samedi 21 avril 2012

Année sabbatique 6

Ce billet est la suite directe de celui-ci. Mais, genre, à la seconde près.

"Allo Élodie ?
_ Euh...oui ?
_ C'est Georges. On s'est vu à ...
_ Oui Georges ! je me rappelle très bien. Ça va ?
_ Oui ça va bien. Je devais passer pas loin de chez toi alors je me suis dis que ça me ferait plaisir de te revoir.
_ Carrément ! tu passerais quand ?
_ Demain par exemple.
_ Ah oui quand même ! C'est vraiment de la dernière minute. C'est à dire que...bah...j'avais ça de prévu mais je peux annuler...oui ! Viens ! Ça me fait plaisir.
_ Super. On se donne rendez-vous où ?
_ Tu vois juste à côté de la rivière, il y a un café avec des transat rayés. Là bas à 18h ?
_ Ok, à demain.
_ A demain."

Je raccroche avec un énorme sourire et j'entends à travers le téléphone qu'elle aussi a le big smile. En plus, elle a annulé un truc pour me voir, moi ! Excellente nouvelle ! J'appelle tout de suite Milène pour lui conter mes aventures...occupée. Je rappelle 5 minutes plus tard...toujours occupée. Rongé par l'impatience, je rappelle une heure plus tard :

"Ça y est ! c'est bon ! j'ai un rendez-vous avec ma petite sage-femme d'un mètre quatre-vingt.
_ Ah cool ! c'est sûr alors ? tu l'as eu quand au téléphone ?
_ Il y a une heure et demi.
_ Et t'as réussi à attendre tout ce temps avant de me le dire !!!
_ J'ai pas vraiment eu le choix, ça sonnait occupé.
_ Ah oui c'est vrai, désolée, j'étais avec ma sœur.
_ Ça va pas mieux on dirait.
_ Si, un peu, elle a accepté le fait que son boulot ne lui plaisait pas. Mais elle se pose toujours un milliard de questions. Mais revenons à ton histoire ! tu la vois quand ?
_ Demain soir, café romantique au bord de l'eau.
_ Parfait ça. Quelle heure ?
_ Au coucher du soleil.
_ Très bien. Elle veut te voir dans un autre contexte que les tropiques, vous allez pouvoir discuter un peu. Si tu ne lui plais pas, elle peut te quitter après le verre et si ça se passe bien, vous pourrez manger ensemble. Il fait resto le café ?
_ Oui.
_ Excellent ! bon, ça se présente bien. Mais faut pas la prendre pour acquise, hein !
_ Non non, c'est trop beau pour être vrai, je dois me pincer pour y croire. Elle est parfaite cette fille.
_ Mouais, t'emballe pas trop non plus. Il y a des chances pour qu'elle se rebiffe un peu.
_ Ah bon ?
_ Bah oui ! Elle est arrivé dans ton lit dès le premier soir et vous vous êtes embrassé, toujours dans ton lit, dès le deuxième soir. C'est elle qui t'a abordé à l'aéroport...J'ai peur qu'elle pense que tu penses qu'elle est une fille facile et que tu viens juste pour la niquer.
_ Ah mince. J'avais pas vu ça comme ça.
_ Je veux pas te faire peur, mais si je peux te donner un conseil : ne précipite pas les choses sinon elle risque se braquer.
_ OK. Merci du conseil. Je te tiendrai au courant. Merci encore ! Bisous !"

Je pars en train, direction Paris, via cette ville au bord de l'eau avec un petit café-resto aux transat rayés. Dans ma valise, je me suis préparé pour 2 choses : finir ma thèse avec ma remplacée et courir ma course de dingues sous les tropiques. Je ne passe que 10 jours sur place. Je suis excité comme jamais, j'ai plusieurs événements majeurs dans ma vie qui se précipitent et se rapprochent de plus en plus.
   Pour ma thèse, j'ai travaillé, je maîtrise, je connais tous les chiffres sur le bout des doigt mais je n'ai pas suffisamment d'emprise sur ce qui reste à venir : les dernières corrections du big boss, l'impression, le jury et la soutenance. Pourtant, je n'ai pas peur.
   Pour la course, je me suis entraîné, j'ai beaucoup couru, sur du plat certes, mais j'arrive à faire 10km en 45mn. Assez fier de moi parce que j'ai toujours été nul en sport. Je connais le parcours, enfin la moitié faite en randonnées, ça va être difficile mais je n'ai pas peur.
   Pour le rendez-vous avec Elodie, je n'ai rien travaillé, j'improvise totalement, je ne maîtrise rien du tout et je suis mort de peur. 

Le lendemain, j'essaye de m'endormir dans le train, mais impossible. J'ai le cœur à 120 en permanence et les mains moites. Pas bon ça. Je ne sais pas du tout comment vont tourner les événements, alors je n'ai rien réservé. Pas de resto, pas d’hôtel. Rien. Je verrai bien. Je me sens comme un trapéziste sur le point de réaliser un triple salto sans filet.


J'arrive au café, je planque mon sac quelque part histoire qu'elle ne s'imagine pas que je pense que je vais directement dormir chez elle ce soir. Bon, c'est vrai, j'y pense un peu mais bon...un peu de subtilité ne peux pas faire de mal. Je ne suis pas non plus obligé de lui infliger mon sac et la question épineuse du couchage dès le premier soir en pleine face.

17h55, je me cale dans un transat avec un l'"Insoutenable légèreté de l'être" de Milan Kundera, un livre qui a la capacité de vous happer en vous faisant oublier tout le reste. Parfait pour avoir l'air nonchalant à son arrivée. Qui ne devrait plus tarder d'ailleurs...18h15. Ok, elle se fait désirer.
18h30. Ok, c'est pas une fille facile, j'ai bien enregistré le message.
19h...merde, il lui est arrivé un truc.
19h30 Appel : 
 "Je suis désolé, j'avais pas le choix, j'ai repris un garde de nuit à la maternité à la dernière minute, j'ai pas pu te prévenir plus tôt. Excuse-moi encore.
_ Tant pis. Je comprends.
_ Mais on peux se voir demain si tu veux.
_ J'imagine que le matin tu seras crevée. On peut se dire un brunch à 11h30. Ça te va ?
_ C'est parfait, à demain."

J'enrage, je bouillonne. J'ai envie de jeter mon téléphone sur les pavés, le piétiner, ramasser les miettes électroniques, les planquer dans de la mie de pain et les faire bouffer au pigeons pour que ce putain de téléphone finisse dans de la fiente de rat volant. Et que je le piétine encore.

Au lieu de ça, je respire par le nez, je retiens, je souffle par la bouche et j'appelle Milène.

Occupée.

"Aaaaaaaaarrg !!!!"

Tout le café se retourne vers moi. Ah zut, c'était pas juste dans ma tête, j'ai parlé tout haut. Mince.

Vu que ça fait aussi resto, je vais rester ici pour manger, je vais profiter de mon tête à tête entre Milan et moi.

21h : le livre est fini. Ça veut dire que je n'ai plus de passe temps pour ce soir, ni pour le train demain pour Paris, ni pour l'avion...Ça va être long. Je rappelle Milène, toujours occupée. Je me dirige donc vers le premier hôtel à croiser mon regard. 3 étoiles ? qu'à cela ne tienne.

"Bonjour, je voudrais une chambre avec baignoire s'il vous plait."

Quitte à perdre son temps, autant le faire bien. Pendant que l'eau coule, je rappelle Milène.

"Ah ! toi, t'as vraiment besoin de me parler. Qu'est-ce qui se passe ? t'es dans sa chambre, t'as une panne et t'as besoin de conseils ?
_ Non pas du tout. Elle m'a posé un lapin.
_ QUOI ?!?!
_ Et puis passe moi le numéro de ta sœur, ça suffit maintenant. M'en fous qu'elle aille pas bien.
_ Ok, explique toi avec, c'est le 06...
_ Merci, je te rappelle dans 5mn."

"Allo Stéphanie ?
_ Oui ? c'est qui ?
_ C'est Georges. Tu as conscience que tu monopolises ma meilleure amie alors que j'ai vachement besoin d'elle ?
_ Et toi alors ? c'est ma sœur je te rappelle, et moi aussi j'ai besoin d'elle.
_ Ah bon ? alors on va décider entre nous qui a le plus besoin de Milène. Ok ? toi d'abord.
_ D'accord. Moi d'abord. J'ai fini mes études de vétérinaire l'année dernière, ça fait un an que je bosse dans un labo à étudier l'épidémiologie des vaches et ça me fait chier. J'ai pas fait 10 ans de fac pour ça. Et toi ?
_ Je finis mes études de médecine l'année prochaine et je suis en pleine finition de thèse.
_ Et c'est rien que pour ça que t'emmerdes ma sœur ?
_ Non non. Je viens de me faire poser un lapin.
_ Oh sérieux !!! raconte !"

Au lieu des 5 minutes prévues, nous sommes restés 3 heures ensemble au téléphone, à parler de tout et de rien, de nos vies, de nos études, de nos histoires de cœur. Au bout d'un quart d'heure, j'avais complètement oublié Élodie.
Est-ce que vous avez vu le film "Rencontre à Elizabethtown" ? la scène où Orlando Bloom et Kirsten Dunst sont au téléphone pendant des heures ? bah pareil. Mais c'était pas un film, c'était la vraie vie.

Moi dans mon bain, le téléphone collé à l'oreille, elle en pyjama dans son appartement marseillais.

"Alors ton boulot te fait chier, c'est ça ?
_ Oui, ça fait un an que j'étudie la maladie de la langue bleue et que je dissèque des moucherons.
_ Faut vraiment que les vaches arrêtent de manger des myrtilles.
_ Pfff t'es con. Hihihi. Non mais sérieusement, je voulais soigner les animaux moi, pas faire des statistiques et travailler dans un labo.
_ Tu sais, moi aussi je suis plongé dans les statistiques en ce moment et c'est pas marrant. Il y en a qui aiment mais moi non plus, je suis pas fait pour ça.
_ Comme je te comprends.
_ Et toi ? il te faudrait quoi pour que tu aimes ton métier.
_ Mmm. Du contact, des vrais animaux malades avec des vrais gens. Et toi ?
_ Pas d'hôpital. Et encore moins de CHU. Je hais le CHU." 

Moi en peignoir, elle en train de se faire les ongles, moi dans mon lit, elle dans le sien...

"En dehors du contexte du boulot, il te faudrait quoi toi dans la vie pour être heureuse ?
_ Mmm, des grands espaces, des montagnes, voir le ciel tous les jours et me retrouver au milieu des bêtes.
_ Vétérinaire de réserve africaine, c'est ça ?
_ Carrément ! c'est ça que je voulais faire quand j'étais petite.
_ Et qu'est-ce qui t'en empêche ?
_ Bah...euh...moi. J'ai peur, c'est l'inconnu. Mais à part ça, rien ! Putain RIEN ! je suis libre en fait !"  

A 2h du matin, nous avons enfin décidé de nous chuchoter au revoir et puis :

"Tu fais quoi demain ?
_ Normalement je bosse. Pourquoi ?
_ On pourrait s'offrir 2 jours de vacances sur Paris par exemple, toi et moi.
_ D'accord. J'ai jamais fait ça mais ok.
_ T'as une voie bizarre.
_ Oui, je m'endors et je souris en même temps. C'est génial.
_ C'est mignon. Alors demain, rendez-vous à la gare de Lyon ?
_ Je te tiens au courant, je vais essayer de poser mon après-midi et on se retrouve au plus tôt à 18h à la gare de Lyon. Je t'appellerai. Bisous, à demain. Et merci.
_ Pourquoi merci ? j'ai l'impression de n'avoir rien fait de spécial
_ Non mais je vais beaucoup mieux grâce à toi."

Le lendemain, pour le brunch avec Élodie...j'ai hésité à lui poser un lapin mais ce n'est vraiment pas classe du tout. Alors je me suis pointé mais j'étais ailleurs, je pensais à mon weekend parisien.Je n'ai plus jamais revu Élodie, pas de nouvelle non plus.

Arrivé sur le quai de la gare de Lyon, j'attendais le train en provenance de Marseille. Je n'avais d'elle que des photos de Facebook. Et elle pareil. Nous nous sommes vus, souris, dix petites secondes d'embarras de ne pas savoir quoi faire, quoi dire, comment s'y prendre...nous nous sommes embrassés, fougueusement, comme dans le "baiser" de Doisneau et tout s'est déroulé naturellement ensuite. 

Stéphanie et moi avons passé un formidable weekend à visiter les musées, retourner à l'hôtel, aller au ciné, hôtel, promenade sur les quais de Seine, hôtel, hôtel et re hôtel.

"Je peux te poser une question ?
_ Bien sûr ?
_ A ton avis, ça vient d'où cette histoire qu'il ne faut pas coucher le premier soir ?
_ Mmm. Sans doute une histoire d'être respectueux envers la personne.
_ Mais ça n'a pas de sens : je peux facilement imaginer un mec qui attendrait plusieurs soirs dans l'attente de niquer et qui respecte pas du tout la fille, ce qu'elle pense, son travail, sa famille, ses idées...le respect ça passe par autre chose.
_ C'est vrai ! ça voudrait dire que mon boss, je le respecte juste parce qu'il ne couche pas avec moi.
_ Ça doit être une histoire de pouvoir alors. Pour ne pas que l'homme prenne trop d'ascendant sur la femme, elle se réserve le pouvoir de dire non.
_ C'est possible. Mais ça n'empêche pas le mec d'être un gros connard. Un connard patient mais un connard quand même. S'il veut jeter la fille comme une merde, il peut toujours le faire après.
_ Du coup, c'est une protection contre quoi ?
_ Peut-être contre soi-même : on a parfois envie de se jeter à corps perdu dans une aventure sans réfléchir aux conséquences. Ça doit être des rémanences de l'époque où la contraception n'existait pas.
_ Alors que faire ? coucher le premier soir ou pas ? en fonction de quel critère ?
_ Je crois qu'on a la chance de pratiquer la sexualité que l'on veut avec la personne que l'on veut. Le reste, c'est une affaire de convictions, de sentiments et de trouver une personne convenable pour le partager. Si tu veux du cul et juste du cul, on s'en fout de ce que la personne peut avoir dans le crâne ou dans le cœur. Et si tu veux autre chose, il faut prendre son temps pour le découvrir et faire comme on le sent.
_ Et nous deux ? on est en train de faire quoi ?
_ Je ne sais pas. Mais je passe deux jours exceptionnels et je ne regrette pas.
_ Moi non plus. Et j'aime te découvrir, vêtement par vêtement, un par un.
_ Pfff t'es con. Hihihi."

Le dernier jour ensemble, elle reprenait le train pour Marseille et réfléchissait à changer de boulot. Je prenais l'avion pour affronter les kilomètres de dénivelé et la dernière ligne droite de ma thèse.

To be continued...

mercredi 11 avril 2012

Thèse 11

Je me retrouve donc avec un recueil de données à poursuivre, une thèse coupée, une date de soutenance décalée (hihihi, coupée-décalée, comprenne qui pourra), une première embauche repoussée et toujours pas l'ombre d'un jury. C'est le calme plat dans mes histoires de cœur et ça fait 6 mois que je n'ai pas vu mes amis avec les remplacements et la thèse à taper. Le bon côté des choses, c'est que j'ai trouvé à la fois une motivation et un exutoire dans la course.

Je reprends mon mode de vie de warrior : le matin, je me lève, j'enfile mes godasses, mes écouteurs et je sors courir en forêt. Mon capteur me guide dans ma progression et mon lecteur musical me distille Sébastien Tellier, Terry Callier ou les grands Mick & Keith. Nous sommes en octobre, c'est l'automne, les arbres sont flamboyants, un tapis rouge de feuilles mortes se déroule sous mes pas, les oiseaux célèbrent le lever de soleil, je foule la rosée scintillante et j'écrase les champignons, les mauvais bien sûr.
Je me libère l'esprit et surtout je me prépare psychologiquement à affronter la journée. Je me motive en me disant qu'en octobre, je retourne sur mon ile pour faire une course épique, réservée aux fous furieux, 160 kilomètres dans les montagnes. Pour l'instant, 5km en 30mn, je m'améliore petit à petit.

Je rentre prendre la douche la plus apaisante qui soit, je mange le meilleur petit déjeuner du monde, je m'introduis dans me petite voiture chérie et je file aux archives. Je dois exhumer pour la deuxième fois 8 dossiers, que j'ai déjà consultés, pour en extraire le lieu où les patients ont passé ce foutu scanner avant de consulter au CHU. Ensuite, je dois remettre les coordonnées du cabinet de radiologie à la secrétaire de Pr A pour qu'elle les appelle, les convainque de nous envoyer une copie CD, si tant est qu'il existe un original. A ma charge de faire relire le-dit CD aux radiologues.

Dans le billet précédent, je vous avais conté comme la gestation d'une thèse ressemble davantage à un match de boxe qu'à une grossesse. Pour le premier match, je me suis fait exploser. Cette fois-ci, je prépare ma défense : je photocopie la feuille des coordonnées et j'anticipe. Je crains que la secrétaire de Pr A n'appelle jamais les radiologues. Je me trompe peut-être mais si j'ai raison, ça signifiera que tout mon travail acharné supplémentaire aura été en vain.

Une fois l'épreuve d'archéologie médicale terminée, j'attaque la dernière partie du recueil de données : Pr A m'a rajouté 6 noms. Pour certains, je n'ai que le nom de famille, pas de prénom, pas de date de naissance et je dois me démerder avec l'ordinateur pour retrouver un minimum de renseignements. Heureusement, j'ai des co-internes en or. Micheline m'appelle :
"On a M. X. qui revient dans le service pour un bilan, j'ai pensé à toi et j'ai mis son dossier de côté."
Note pour plus tard : envoyer un email au Pape pour la béatifier.

Mais dans une thèse, quand il n'y a plus de travail, il y en a encore : avec toutes ces nouvelles données, il faut que je refasse l'intégralité de mes statistiques mais c'est là que se pose le problème. Est-ce que j'attends les hypothétiques CD des radiologues ? il y a de fortes chances pour que les archives d'il y a 10 ans soient paumées ou inexistantes mais il existe une maigre éventualité qu'un seul CD ait survécu et parvienne au CHU. Si j'anticipe trop, je fais toutes les statistiques maintenant et je vais devoir les RE refaire encore une fois (ça fera seulement la sixième) uniquement pour un putain de CD miraculé.
J'opte pour la voie de la flemme : j'attends.

Mi-octobre est arrivé très vite. Ma course a lieu dans une semaine. Je réserve mon billet, j'appelle la médecin que j'avais remplacée pour lui proposer de rebosser la rédaction ensemble, elle accepte. J'ai donc une période de flottement entre la fin officielle du recueil de données, mon départ aux tropiques, et le début de la dernière ligne droite de ma thèse. J'ai besoin de me ressourcer, de m'apaiser, personne ne sait mieux faire que Milène

"Alors Georges ! Qu'est-ce qui t'arrive ?
_ Au secours ! il me reste un mois pour finir ma thèse et j'ai même pas encore fini le recueil de données, ni les stats. J'ai même pas de résultats définitifs et encore moins de conclusion ! c'est la cata !!! Help !!!
_ Bouge pas, on va prendre un verre et ça ira mieux."

Elle a toujours la solution : on se pose dans un café, on prend quelques consommations, puis on se lève, on se promène dans la ville, on prend une glace, on reprend un café. Cependant les heures défilent, on parle, sans arrêt, sans se couper la parole, rebondissant sur les dires de l'autre, naturellement, un vrai dialogue. Ça ne résout rien évidemment mais ça fait tellement de bien.
Ce jour là, Milène avait reçu plusieurs coups de téléphone mais avait laissé sonner. Au bout de la troisième :
"Tu peux répondre tu sais, je vais pas me vexer.
_ Non, c'est bon, c'est ma sœur, elle ne va pas bien en ce moment.
_ Ta sœur ? je ne savais pas que tu avais une sœur. Elle s'appelle comment ?
_ Fenouil.
Je ne peux pas m'empêcher de pouffer.
_ Non sérieusement, comment elle s'appelle.
_ Je suis sérieuse ! elle s'appelle Fenouil. L'officier d'état civil ne voulait pas l'inscrire au registre alors son prénom officiel c'est Stéphanie. En famille, on l'appelle Fenouil.
_ Ils sont originaux vos parents.
_ Tu n'as pas idée. Je leur dois aussi mes prénoms. 
_ Ils ne sont pas originaux tes prénoms pourtant.
_ Quand tu ne connais pas l'histoire, forcément. Mes parents étaient hippies. Vers la fin des années 70, ils sont partis dans le Larzac. Mais au lieu d'élever des chèvres comme tout le monde, ils ont voulu élever des moutons et des lamas. L'idée, c'était de faire des pull moitié en laine de mouton, moitié en laine de lama. Le problème c'est que les lamas n'ont jamais passé la douane pour un problème vétérinaire à la con et mes parents se sont retrouvé avec une exploitation trop grande avec trop peu de moutons. Du coup, ils ont quand même réussi à faire rentrer clandestinement un couple de lamas. Ça a commencé à jaser et ils ont fini par se faire expulser par l'armée. Je suis née à peu près à ce moment là. D'où mes prénoms.
_ Je ne comprend toujours pas.
_ Mi-laine et Manue, comme manu militari.
_ C'est dingue !
_ Après cet épisode, dégoutés par le monde animal, mes parents ont décidé de devenir végétariens. Ma sœur est née à cette période, c'est pour ça qu'ils l'ont appelée Fenouil.
_ Comment est-ce que j'ai fais pour passer autant de temps avec toi sans avoir connaissance de cette histoire ?
_ Sans doute parce que ma sœur a claqué la porte du domicile parental à 18 ans. Moi je faisais les études qui plaisaient à mes parents, pour avoir une situation, de l'argent et avoir le choix de vivre comme eux ou autrement. Fenouil, elle, avait le sentiment de ne pas avoir le choix, que nos parents n'avaient d'yeux que pour moi, l'ainée. Alors elle est partie faire les études qui emmerderaient le plus nos parents : vétérinaire.
_ Sans déconner !
_ On est resté en contact distant quelques années et depuis récemment on s'appelle plus fréquemment. Ça fait plaisir de retrouver ma sœur. Je te la présenterai à l'occasion.
_ Ok. La prochaine fois qu'elle appelle, tu pourras répondre. La famille d'abord.
_ Toi et moi, ça fait tellement longtemps qu'on se connait, on s'aime comme un frère et une sœur, tu fais presque partie de la famille !
_ Oh t'es adorable ! si je devais me choisir une sœur, ça serait toi. Bon assez parlé de mes problèmes. Et toi ? quoi de neuf ?
_ Pfff rien et c'est bien ça qui m'énerve. Rien ne bouge avec mon boulet de Brandon. Ça fait 2 ans qu'on est ensemble et il n'a presque pas bougé de son canapé. Je te jure, l'empreinte de ses fesses est devenue permanente à tel point que c'est inconfortable de s'assoir à sa place. Il passe son temps à jouer aux jeux videos, à regarder la télé ou des DVD. Et moi je passe mon temps à ranger ses affaires et à faire à manger quand il ne commande pas de pizza.
_ Ça fait 2 ans que je te dis de le quitter, il ne te mérite pas.
_ Ah ! c'est marrant, c'est le seul point sur lequel vous êtes d'accord ?
_ Ah bon ? il va te quitter ?
_ Non, il dit qu'il ne me mérite pas, que je suis trop parfaite pour lui, du coup, ça lui fout la pression, il s'énerve et m'engueule d'être aussi géniale.
_ C'est affligeant. Et tu lui as pas dit de bouger son cul un peu ?
_ Si ! il a décidé ce qu'il allait faire de sa vie.
_ Ah bon ? quoi ?
_ Comme moi : il s'est inscrit à l'IFSI.
_ Sérieusement ? c'est génial !
_ Mouais, sauf que son argument c'est qu'on pourra passer plus de temps ensemble et que je pourrai lui passer mes cours.
_ C'est désespérant."
Ça ne nous a pas empêché de rire de ce désespoir.

De retour chez moi, je prépare ma valise pour mon ile. Départ dans 4 jours. Mais avant ça, j'ai quelque chose d'important à faire : je dois revoir Élodie.

To be continued...