dimanche 23 décembre 2012

Ca se corse, oeuf corse

Mes journées sont assez simples finalement :
Je me réveille, les oiseaux chantent, il fait déjà 25°. Je prends mon petit déjeuner à base d'une mangue, un demi-ananas ou 2 fruits de la passion, du pain, un bon petit thé, siroté en face de la montagne.
Je me déplace au travail, tranquillement, sans les embouteillages vu que je suis à 5mn à pied. Un jour sur 2 je viens au boulot en courant et je me douche sur place. Je prends un café (torréfié à partir du sachet acheté par mes soins) en lisant les nouvelles du Monde, puis je me cale dans la salle d'explorations, je travaille quatre heures. Je mange une assiette de cari (avec vue sur la mer) et je retourne à l'hosto donner des avis spécialisés dans les services.
Et c'est là que les affaires commencent à se corser.

"Lola, je m'ennuie, dis-je dépiteusement devant un café partagé avec mon infirmière préférée.
_ Ah bon ? tu ne te plais pas ici ?
_ Si mais...
_ L'environnement ne te plait pas ?
_ Si mais...
_ C'est la bouffe. Trop épicé ? trop de fruits ?
_ Non c'est pas ça...
_ T'aimes pas la montagne ?
_ Oh si ! je me suis même inscrit à une course dans 1 mois.
_ Ah ! très bien. Bon, c'est la mer alors que t'aimes pas.
_ Si, j'aime aussi, j'ai commencé les cours de plongée.
_ Bon ben c'est le boulot alors qui ne te plait pas. C'est pas le job dont tu rêvais ?
_ Si, mais je ne l'imaginais pas comme ça.
_ Ah bon ? tu voyais ça plutôt comment ?
_ Bah...euh...déjà...euh...
_ Moins de patients ?
_ Ah non ! ils sont adorables au contraire !
_ Moins de taf ?
_ Non, ça, ça va, encore que...moins de travail administratif, ça ne me dérangerait pas. J'ai toujours une tonne de courriers à corriger.

Et oui, 4 heures, 2 patients par heure, plus tous les avis donnés dans la journée, ça fait minimum 10 courriers par jour, multiplié par 5 jours, ça fait un paquet de corrections le vendredi après-midi.

_ Bon c'est quoi ton problème alors ? trop d'infirmières ?
_ Ah non ! elles ne sont pas toutes comme toi mais tu m'en mets une armée de tes clones et je viens bosser weekends et jours fériés !
_ Bon c'est quoi alors le problème ?
_ Bah...euh...
_ QUOI ?!
_ Ya trop de médecins, lachai-je finalement
_ Pardon ?
_ J'aime pas mon boulot parce qu'il y a trop de médecins.
_ T'es en train de me dire que t'aimes pas l'hôpital parce qu'il y a trop de médecins...mais bien sûr.
_ Enfin, non...c'est pas tout à fait ça.
_ Raconte.
_ En fait, quand je reçois un patient aux explorations, la moitié du temps, il vient sans courrier de son médecin, sans histoire de la maladie et de ses symptômes. Je n'ai pas de dossier à ma disposition. En gros, je fais un examen dans le vide parce que je ne sais pas pourquoi je le fais. De temps en temps, les patients arrivent à me raconter ce qui leur arrive, à condition qu'ils n'en aient pas marre de déballer leurs problèmes sans doute pour la sixième fois en une semaine. Mais la plupart du temps, ils ne comprennent pas ce qu'ils viennent faire chez moi. "C'est mon médecin qui m'a dit de venir vous voir". Super comme début de diagnostic !
_ Bon, d'accord, là c'est plutôt un manque de mot du médecin.
_ Non, pas vraiment. Certains médecins font des lettres détaillés avec une énorme reconnaissance de l'aide que je peux leur apporter. Certains patients ont déjà été hospitalisés et j'ai accès à un dossier. C'est juste que j'ai l'impression que ce que je fais n'a aucun sens. D'autant qu'une fois sur deux l'indication de l'examen n'est pas justifiée.
_ Donc il y a trop ou pas assez de médecins ? je ne comprends plus rien.
_ C'est pas tellement ça. C'est juste que j'aimerais bien discuter plus fréquemment avec les médecins qui m'envoient leurs patients, histoire de savoir ce qu'ils cherchent et si effectivement je suis la personne qui pourrait aider leurs patients.
_ Et ce n'est pas le cas.
_ Non ! aucun médecin ne m'appelle. Et puis même s'ils le faisaient, je ne peux pas répondre puisque je suis en examen.
_ Si tu veux, tous les après-midis j'ai au téléphone des médecins pour prendre les rendez-vous et les noter sur le cahier. T'as pas remarqué mes initiales ?
_ Ah oui ! CP c'est toi ?
_ Bravo ! 10 ans d'études et ça met un mois à reconnaître des initiales.
_ Gna gna moque toi.
_ Ce que je disais, c'est que je peux prendre des messages des médecins pour discuter un peu.
_ Ah oui tiens ! bonne idée ! merci !
_ Qu'est-ce que tu ferais sans moi ? franchement.
_ De la merde.
_ Vrai.
_ Oui mais bon, ça ne résout pas le problème.
_ Ah parce qu'il n'y a pas que ça ?
_ Non ! l'après-midi, quand tu réponds au téléphone, je pars dans tous le services de l'hôpital pour donner des avis.
_ Et alors ? ça devrait te plaire ! tu parles avec le médecin et le patient et tu fais le boulot pour lequel tu as été formé. Je ne vois pas où est le problème.
_ Le truc c'est que neuf fois sur dix, le médecin n'est pas là, surtout en chirurgie parce qu'ils opèrent tout le temps. En même temps, c'est leur boulot. Mais du coup, je donne mon avis aussi bien que je peux mais je n'ai pas de retour. Et la semaine suivante quand les médecins ont changé et qu'on redemande le même avis sur la même patiente, rien de ce que j'avais dis n'a été fait ! c'est frustrant !
_ Donc, ya pas assez de médecins et trop de chirurgiens, c'est ça ?
_ Pfff bien essayé mais non. Il y a certains chirurgiens avec qui c'est agréable de bosser, il y en a d'autres...comme les médecins.
_ Qu'est-ce qui ne te plais pas au final ?
_ J'aimerais avoir mes patients, à moi, que je suis régulièrement, dont j'ai des nouvelles, et dont je vois que les efforts que je fais servent à quelque chose.
_ Oui, en gros, il te faudrait un service pour toi et des consultations de suivi.
_ Peut-être pas un service entier mais au moins une aile, oui, ça pourrait être sympa."

Providentiellement, Docteur Shleck fit irruption dans la salle de café.
"_ Dites-moi Georges, vous seriez partant pour vous occuper d'une aile du service la semaine prochaine ?
_ Euh...oui ! avec plaisir !
_ Ça tombe bien, on s'est trompé dans les plannings : on est 2 à partir en congrès et 2 en congés. Il ne restait qu'un seul médecin pour 2 ailes, c'est pas assez. Ça vous dirait d'avoir une aile pour vous tout seul ?
_ Oui, fis-je en imprimant un immense sourire banane.
_ Et aussi reprendre mon planning de consults, c'est possible aussi ?
_ Avec plaisir, avec mes molaires en guise de boucles d'oreilles.
_ C'est parfait. Je vous enverrai le planning vendredi, dit-elle en s'en allant.
_ Tu vois ! tout vient à point à celui qui sait attendre.
_ Je vais finir par croire que tu es un ange. "

Malheureusement, il ne faut jamais rien demander aux anges, au risque que le rêve ne se réalise et devienne un véritable cauchemar. 

En effet, ce que le Dr Shleck avait oublié de mentionner c'est qu'en l'absence de tout le monde, il y a tout le boulot à faire, le sien, et aussi celui des autres. Donc, une aile entière avec ses 12 patients à gérer, plus l'hôpital de jour, plus l'hôpital de semaine, plus les consultations. Ah oui, et les explorations fonctionnelles ont toujours fonctionné au même rythme qu'avant, œuf corse.

Grosso modo, j'ai accepté de bosser à temps plein et demi. Autant vous dire que j'ai fini sur les rotules. Sans compter qu'avec ma chance légendaire...je rappelle que c'est un service médecine plutôt polyvalente que spécialisée, avec un turn-over assez important. Ça veut dire qu'on accueille beaucoup de patients programmés mais aussi beaucoup de patients des urgences ou adressés directement par leur médecin traitant. Et là, c'est Kinder surprise.

"_Bonjour Monsieur ! alors vous venez parce que vous avec mal à la tête, c'est bien ça ?
_ Oui oui.
_ Je vois aussi qu'on vous a opéré de la tête il y a trois semaines, c'est bien ça ?
_ Oui oui. 
_ Et donc ça fait combien de jour que vous avez mal à la tête ?
_ François Mitterand.
_ Ah oui ! c'est fait longtemps quand même. Et vous transpirez toujours autant ?
_ Mmmmrlrgrl
_ C'est bizarre, on dirait que vous avez de la fièvre et que votre tension artérielle baisse. Monsieur ? monsieur ?! monsieur !!!
Lundi, premier jour, transfert en réanimation neuro chirurgicale. J'ai appris plus tard qu'il avait un abcès ventriculaire, avec des niveaux de pus bien visibles au scanner.

"Bonjour Monsieur ! alors comme ça vous venez parce que vous êtes fatigué et que le bilan fait aux urgences est normal, c'est bien ça ?
_ Bah pff pff apparemment, pff pff d'après les médecins pff pff que j'ai vu...
_ Et je vous trouve bien essoufflé. C'est depuis longtemps ?
_ Depuis pff pff une semaine.
_ Et ces œdèmes aux jambes, ça fait longtemps aussi ?
_ pff pff deux jours.
_ Mmm j'aimerais bien qu'on vous fasse passer une échographie cardiaque quand même."
Le cardiologue me rappelle :
"_ On va le garder en réa cardiaque ton patient, hein, il a une fraction d'éjection ventriculaire à 5%.
_ Oui je pense que c'est mieux, merci."
Ça c'était le mercredi.

Et le vendredi :
"Bonjour madame, ça va mieux ? moins de douleurs au ventre ?
_ Ah non ça ne va pas mieux.
_ Ah zut, montrez-moi, vous permettez ?
_...
_ Ah oui quand même, c'est nouveau cette défense globale de tout l'abdomen avec absence de gaz, sans vomissement, et fébrile en plus."
Le radiologue me rappelle :
_ En fait, ta patiente, je l'ai transférée directement en réa polyvalente, elle avait une pancréatite aiguë grave Balthazar E avec des bulles dans les coulées de nécroses.
_ Ah en effet ! merci !"

Le lundi suivant, de retour aux explorations, après le weekend entier passé à dormir (et manger), Lola m'aborde : 
"_ Alors ? cette première semaine en tant que chef, ça t'a plu ? c'était ce dont tu rêvais ! alors ?
_ La misère ! c'était horrible !!! j'ai pas arrêté, j'ai couru dans tous les sens, pas une seule seconde à poser mon cul nulle part et la machine à café en panne dans le service.
_ Oui, d'accord, t'as transpiré mais...au final...t'as kiffé ou pas ?
_ Bah...
_ Oui ou non ? t'as kiffé ?
_ Bah oui, répondis-je timidement."

La dessus, le Dr Shleck me rappelle :
"_ Salut, j'aurais besoin de toi pour parler des explorations fonctionnelles à la CME demain après-midi. T'es dispo ?
_ Euh...c'est quoi la CME ?
_ Je t'expliquerai sur place. A demain alors. Salut !"

A quoi allais-je participer ? dans quel merdier allais-je me fourrer ? vous le saurez prochainement...ici.