup plus longtemps que Fenouil. J'ai passé tellement plus de moment avec elle et tellement bons. Avec Fenouil, c'est seulement la deuxième fois qu'on se voit, ça se présente bien mais suis-je prêt à sauter le pas ? que dis-je ? à faire le bond de géant de se lancer vers l'inconnu dans une relation à distance.
Et puis c'est la soeur de Milène, ma meilleure amie. Si je lui fais une crasse, je perds à la fois une petite amie et une amie très chère ! Suis-je prêt à ça si je dévoile que ... que quoi au juste ? que j'ai peut-être quelqu'un qui m'attends ailleurs ? Ce n'est pas ça la question. Est-ce que je suis réellement amoureux d'Emilie ?
Toutes ces réflexions en un quart de seconde dans ma tête et mon coeur.

_ REPONDS !

Ah mince, ça devait faire plus qu'un quart de secondes.

_ Est-ce que tu es amoureux d'une autre ? oui ou non ?

Je tremble de tout mon corps. La réponse que je vais donner va déterminer le déroulement des 6 prochains mois, je le pressens. Je fais quoi ? quelle direction je veux faire prendre à ma vie ?

_ Oui ou non !

Allez, on respire, c'est comme un sparadrap à retirer.

_ Oui."



To be continued... 








mardi 4 septembre 2018

L'Afrique est bonne hôtesse

Je pose les pieds sur le sol africain. C'est ridicule de simplifier un continent entier à un seul mot "Afrique". Comme si un américain en foulant le Danemark pouvaient dire "J'ai visité l'Europe". C'est vrai, mais c'est réducteur.
C'est la troisième fois que je pose les pieds en Afrique, à 3 endroits complètements différents et à des moments différents de ma vie. J'avais déjà raconté mon voyage au Maroc, juste au tout début de mon année sabbatique. J'étais au bord de l'implosion, ça m'a permis de faire un retour sur moi-même, savoir si j'abandonnais mes études de médecine si près de la fin ou si je continuais mais dans ce cas là, il fallait que je sache comment j'envisageais mon avenir professionnel. Beaucoup de choses s'étaient débloquées pendant ce séjour.

Je descends sur le tarmac de l'aéroport, assailli par la chaleur et l'humidité, mais j'aime cette sensation. C'est comme si le continent m'accueillait à bras ouverts et m’enlaçait de ses grands bras moites de sueurs.
Je récupère mon petit bagage sur le tapis roulant, je montre mon passeport et je sors de l'aérogare. Une voiture m'attends. Pas une limousine, quand même, faut pas exagérer, mais une vieille DS, hyper bien entretenue, noire, vitres teintées. Je suis limite surpris de ne pas voir flotter les drapeaux aux 4 coins.

Le chauffeur m'accueille, me serre la main chaleureusement, range mon bagage dans le coffre et m'embarque vers la réserve où travaille Fenouil. Il me questionne brièvement en anglais (Afrique anglophone) mais je suis perdu dans mes pensées et je ne réponds que par monosyllabes. Le chauffeur pense que j'ai un jet lag et me laisse me reposer.

Mes pensées s'envolent vers la première fois que j'ai visité l'Afrique, francophone cette fois là. J'étais externe. Enfin...je voulais abandonner médecine déjà à l'époque. En fait, à avoir terminé le concours ante-pénultième, j'ai le syndrome de l'imposteur : j'ai presque honte d'être à ma place, je n'y ai pas de légitimité, je ne devrais pas être là. Donc je doute d'avoir choisi la bonne voie. Et je me remets en questions en permanence. A cette époque là, j'avais complètement séché les cours, trouvé du boulot, gagné ma vie autant que possible et c'était vachement plus gratifiant que les bancs de la fac. Surtout que c'était la première année de mon externat, c'est à dire que je passais tous les matins à l'hôpital à apprendre la médecine. Ça devrait me plaire, penseriez-vous. Je vais vous raconter la réalité du terrain.

En théorie, on suit un chef de près, et il nous apprend tout ce qu'il sait. On s'occupe de 2 à 5 patients, on les examine, les interroge pour connaître leurs symptômes, la chronologie des événements, leur traitements, leurs antécédents... enfin la vie, quoi. Leur vie. Ensuite, on retourne dans notre bureau, on regroupe toutes ces informations dans une observation inscrite dans le dossier médical. On extrait de l'ensemble des symptômes un syndrome et l'après-midi, on va à la fac bosser le-dit syndrome, pour en connaître les tenants et aboutissants, les causes, conséquences et traitements.

De retour le lendemain dans le service, on peut affronter la maladie les yeux dans les yeux, en disant à son ennemi : "Je te connais et je n'ai plus peur de toi". On peut alors informer le patient, lui administrer son traitement, le guérir et le voir rentrer chez lui avec une petite larmichette de bonheur de travail accompli.

Bon, ça, c'est quand on bosse à la fac de médecine des bisounours. En vrai, le matin, en arrivant à l'hôpital, chaque externe se tire dans les pattes pour avoir le moins de patients possible pour pouvoir se barrer tôt (je vous expliquerai après). Ensuite, c'est la guerre : il n'y a qu'un seul appareil à ECG pour 6 patients entrés hier après-midi. Il faut être le plus rapide pour l'attraper et avoir la chance de ne pas être celui qui doit aller à la réserve chercher du papier en cas de rupture.

Ensuite, on va voir notre nouveau patient, on lui pose un tas de questions sur une pathologie dont on ne connait forcément rien, en 4°année de médecine, on est des bébés docteurs, on ne sait rien de la thérapeutique. Par contre, on connait vachement bien l'anatomie, la physiologie, la pharmacologie...que des trucs super théoriques qui ne portent aucun sens concret (pour l'instant).
Le plus malheureux c'est que le patient, lui, a des questions concrètes auxquelles on ne peut pas répondre.

Ensuite, on gratte notre observation que personne ne va jamais lire sauf un juge en cas de procès. On trie la TONNE de papiers qui arrive le matin par le courrier : des résultats biologiques, des fax de médecins extérieurs à l'hôpital, des compte-rendus divers et variés, des doublons, des triplons, des feuilles vierges...Tout cela à trier et ranger dans les dossiers des patients hospitalisés. Une partie de ce qui reste, à ranger au secrétariat dans les dossiers des patients hospitalisés les semaines précédentes et pour le reste du reste, à ranger aux archives.

Avec de la chance, un interne fait une visite tous les jours accompagnés de ses externes, mais bon, c'est comme si un élève de maternelle apprenait à lire avec un élève de CP...Rien de vexant ou d'humiliant mais c'est un état de fait : un interne c'est juste un externe avec un concours de plus. C'est toujours un babydoc avec un peu plus de savoir théorique et toujours aussi peu d'expérience.

Avec de la chance, un chef (en vrai, un chef, c'est juste un ex-interne qui a passé sa thèse) ou un professeur passe une fois par semaine pour la visite dite professorale. C'est la messe (ou la kermesse, ça dépend). On peut alors assister à un défilé d'externes, internes, infirmiers, cadres...suivre un professeur, s'entasser à 15 dans la chambre d'un patient en pyjama sans lui demander son avis, discuter de lui à la troisième personne, en sa présence, sans jamais le regarder en face, aborder sa pathologie avec des mots compliqués, que ça serait une liturgie en latin que ça serait pareil, ressortir de sa chambre sans merci ni merde et recommencer dans la chambre d'après.

Avec de la chance, au milieu de ce capharnaüm, le professeur a eu le temps faire le point sur la pathologie en question, un externe a pu poser une question et avoir une réponse.

Avec de la chance, la visite finit avant 14h, heure de fermeture de la cantine. Puis direction la fac, où les mêmes professeurs du matin sont censés venir faire la même chose l'après-midi mais devant un tableau noir. Sauf que, préoccupés par leurs responsabilités multiples, la moitié du temps, ils sont absents.
Alors, pour ne pas être venu à la fac pour rien, on se dirige vers la BU (bibliothèque universitaire) et c'est là l'intérêt de finir tôt le matin : avoir une place.

Et le soir, en rentrant chez soi, il faut encore lire les cours pour le lendemain, bosser les pathologies pour les patients du lendemain, fouiller sur internet pour dégotter LE truc, ZE info qui nous manquait concernant le sujet du moment.

Vous comprendrez que cette période de ma vie a été peu gratifiante. Du coup, j'ai redoublé. J'ai pu mieux comprendre ce qu'on attendait de moi pendant mes stages (esclave en gros) et ce qui m'attendait pour le concours (qui n'a rien à voir avec les patients), puis l'internat (esclave aussi, mais je ne le savais pas encore). J'ai alors voulu me confronter à la réalité : dans les hôpitaux de France, on traite des maladies qui tuent à petit feu si je puis dire. Cancer, diabète, hypertension...et on gère les handicaps que cela génère derrière. L'essentiel du travail du médecin français c'est donc d'augmenter la qualité de vie puisque l'hygiène, les antibiotiques et les vaccins se sont déjà chargés de la quantité de vie.
Et en matière de qualité de vie, je suis une sous-merde ! je ne sais pas du tout soulager la souffrance des patients. On ne m'a pas appris à le faire en tout cas, ni en stage, ni en cours.

Quand on n'est encore que bébé docteur, on aimerait apprendre la médecine sur des sujets faciles : un symptôme = une maladie = un traitement ! facile ! genre chancre dur = syphilis = pénicilline.
Après seulement, on peut rajouter de la complexité petit à petit.
Mais la réalité est ainsi faite que les maladies sont des entités complexes, présentées par des gens ayant un vécu, un historique et une représentation de ce qui leur arrive. Confronter le savoir théorique et l'expérience clinique face au ressenti du patient et soulager ses souffrances à la fois physiques et psychiques, c'est tout ce qui fait la beauté de ce métier. Et sa complexité aussi.

Sauf que sortir du tube à essai et intégrer la complexité dans son entièreté, ça demande un pas de géant que je n'étais pas prêt à franchir, moi, pauvre paladin niveau 1.

Que se passe-t-il dans des pays délaissés par la technologie médicale et la thérapeutique ? est-ce que je servirais à quelque chose dans ces zones ? est-ce que ce que j'ai bossé dur à acquérir servira ? Et pour prendre peu de risque d'être inutile face au peu de bagage médical accumulé en 5 ans, pourquoi ne pas aller dans le pays le moins doté au niveau médical ? S'ils n'ont rien, le peu que je pourrais apporter sera d'une grande aide, non ?

J'ai donc pris mon courage à deux mains et me suis armé de patience : j'ai appelé l'administration de la fac.

"_ Bonjour, je voudrais faire un stage d'été dans un pays africain, est-ce que vous auriez un terrain de stage à me proposer ?
_ Vous êtes ?
_ Zafran, Georges.
_ Mais vous n'avez pas besoin de faire de stage cet été parce que vous avez redoublé.
_ Oui mais je voudrais en faire un quand même.
_ Oui et je vous dis que vous n'avez pas besoin.
_ Oui et je vous dis que j'ai envie d'en faire un, même si je n'ai pas besoin.
_ Oui et bien parce que vous n'en avez pas besoin, je n'ai pas de terrain de stage à vous proposer.
_ Je m'en fous que ce soit validé par la fac ou pas, je veux juste partir faire un stage là-bas et savoir si vous aviez des retours positifs d'étudiants qui soient allés quelque part. C'est pas compliqué, si ?"

Bah apparemment si. La fac ne m'a rien proposé comme lieu de stage, ni comme contact, ni des noms d'étudiants qui auraient fait un stage d'été à l'étranger. Rien. Je suis donc allé voir l'asso des étudiants pour qu'ils m'aident un peu.
Eux ont pu me donner quelques contacts. Je vais anonymiser les lieux et les gens, mais vous comprendrez sans problème.

J'avais bossé pendant 1 an, des boulots de nuits, pour me payer ce billet. J'arrive sur place, la descente de l'avion, la même sensation que j'ai raconté plus haut, cette chaleur moite qui vous saisit les narines et les poumons.
Je prends un taxi, accompagné d'un autre étudiant français, accueillis par un étudiant local, Moussa. Nous traversons la ville et au lieu de monuments ou d'avenues célèbres, nous croisons beaucoup de militaires kakis, armés d'une kalachnikov dans une main et d'une bière dans l'autre, à l'air peu avenants.

L'un d'eux nous arrête.
"_ Descendez du véhicule s'il vous plait.
Moussa nous intime de nous taire et de le laisser parler.
_ Que venez-vous faire dans notre pays ?
_ Ce sont des étudiants comme moi. Ils viennent pour apprendre comment ça se passe ici.
_ Ah, donc pas des touristes alors.
Un peu déçu. Il renchérit.
_ Vous venez étudier ici ? vous venez étudier quoi ?
Et moi, naïvement :
_ La médecine.
_ Ah vous êtes médecins ! vous avez des médicaments sur vous ?
Moussa rattrape le coup comme il peut.
_ Non, ce sont des étudiants, ils n'apportent rien mais veulent repartir avec notre savoir faire.
_ Je vais devoir contrôler vos passeports.
Nous nous plions à sa requête.
_ Et vos carnets de vaccination ?
Roger, l'étudiant croisé dans l'avion se raidit d'un coup.
_ Ah zut, je ne l'ai pas mis dans mon passeport, je l'ai laissé dans mon carnet de santé au fond de mon sac.
_ Je vais devoir confisquer vos sacs alors, à tous les trois.
Moussa se tourna discrètement vers moi.
_ Donne moi 500 balles.
_ Quoi ?
_ Donne moi 500 francs CFA, ça fait un peu moins d'un euro. Vite !
Puis se tourna vers le militaire
_ Monsieur l'officier, temporisa Moussa, ils sont étudiants en médecine. Ils sont forcément vaccinés. D'ailleurs voici la monnaie qui reste après avoir acheté leurs vaccins. Je suis sûr qu'avec votre aide, ils feront de l'excellent travail dans notre pays.
_ Ah d'accord, d'accord. Bon circulez alors."

Nous repartons dans notre taxi. Moussa me corrige poliment :
"_ Faut faire gaffe à ce que tu dis ici. Il était à deux doigts de confisquer tes bagages.
_ Mais pourquoi faire ?
_ Bah pour te piquer les médicaments que tu as sur toi.
_ Et les vendre au marché noir ? sans mauvais jeu de mot, je précise.
_ Non, au marché normal. Ici c'est comme ça qu'on achète les médicaments. Il y a des pharmacies mais c'est très cher alors les gens préfèrent acheter des médicaments de seconde main.
_ Je ne comprends toujours pas pourquoi il voulait nous confisquer nos éventuels médocs. Pour éviter le trafic ?
_ Non, pour en faire au contraire.
_ ... Non, je comprends encore moins.
_ Je t'explique : il faut comprendre que les militaires n'ont pas été payés depuis plusieurs mois. Alors ce militaire que tu as croisé, comment il fait pour nourrir ses enfants le soir en rentrant chez lui ? il se débrouille comme il peut, il fait du trafic, il demande un petit backshish par ci par là. C'est normal au fond, quand tu sais que ce n'est pas par méchanceté.
_ En effet, je ne voyais pas les choses comme ça."
Et j'étais encore loin d'imaginer toutes les occasions que j'aurai de changer de point de vue.

Nous avons continué notre route et notre séjour plus sereinement, toujours avec un petit pourboire en prévision. Ce qui m'a le plus marqué ? la permanence militaire ? non. Le petit déjeuner au sandwich à l'omelette ? non. Le goût des ananas et des bananes ? non et pourtant, il y avait de quoi. Les repas dans la rue en sortant de stage ? avec, dans le désordre, les soupes de pattes de poulets, la viande de chèvre séchée, les brochettes de ... viande (je n'ai jamais su ce que c'était). Non. C'était les pathologies. Ce que j'étais venu chercher. A ma grande surprise, ce n'étaient pas des pathologies typiquement locales et exotiques, comme des maladies tropicales. Non, c'étaient les bonnes vieilles mêmes pathologies qu'en France mais...level 60.

J'ai fait mon stage en cardiologie, médecine interne et pédiatrie, pendant 2 mois au total. Et j'ai plus appris pendant ces 2 mois que pendant les 2 ans qui ont suivis. Ces deux mois m'ont tellement forgés au plus profond de moi qu'ils ont maintenus leur influence jusqu'à aujourd'hui. Il ne se passe pas un jour sans que j'y repense.

Je vous relate pèle mêle.

En cardiologie, j'ai vu un homme quasiment entièrement paralysé, aphasique, avec des escarres profondes comme le poing, d'où voletaient des mouches. Il était nourri par sa famille qui dormait sur des nattes dans la cour de l'hôpital et qui préparaient ses repas à l'aide d'un petit brasero, à même le sol. Le patient dormait dans sa chambre d'hôpital, sur une natte posée sur le carrelage.

Il venait pour son troisième AVC en moins d'un an. Alors là, ça va très vite dans ma petite tête d'externe.

Quelle était la cause de son AVC ? son hypertension très probablement. La seule prise de TA qu'il a eu, à son admission, était à 20/12cmHg (pour ceux à qui ça parle). Il avait un traitement ? oui bien sûr, une boite de Lowtensor. Une seule. En 1 an. Une seule boite, pour 1 mois, coûte environ 1600 Francs CFA. Le salaire moyen est d'environ 24000 Francs CFA, soit 1/15 du revenu mensuel. Ça ne représente pas grand chose c'est vrai, mais quand vous avez 12 bouches à nourrir, ça fait l'équivalent d'une treizième. Le patient était cordonnier. Paralysé, vous imaginez bien qu'il ne peut plus travailler. Donc un quinzième de zéro ça fait ... ? il est relativement facile de comprendre que la treizième bouche saute assez rapidement.
Et tout ça, c'est sans compter aussi le traitement anti agrégant, entre 1950 f CFA et 16500 f CFA la boite selon la molécule, ni le traitement de sa plaie.

Est-ce qu'il n'aurait pas en plus une cardiopathie emboligène ce patient ? pour les non initiés, est-ce qu'il n'aurait pas une maladie de son coeur qui enverrait des petits caillots dans son cerveau ? peut-être. Lui faire un ECG ? ok, faut demander à sa famille s'ils accepteraient de débourser 1000 f CFA pour satisfaire la curiosité du médecin, pour un examen qui ne changera rien ni à la prise en charge du patient ni à son pronostic.

Ça m'a appris à réellement peser le pour et le contre d'un examen complémentaire. En ai-je réellement besoin ? le bien du médecin n'est pas forcément le bien du patient.

J'ai appris à interpréter un ECG, réellement. J'ai même vu mon premier Wolf-Parkinson-White là-bas. Sauf que, pas de bol, le patient avait un palu et la quinine est contre-indiquée dans ce cas précis. Que faire ? si on ne traite pas son palu, il risque mourir. Si on le traite, il risque mourir aussi. Après explication, le patient est rentré chez lui, sans traitement. Primum non nocere j'imagine. 

J'ai compris ce qu'était une tamponnade, une vraie, vous savez le signe pathognomonique de l'arrêt du pouls à l'inspiration profonde ? bah je l'ai senti.

En médecine interne, j'ai vu une dame qui venait pour hypotension. Elle venait de se marier, la semaine dernière. Sur son corps, j'ai vu les plus grosses vergetures de ma vie. Elle faisait 150kg à vue d’œil. Et dans, un pays pauvre, ça se remarque très vite. TA 9/4cmHg. Diagnostic ?
Le chef de médecine interne (un des médecins les plus compétents que j'ai jamais rencontré, un local) avait trouvé le diagnostic au premier coup : elle a pris des corticoïdes, achetés au marché, pendant 1 mois avant son mariage, pour grossir. Parce qu'ici, le standard de beauté, c'est plus Firmine Richard que Lupito Nyong'o.
Après son mariage, après avoir pris le poids désiré, elle a arrêté brutalement ses corticoïdes. Du coup, forcément, elle s'est retrouvée en insuffisance surrénalienne aigüe.

J'ai vu une jeune fille de 18 ans...au début tout le monde était content, mariée, rapidement enceinte mais...arrivés 9 mois, avec son gros ventre, pas d'accouchement. Inquiétude. Le ventre n'est pas si gros que ça en fin de compte. La famille se cotise pour une échographie. Ce n'est pas une grossesse comme les autres, c'est un choriocarcinome, un cancer de l'utérus. La radio des poumons n'était pas belle du tout. Je me suis senti très démuni.

Juste à côté d'elle, il y avait une autre jeune fille de 18 ans...Sa mère aussi, à peine mariée, enceinte, accouchement sans soucis sauf que...un jour, sa fille a fait une jaunisse qui n'est jamais passée jusqu'à ce jour. Elle avait un foie de la même taille que l'uterus de sa voisine. Sa mère avait attrapé le virus de l'hépatite B pendant sa grossesse. Sa fille était en train de mourir d'une cirrhose.
Je vous rappelle le prix des anti-viraux ? ne parlons même pas des anti-rejets de greffe.


Et pour finir, en pédiatrie, j'ai vu un enfant de 6 mois, amené par ses parents après 1 mois de diarrhées. Ils étaient allés voir le guérisseur local qui, en voyant sa fontanelle enfoncée (signe de déshydratation sévère) et voyant le cerveau pulser à travers, s'était dit que c'était mauvais signe (c'est vrai) et avait préconisé de recouvrir la fontanelle de bouse et de paille (c'est moins pertinent tout de suite).
Comme leur enfant n'allait pas mieux (surprenant) ils sont venus à l'hôpital en désespoir de cause. Sauf que le guérisseur avait coûté toutes leurs économies. Ils n'avaient plus assez pour ... rien. Il y avait un français qui travaillait dans l''hôpital, avec une barbe blanche, calme, serein. Ils nous a appris beaucoup de choses.
Voyant la détresse de cette famille, il s'est rendu à la pharmacie la plus proche, pris plusieurs sachets de SRO (soluté de réhydratation orale) à 300 f CFA l'unité (0,5 € chacun) et les a donnés à la famille, en disant qu'il fallait le mélanger avec de l'eau bouillie et faire refroidir, parce que l'eau non bouillie pouvait le rendre malade à nouveau.
Il a payé de sa poche une perfusion de sérum salé, passée dans l'après-midi et la famille a pu rentrer chez elle dans la soirée, sans comptabiliser une nuit d'hospitalisation.

Après ça, je n'ai plus quitté les semelles de ce docteur barbu. Il s'appelait Dr Karma. Un signe du destin sans doute.

Un soir, il nous amena prendre un verre, Roger et moi, les deux externes.
"_ J'en avais marre du système CHU à la française, j'avais besoin de changer d'air. J'ai décidé de passer 6 mois dans ce pays pour me changer les idées.
_ Et ça marche ?
_ Oui en quelque sorte et puis ça me remet les pieds sur terre également.
_ C'est à dire ?
_ En fait, je suis arrivé avec un organisme humanitaire pour installer des margelles à côté d'un puits dans un petit village pas loin d'ici. Ils avaient récolté plein de fonds pour acheter le matériel sur place et faire fonctionner l'économie locale. Bon, avec les douanes et la corruption, on s'est retrouvé avec moins de la moitié de l'argent. On a quand même affrété un camion avec des briques, du ciment et des plaquettes d'information sur la dracunculose, tu sais ? le parasite qui rentre sous la peau quand on a les pieds dans l'eau qui stagne. Donc, nous arrivons au village, nous construisons des margelles autour du puits, on explique aux locaux comment s'en servir. Tout se passe bien et nous nous en allons. Nous sommes repassé deux semaines plus tard pour vérifier comment ça se passait. Ils avaient détruit les margelles, pris les briques et retapé leurs maisons avec.
_ Oh, mince !
_ Nous avions pensé à plein trucs sauf à l'essentiel : avant de faire de la médecine, de débarquer avec nos gros sabots, nous avons oublié de vérifier si les gens avaient à manger et un toit sur leur tête. Du coup, cette aventure m'a bien aidé à relativiser les choses, à mettre les histoires personnelles en perspective et à les intégrer dans ma prise en charge. Ça tombe sous le sens mais en métropole, ça peut s'oublier facilement.
_ C'est vrai qu'en arrivant ici, je me rends compte qu'il y a plein de choses auxquelles on ne pense pas en France, tellement ça semble acquis.
_ J'ai beau critiquer mais on a quand même la chance d'avoir la Sécurité Sociale. Ça veut dire que tu débourse très peu pour te payer tes soins. C'est une chance rare ! Ici, regarde ! ils galèrent pour se payer un pauvre SRO qui peut leur sauver la vie. En France on râle quand on doit avancer des frais de consultation qui seront de toute manière remboursés par la mutuelle. Ça fait relativiser.
_ C'est sûr. Mais à part ça, qu'est-ce qui vous a le plus marqué ici ?
_ Ils ont les même pathologies que nous, les mêmes préoccupations.
_ Ah bon ?
_ Oui : manger, dormir, être heureux. Ce que Voltaire disait déjà il y a 220 ans ! et la maladie vient mettre le bazar dans tout ça. C'est à nous de les re-rendre heureux. Il y a certaines pathologies où il faut apprendre à vivre avec et d'autres qu'on peut guérir. Mais dans tous les cas, on peut améliorer le vécu des patients. Comme partout.
_ Je ne voyais pas les choses comme ça.
_ Tu n'es pas le seul. Quand on pense humanitaire, tout le monde pense à "Afrique" en premier alors qu'il y a autant à faire près de chez soi.
_ Du coup, pourquoi est-ce qu'on préfère partir loin pour regarder les gens mourir plutôt que de servir à quelque chose dans son patelin.
_ Je n'ai pas de réponse, que des pistes de réflexion. D'abord, on part souvent pour se découvrir soi-même. Changer d'environnement est plus propice à cette rencontre intime. Rester chez soi ne permet pas toujours ce changement de repères nécessaire. Et puis il y a une part moins avouable, un côté un peu voyeur, sadique, à contempler la souffrance d'autrui. Et ça, on préfère dévoiler notre côté peu moins noble loin de nos proches.
_ Je ne sais pas. Moi, je suis venu ici parce que j'avais envie de servir à quelque chose. En métropole, je ne sais rien et je ne sers à rien.
_ Et alors ? depuis que tu es ici, tu as le sentiment de servir à quelque chose ? de faire la différence ?
_ Non, je ne sers toujours à rien mais j'apprends plein de trucs.
_ Des trucs que tu n'aurais pas pu apprendre en France ?
_ Bah si, mais c'est plus difficile. Il n'y a personne pour nous parrainer, on est livré à nous même et on doit tout apprendre tout seul.
_ Et ici ? on te tiens davantage par la main peut-être ?
_ Non, mais il me fallait ça pour me sortir les doigts du c...pardon, pour me bouger les fesses et me motiver à apprendre par moi-même.
_ C'est ce que je disais : certains ont besoin de changer d'environnement pour se changer soi-même. La question est : quand tu rentreras, comment est-ce que tu seras ?
_ Ah ! Autrement dit : est-ce que je vais garder mon changement en retournant dans mon milieu naturel ?
_ C'est ça.
_ Je ne sais pas, je vous dirai une fois rentré.
_ Ça roule, conclue-t-il d'un tintement de nos verres."

Les jours se suivirent et ne se ressemblèrent pas. J'ai eu la joie de constater que, plutôt que d'installer des couveuses hors de prix, ils ont tout simplement mis en place des "unité kangourou" c'est à dire des mamans qui se relayent pour porter les bébés prématurés tout contre leur peau, dans une écharpe, dans une pièce sans clim pour que les nourrissons finissent leur maturation à la bonne température. Ça ne coûte rien et c'est très efficace.

J'ai aussi ressenti la colère la plus brûlante devant des situations désarmantes. Voir une bébé de moins de 2h de vie, le regard déjà suppliant, maigre comme un clou, vomir le peu qu'il arrive à téter. Ne pas savoir ce qu'il a. Et 1h plus tard, voir sortir de l'unité kangourou une petite chose drapée entièrement d'un chiffon, le visage recouvert.
Ne pas savoir ce qu'il avait. Ne pas savoir quoi faire. Ne pouvoir rien faire. Ne pas savoir réconforter la mère. Ne pas pouvoir la réconforter car ne parlant pas la langue. Tenir une main, ne pouvoir faire que ça et se dire que rien que ça, c'est un début.  

Et puis rire, intérieurement parce que quand même. Quand un patient débarque du fin fond du trou du cul du patelin paumé de loin, à pied, avec un méga fièvre, que tu lui donnes un thermomètre à mercure, pour lui prendre la température, sans lui expliquer, parce que ça va de soi, normal quoi, et que le patient le bouffe, oui, le mange intégralement, que tu paniques, que tu vas chercher le Dr Karma :

"_ Putain ! Je fais quoi ?!?!
_ Mmm effectivement, c'est délicat. Il peut manger ? Il n'est pas en occlusion ?
_ Il n'a pas de bruits hydro-aériques mais en même temps il n'a rien bouffé depuis 3 jours qu'il marche.
_ Une défense abdominale ?
_ Bah il est maigre et musclé. Je n'arrive vraiment pas à savoir.
_ En général, la défense, ça se reconnait tout de suite. Dernières selles ?
_ Je ne sais pas, il ne parle pas français.
_ Flûte. Donc, on ne sait pas ce qu'il a. Mais en tout cas ça ne vient pas du ventre a priori. Il faudrait faire une radio quand même.
_ Oui bon ça d'accord. Mais pour le mercure qu'il a ingurgité ? Je fais quoi ?
_ Du blanc d’œuf.
_ Pardon ?
_ Tu vas au marché d'à côté, tu as encore le temps en te dépêchant, tu lui achètes une demi-douzaine d’œufs et tu reviens. Dans un bol, tu sépares les blancs des jaunes et tu lui donnes les blancs, crus. Tu sauras faire ?
_ Pas de soucis !"

Je suis parti en courant au marché avant que ça ferme à midi, ai cherché les poules dans ce capharnaüm, acheté des œufs, sauf que, rangés dans un sac plastique, c'est plus difficile pour faire le chemin du retour en courant.
Au final, on lui a donné ses 6 portions d'ovalbumine pour capter le mercure dans son tube digestif et éviter qu'il nous tape une intoxication aigüe. Mais vous allez me demander, sa fièvre, elle venait d'où ? et bien le monsieur, il a marché pendant 3 jours avec une péritonite appendiculaire. Donc oui, ça venait du ventre, et non, il n'avait pas de défense abdominale. Tout le monde n'a pas la même réaction face à la douleur et oui, même les signes cliniques les plus évidents peuvent nous jouer quelque tours.

Quelques jours avant la fin du séjour, Dr Karma nous a proposé de faire un pot de départ. Quelques verres de bière locale plus tard, les langues se délient. Karma me demande :
"_ Alors, bilan du séjour.
_ Finalement, je pense que je ne vais pas arrêter médecine.
Il manque s'étouffer avec sa bière.
_ Pardon ?
_ J'étais venu en désespoir de cause. Si vraiment la médecine ne me plait pas en Afrique, elle ne me plaira nulle part.
_ Euh...tu as conscience que la pratique de la médecine n'est pas la même en Afrique, en Chine, aux États-Unis ou en France.
_ Oui et non : ce sont les gens qui sont différents et en parallèle, ils sont identiques.
_ Mmm...développe je te prie.
_ Je veux dire, oui, la pratique n'est pas la même parce que les gens qui pratiquent la médecine et les patients qui la subissent ne sont pas les mêmes. Pourtant, les pathologies sont universelles.
_ C'est pas faux. Qu'est-ce que tu as retenu de la pratique locale et des gens locaux que tu vas rapporter en France.
_ Déjà, si je pouvais m'assoir dans la rue et taper la discut avec n'importe qui et lui offrir le thé, ça serait pas mal.
_ C'est un début.
_ Et puis tout simplement écouter les gens, ce qu'ils ont à me raconter.
_ C'est vrai. Mais ça n'a pas grand rapport avec la médecine, me dit-il avec une petit sourire dissimulé sous sa barbe buissonnante et mousseuse.
_ Bah si au contraire. C'est justement ça la médecine. Si le patient vient voir un soignant, c'est qu'il a une demande, une requête, une question, une peur, une angoisse. La première chose à faire, c'est savoir d'où vient cette peur et l'apaiser. Et quand cette peur provient de symptômes d'une maladie, là, je peux faire jouer un savoir théorique ou un savoir faire. Mais d'abord, tenir la main, accompagner, informer, tout ça, c'est du savoir vivre et j'ai bien peur qu'on ne l'enseigne pas à la fac de médecine.
_ Ah ah. Je vois que les choses ont bien muri dans cette petite tête d'étudiant, rétorqua-t-il avec de petites étoiles dans les yeux.
_ Mouais, sauf que je suis une grosses merde en relations humaines.
Pour la deuxième fois, Karma a failli avaler sa bière de travers. Sa barbe n'en était que plus luisante encore.
_ Pardon ?
_ Bah oui, ça fait 3 ans que je sèche la fac, que je lis tout ce que je peux lire. J'évite de voir du monde autant que possible. Je ne sais pas me comporter en société, je suis toujours en train de balancer une connerie qui met quelqu'un mal à l'aise, moi compris. Il va y avoir du boulot !
_ Oui mais comme tu dis, ça ne s'apprend pas à la fac.
_ Ouais t'as raison saucisson. Je vais continuer de sécher les cours. J'espère juste pouvoir trouver un maitre de stage comme vous, parce que t'es vachement bien, vous, comme prof.
_ Saucisson ? tu m'as appelé saucisson.
_ Oh merde ! pardon putain ! Euh, je veux dire...Oh et puis zut ! c'est bien la première fois que je suis détendu en société. Par contre, faut que je réduise l'alcool. Une demi-bière et je suis déjà bourré."


La route, la savane, la chaleur...cette ambiance m'a remémoré ces moments. Le moment où je suis devenu un homme, où j'ai pris mes études en main, sans attendre qu'on me guide. A mon retour, j'ai également pris ma vie sentimentale à bras le corps. Alors inexistante, j'ai vaincu ma timidité et abordé, essuyé des rejets sans me démonter, rencontré le sexe opposé avec tous ses attraits.

Curieusement, j'ai fini mes études de médecine et je suis en route pour retrouver une femme. La boucle est bouclée semble-t-il. Nous arrivons à destination, un domaine clôturé, façon Jurassic Park, empli de lodges en bois et en terre, aux toits de paille. C'est l'endroit où Fenouil travaille. Elle m'accueille en sortant du plus gros bâtiment, en pantacourt beige, chemise kaki clair, manches courtes, bien serrée sur sa poitrine généreuse et dont les boutons résistent tant bien que mal, chevelure dorée volant sous la brise torride, transportant à moi ses phéromones m'appelant à lui faire
sauvagement l'amour.


La suite au prochain numéro...



De quoi meurt-on dans le monde ?
http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/12/18/de-quoi-meurt-on-dans-le-monde_4542392_3244.html

En Europe, le surpoids tue davantage que le tabac et les infections :
http://www.lemonde.fr/pathologies/article/2014/11/26/cancers-le-poids-de-l-obesite_4529285_1655270.html

La vision européenne sur "l'Afrique"excellemment bien résumée dans cette vidéo :
http://www.slateafrique.com/531439/sterotypes-afrique-humanitaire-metier-qui-sapprend