mercredi 11 avril 2012

Thèse 11

Je me retrouve donc avec un recueil de données à poursuivre, une thèse coupée, une date de soutenance décalée (hihihi, coupée-décalée, comprenne qui pourra), une première embauche repoussée et toujours pas l'ombre d'un jury. C'est le calme plat dans mes histoires de cœur et ça fait 6 mois que je n'ai pas vu mes amis avec les remplacements et la thèse à taper. Le bon côté des choses, c'est que j'ai trouvé à la fois une motivation et un exutoire dans la course.

Je reprends mon mode de vie de warrior : le matin, je me lève, j'enfile mes godasses, mes écouteurs et je sors courir en forêt. Mon capteur me guide dans ma progression et mon lecteur musical me distille Sébastien Tellier, Terry Callier ou les grands Mick & Keith. Nous sommes en octobre, c'est l'automne, les arbres sont flamboyants, un tapis rouge de feuilles mortes se déroule sous mes pas, les oiseaux célèbrent le lever de soleil, je foule la rosée scintillante et j'écrase les champignons, les mauvais bien sûr.
Je me libère l'esprit et surtout je me prépare psychologiquement à affronter la journée. Je me motive en me disant qu'en octobre, je retourne sur mon ile pour faire une course épique, réservée aux fous furieux, 160 kilomètres dans les montagnes. Pour l'instant, 5km en 30mn, je m'améliore petit à petit.

Je rentre prendre la douche la plus apaisante qui soit, je mange le meilleur petit déjeuner du monde, je m'introduis dans me petite voiture chérie et je file aux archives. Je dois exhumer pour la deuxième fois 8 dossiers, que j'ai déjà consultés, pour en extraire le lieu où les patients ont passé ce foutu scanner avant de consulter au CHU. Ensuite, je dois remettre les coordonnées du cabinet de radiologie à la secrétaire de Pr A pour qu'elle les appelle, les convainque de nous envoyer une copie CD, si tant est qu'il existe un original. A ma charge de faire relire le-dit CD aux radiologues.

Dans le billet précédent, je vous avais conté comme la gestation d'une thèse ressemble davantage à un match de boxe qu'à une grossesse. Pour le premier match, je me suis fait exploser. Cette fois-ci, je prépare ma défense : je photocopie la feuille des coordonnées et j'anticipe. Je crains que la secrétaire de Pr A n'appelle jamais les radiologues. Je me trompe peut-être mais si j'ai raison, ça signifiera que tout mon travail acharné supplémentaire aura été en vain.

Une fois l'épreuve d'archéologie médicale terminée, j'attaque la dernière partie du recueil de données : Pr A m'a rajouté 6 noms. Pour certains, je n'ai que le nom de famille, pas de prénom, pas de date de naissance et je dois me démerder avec l'ordinateur pour retrouver un minimum de renseignements. Heureusement, j'ai des co-internes en or. Micheline m'appelle :
"On a M. X. qui revient dans le service pour un bilan, j'ai pensé à toi et j'ai mis son dossier de côté."
Note pour plus tard : envoyer un email au Pape pour la béatifier.

Mais dans une thèse, quand il n'y a plus de travail, il y en a encore : avec toutes ces nouvelles données, il faut que je refasse l'intégralité de mes statistiques mais c'est là que se pose le problème. Est-ce que j'attends les hypothétiques CD des radiologues ? il y a de fortes chances pour que les archives d'il y a 10 ans soient paumées ou inexistantes mais il existe une maigre éventualité qu'un seul CD ait survécu et parvienne au CHU. Si j'anticipe trop, je fais toutes les statistiques maintenant et je vais devoir les RE refaire encore une fois (ça fera seulement la sixième) uniquement pour un putain de CD miraculé.
J'opte pour la voie de la flemme : j'attends.

Mi-octobre est arrivé très vite. Ma course a lieu dans une semaine. Je réserve mon billet, j'appelle la médecin que j'avais remplacée pour lui proposer de rebosser la rédaction ensemble, elle accepte. J'ai donc une période de flottement entre la fin officielle du recueil de données, mon départ aux tropiques, et le début de la dernière ligne droite de ma thèse. J'ai besoin de me ressourcer, de m'apaiser, personne ne sait mieux faire que Milène

"Alors Georges ! Qu'est-ce qui t'arrive ?
_ Au secours ! il me reste un mois pour finir ma thèse et j'ai même pas encore fini le recueil de données, ni les stats. J'ai même pas de résultats définitifs et encore moins de conclusion ! c'est la cata !!! Help !!!
_ Bouge pas, on va prendre un verre et ça ira mieux."

Elle a toujours la solution : on se pose dans un café, on prend quelques consommations, puis on se lève, on se promène dans la ville, on prend une glace, on reprend un café. Cependant les heures défilent, on parle, sans arrêt, sans se couper la parole, rebondissant sur les dires de l'autre, naturellement, un vrai dialogue. Ça ne résout rien évidemment mais ça fait tellement de bien.
Ce jour là, Milène avait reçu plusieurs coups de téléphone mais avait laissé sonner. Au bout de la troisième :
"Tu peux répondre tu sais, je vais pas me vexer.
_ Non, c'est bon, c'est ma sœur, elle ne va pas bien en ce moment.
_ Ta sœur ? je ne savais pas que tu avais une sœur. Elle s'appelle comment ?
_ Fenouil.
Je ne peux pas m'empêcher de pouffer.
_ Non sérieusement, comment elle s'appelle.
_ Je suis sérieuse ! elle s'appelle Fenouil. L'officier d'état civil ne voulait pas l'inscrire au registre alors son prénom officiel c'est Stéphanie. En famille, on l'appelle Fenouil.
_ Ils sont originaux vos parents.
_ Tu n'as pas idée. Je leur dois aussi mes prénoms. 
_ Ils ne sont pas originaux tes prénoms pourtant.
_ Quand tu ne connais pas l'histoire, forcément. Mes parents étaient hippies. Vers la fin des années 70, ils sont partis dans le Larzac. Mais au lieu d'élever des chèvres comme tout le monde, ils ont voulu élever des moutons et des lamas. L'idée, c'était de faire des pull moitié en laine de mouton, moitié en laine de lama. Le problème c'est que les lamas n'ont jamais passé la douane pour un problème vétérinaire à la con et mes parents se sont retrouvé avec une exploitation trop grande avec trop peu de moutons. Du coup, ils ont quand même réussi à faire rentrer clandestinement un couple de lamas. Ça a commencé à jaser et ils ont fini par se faire expulser par l'armée. Je suis née à peu près à ce moment là. D'où mes prénoms.
_ Je ne comprend toujours pas.
_ Mi-laine et Manue, comme manu militari.
_ C'est dingue !
_ Après cet épisode, dégoutés par le monde animal, mes parents ont décidé de devenir végétariens. Ma sœur est née à cette période, c'est pour ça qu'ils l'ont appelée Fenouil.
_ Comment est-ce que j'ai fais pour passer autant de temps avec toi sans avoir connaissance de cette histoire ?
_ Sans doute parce que ma sœur a claqué la porte du domicile parental à 18 ans. Moi je faisais les études qui plaisaient à mes parents, pour avoir une situation, de l'argent et avoir le choix de vivre comme eux ou autrement. Fenouil, elle, avait le sentiment de ne pas avoir le choix, que nos parents n'avaient d'yeux que pour moi, l'ainée. Alors elle est partie faire les études qui emmerderaient le plus nos parents : vétérinaire.
_ Sans déconner !
_ On est resté en contact distant quelques années et depuis récemment on s'appelle plus fréquemment. Ça fait plaisir de retrouver ma sœur. Je te la présenterai à l'occasion.
_ Ok. La prochaine fois qu'elle appelle, tu pourras répondre. La famille d'abord.
_ Toi et moi, ça fait tellement longtemps qu'on se connait, on s'aime comme un frère et une sœur, tu fais presque partie de la famille !
_ Oh t'es adorable ! si je devais me choisir une sœur, ça serait toi. Bon assez parlé de mes problèmes. Et toi ? quoi de neuf ?
_ Pfff rien et c'est bien ça qui m'énerve. Rien ne bouge avec mon boulet de Brandon. Ça fait 2 ans qu'on est ensemble et il n'a presque pas bougé de son canapé. Je te jure, l'empreinte de ses fesses est devenue permanente à tel point que c'est inconfortable de s'assoir à sa place. Il passe son temps à jouer aux jeux videos, à regarder la télé ou des DVD. Et moi je passe mon temps à ranger ses affaires et à faire à manger quand il ne commande pas de pizza.
_ Ça fait 2 ans que je te dis de le quitter, il ne te mérite pas.
_ Ah ! c'est marrant, c'est le seul point sur lequel vous êtes d'accord ?
_ Ah bon ? il va te quitter ?
_ Non, il dit qu'il ne me mérite pas, que je suis trop parfaite pour lui, du coup, ça lui fout la pression, il s'énerve et m'engueule d'être aussi géniale.
_ C'est affligeant. Et tu lui as pas dit de bouger son cul un peu ?
_ Si ! il a décidé ce qu'il allait faire de sa vie.
_ Ah bon ? quoi ?
_ Comme moi : il s'est inscrit à l'IFSI.
_ Sérieusement ? c'est génial !
_ Mouais, sauf que son argument c'est qu'on pourra passer plus de temps ensemble et que je pourrai lui passer mes cours.
_ C'est désespérant."
Ça ne nous a pas empêché de rire de ce désespoir.

De retour chez moi, je prépare ma valise pour mon ile. Départ dans 4 jours. Mais avant ça, j'ai quelque chose d'important à faire : je dois revoir Élodie.

To be continued...

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