samedi 31 décembre 2011

Les "chirurgiens" 2

Bon ok, tous les chirurgiens n'incarnent pas le stéréotype de "chirurgiens". D'ailleurs, les personnes les plus humaines que j'ai rencontré étaient deux chirurgiens, admirables. Ils avaient toutes les qualités qu'on pouvait espérer chez un médecin, un vrai.

J'étaits en première 4° année, celle où je voulais abandonner. Mon premier stage, en pédiatrie m'avait apporté plus de confusion que de réconfort dans la profession vers laquelle je m'engageais. Arrive le deuxième stage : chirurgie cancérologique.

Déjà, ça partait mal. La personne qui nous a reçu nous a dit de venir à 8h30 mais que le bloc commençait à 7h30. Vous voulez pas nous voir pendant 1h ? je ne comprenais pas. En plus, il n'avaient besoin que de 2 externes par matinée, plus un 3° externe de secours au cas où l'un serait malade. On était une armée d'externes, 12 ou 14, à se répartir 3 par matin. Ce qui fait que tout le monde a eu beaucoup de vacances pendant ce stage.
Et les "chirurgiens" nous disaient : "Vous venez ou vous ne venez pas, c'est pareil. Nous on a juste besoin de 2 personnes le matin pour tenir les écarteurs". Ça encourage vachement à coopérer.

J'ai assisté la première semaine à des reconstruction mammaires, les internes disaient que ça rapportait beaucoup d'argent. J'ai vu des chirurgies du désespoir de cancers très étendu chez des patients pour qu'on opérait pour dire qu'on faisait quelque chose et pas rien. J'ai entendu toutes les vannes entre anesthésistes et chirurgiens. J'ai surtout rencontré des chirurgiens exécrables de caractère (pas de compétence quand même). C'est à partir de là que mon dégout des "chirurgiens" est né.

Par chance, je suis tombé sur deux personnes extraordinaires, 2 chirurgiens que j'ai suivi à tour de rôle.  On a opéré une patiente qui avait un cancer du sein. Il m'a tout expliqué : comment on lui avait diagnostiqué, ce que son médecin lui avait dit, qui l'avait fait paniquer forcément, lui qui la reçoit en consultation 3 mois plus tard effondrée, la rassure, lui explique comment ça va se passer et la suite. Tout ça pendant qu'il opérait et moi qui tenait les bords de l'ouverture.
Il m'expliquait ce qu'il était en train de faire pour que je comprenne que le petit truc jaune clair au milieu de l'amas jaune foncé, c'était un vaisseau lymphatique, le petit truc bleu-un-peu-jaune une veine, le petit truc jaune-un-peu-gris un nerf. Ça ne ressemble pas du tout aux cahiers d'anatomie de première année, mais soudain, sous son regard, ça prend du sens, du corps, ça devient réel, concret.

Je l'ai suivi pendant 1 semaine entière, de 7h30 jusqu'à 14h pour qu'il me raconte un maximum de choses. C'était passionnant, alors que j'avais horreur de la chirurgie, je commençais même à aimer ça. Il m'a parlé de sa formation, celle d'un chirurgien généraliste (je ne pensais pas qu'on pouvait coller les 2 mots ensemble), que les personnes qui lui avait enseigné leur savoir étaient des mecs qui savaient tout opérer.
"Maintenant, les chirurgiens sont spécialisés, ce qui est mieux pour leur savoir faire, leur expertise, il y a moins d'erreurs mais on ne considère plus le patient dans son ensemble. A cause de ce fractionnement, on ne prend plus la personne humaine que comme un bout de viande et c'est préjudiciable. Autant pour le patient que pour soi même ! Comment veux-tu avoir une certaine estime de toi si tu te vois comme un tas de bidoche ! C'est pour ça, sans doute que beaucoup de chirurgiens se prennent pour des dieux, ils veulent sublimer la matière. Ils se considèrent comme des esprits au delà de la chair. Pour ne pas affronter la réalité, leur vision des choses. "

J'ai continué à le suivre, lui et son collègue, hors du bloc. Je veux dire en consultation. Ils m'ont appris à entendre la détresse des gens, leurs angoisse et surtout leur ignorance par rapport à des mots barbares tels que ACR2, spiculé, micro-calcifications...j'en passe et des pires.

"Bonjour Madame et Monsieur. Que puis-je faire pour vous ?
_ C'est mon médecin traitant qui m'a dit de venir. Voilà : ma cousine est morte d'un cancer du sein l'année dernière, j'étais très inquiète alors j'ai demandé à refaire une mammographie. Alors je suis venu vous voir avec les résultats parce que mon médecin généraliste est inquiet.
_ Voyons voir ça...mmm...Je comprends qu'il soit inquiet : le compte-rendu du radiologue n'est pas clair. Mais les images ne sont pas alarmantes.
_ Ça va dire que je n'ai pas de cancer ?
_ Les images sont rassurantes mais c'est vrai qu'il subsiste un doute, c'est ce que le radiologue dit dans son compte-rendu et c'est pour ça que votre médecin traitant est inquiet. Il a peur que vous ayez un cancer du sein.
_ Ah d'accord.
_ Maintenant, moi, les doutes, je n'aime pas en avoir, je ne sais pas pour vous, mais moi, on me dirait que j'ai une boule douteuse dans le sein, j'aimerais savoir ce que c'est.
_ Oui, moi aussi, dit-elle en souriant.
_ Maintenant pour être sûr, il y a 2 choses à faire : d'abord je vais vous examiner et après, dans quelque temps, on va faire une biopsie, c'est à dire que sous anesthésie locale, on va plonger une petite aiguille dans la boule de votre sein, on va en extraire une petite partie et on va l'analyser.
_ Mais vous pensez que c'est grave ?
_ Je ne peux rien dire avec certitude tant que je n'ai pas les résultats. Honnêtement, il y a de fortes chances pour que ce soit bénin, mais il reste un doute, je ne veux pas avoir de doute. Vous non plus je suppose.
_ Non, moi non plus, dit-elle en souriant encore.
_ Avec les résultats de la biopsie on sera fixé : si c'est bénin, tant mieux, vous rentrez chez vous et vous continuez vos mammographies. Si c'est un cancer, ça veut dire qu'on s'en est occupé tôt et on sera le mieux placé pour vous donner le meilleur traitement. D'accord ? est-ce que vous avez des questions ?
_ Non, Docteur, c'était très clair, merci. "

Il l'a examiné et pris rendez-vous pour la biopsie. Il avait réussi un tour de force : il a annoncé à la patiente qu'elle avait "peut-être" un cancer, elle lui a souris, 2 fois et lui a dit merci. Je n'en revenais pas. Nous avons analysé ensemble les images, il m'a dit les arguments en faveur de bénignité, ceux en défaveur, qu'à ce stade on ne pouvait encore rien dire et que ça ne servait à rien de faire paniquer la patiente.

"Le plus difficile, c'est d'être à la fois honnête et rassurant. Il ne faut pas mentir au patient soit disant pour leur bien. Ils sont capables de comprendre."

La patiente suivante par contre, vu les images, il n'y avait pas de doute. Il a pris le temps, nous avons passé presque 45mn avec elle et son époux à répondre à leurs questions. Il a su choisir les mots pour qu'ils ne soient pas complètement effondrés mais qu'il puissent saisir le problème dans toute sa réalité. Pas facile, pénible, pas drôle du tout.

"Certaines études de cancérologie montrent qu'un patient optimiste a de meilleurs chances de survie après cancer du sein. Nous n'avons pas le droit de les priver d'espoir. Même si concrètement, c'est mal engagé."

La patiente suivante, plutôt jeune, il l'avait opéré l'année dernière, un cancer du sein relativement étendu, elle venait pour une visite de contrôle. Elle avait un sein en moins, une cicatrice à la place, elle avait les cheveux courts mais elle était bronzée et souriante. Le chirurgien m'avait expliqué tout son dossier avant qu'elle ne rentre.

"Bonjour Docteur, je viens pour la visite de contrôle. Vous vous rappelez de moi ?
_ Bien sûr que je me rappelle. Comment allez-vous ?
_ Très bien, j'ai pris quelque vacances avec mon mari.
_ Je vois ça. Tant mieux, vous avez bonne mine.
_ Merci. Je viens vous voir surtout parce que l'année dernière vous disiez que si tout allait bien, on pourrait envisager une reconstruction mammaire l'année suivante. Et voilà, l'année est passée et tous les examens sont bons. J'aimerais me sentir à nouveau entière."

Depuis, j'ai de l'admiration pour les chirurgiens, ceux qui sont encore humains et médecins, ceux qui savent lire et parler, des soignants.


P.S. : pour ceux qui veulent se faire une idée sur l'optimisme et le pronostic des cancers. Voilà le pour :
http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2661422/?tool=pubmed

et voilà le contre :
http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/cncr.24671/abstract

vendredi 30 décembre 2011

Les "chirurgiens"

Je n'ai absolument rien contre cette catégorie professionnelle. Non, ceux contre qui j'ai une dent de la taille d'une défense de mammouth, ce sont les individus qui incarnent parfaitement le stéréotype. Vous voyez ? le col relevé, le regard de James Bond et le tonitruant "Bougez pas, j'arrive, je suis chirurgien" quand ils entrent dans une pièce, comme s'ils sauvaient des vies à tour de bras tous les jours (ce qui n'est quand même pas souvent le cas, faut le reconnaître). C'est ce genre d'individus que je regroupe sous l'archétype "chirurgien" (notez bien les guillemets).

Pourquoi je ne les aime pas ? attention ! j'ai certains de mes plus proches ami(e)s qui sont chirurgiens. Ceux que je ne peux pas blairer, ceux qui ne sont pas mes amis, ce sont ceux avec qui il est impossible de travailler. Je relate :

C'était au CHU. Oui parce qu'au CHU il y un phénomène d'émulation entre "chirurgiens" : ils ont tous la grosse tête alors forcément, il y a de la concurrence. Leur jeu préféré c'est de montrer celui qui aura la plus grosse (au sens pas tout à fait figuré). J'étais dans mon service à traîner mes chaînes et mon boulot jusqu'à me rendre compte que le boulet, c'était moi-même, mais nous y reviendrons.

Mon patient, M. Camembert, avait 2 infections, une sur chaque gros orteil de chaque pied. Une à gauche et une à droite (je précise, ça aura son importance plus tard). Celle de gauche avait touché l'os, elle était super profonde et donc potentiellement grave. Celle de droite, c'était une grosse poche de pus bien moche et qui sent le fromage, superficielle, pas très grave.

La première, on n'arrivait pas à récupérer de bactéries dans les prélèvements. La deuxième, il n'y avait qu'à se baisser et appuyer sur l'orteil tout rouge pour en recueillir. La première (celle de gauche je le répète) ne pouvait être traitée que par amputation de l'orteil. La deuxième (celle de droite, vous devez commencez à voir où je veux en venir) nécessitait juste des antibiotiques (à condition de ne pas se tromper) et des soins locaux.

Pour savoir quel antibiotique mettre, nous avons eu droit à un cours de sémiologie olfactive par le Professeur :
"Vous sentez ? si ça sent le fromage, c'est un germe de la peau, donc sensible à tel spectre d'antibiotiques. Si ça sent les ordures, c'est un germe anaérobie, donc d'autres types d'antibiotiques. Mais là, pour le cas du patient ici présent, ça sent plutôt la merde. C'est donc un Escherichia coli".

Bon, dans le cas du patient, c'était pas aussi simple parce qu'il avait 2 pieds, 2 infections, donc potentiellement 2 germes différents (parce qu'en vrai, dans sa chambre, ça sentait le fromage, les ordures et la merde). Il ne nous restait donc qu'une seule solution : amputer l'orteil et l'envoyer en bactériologie pour analyse.

J'ai donc rédigé un courrier avec toutes les informations du patient, ses antécédents, ses traitements, le fait qu'on soit embêté avec ses 2 pieds, tout ça, tous les détails, avec à la fin, s'il vous plaît, en gras souligné, d'envoyer l'orteil GAUCHE (pas le droit, hein ? le gauche) en bactériologie. Et surtout, pas besoin d'opérer le pied droit. J'ai même noté mon numéro sur le courrier pour qu'on m'appelle si soucis.

Ce que je ne savais pas, c'est que les "chirurgiens", eux, ils ne savent plus lire ! Mon patient est revenu 3 jours plus tard, sans son orteil droit. J'étais furax. Évidemment, je me suis fait engueuler par le Professeur Saint-Nectaire disant que j'étais responsable mais je lui ai répondu que non, que j'avais fait un courrier détaillé, que je l'avais même photocopié et mis dans son dossier.
"Et tu l'as appelé le chirurgien avant qu'il opère ton patient ?
_ Euh...non.
_ Et voilà. Donc, oui, c'est TOI qui est responsable. TU vas rappeler le chirurgien en lui disant que TU avais fait une erreur et qu'il faut lui amputer d'URGENCE son autre orteil.
_ Oui mais leur service est complet et ils n'ont plus de place pour les 10 prochains jours, arguais-je tout penaud. 
_ Tu te démerdes."

J'ai du aussi expliquer au patient pourquoi on lui avait enlevé un orteil qu'on ne devait pas lui enlever. Super top crédibilité. Il a insisté pour que ce soit un autre chirurgien qui l'opère (ça peut se comprendre).

J'ai donc retéléphoné dans le service pour avoir une place dès que possible, le cadre de santé de chirurgie me dit pour lundi 13. Ok, je rappelle le chirurgien, un autre, je lui explique tout, il a compris, je vérifie qu'il ait bien compris :
"Bah oui, quand même je suis pas con". Je me retiens de lui faire part de mes doutes. Je refais un courrier mais cette fois-ci de 5 lignes avec écrit en majuscules rouges et passées au fluo : ENVOYER L'ORTEIL GAUCHE EN BACTÉRIO.

J'adresse le patient le lundi à 9h pour qu'il soit opéré dans l'après-midi, tout va bien. Je peux souffler et sourire.

A 10h je reçoit un coup de fil du chirurgien :
"Qui est le con qui envoie les patients quand il n'y a pas de place ?!?!?!
_ Je m'excuse mais votre cadre m'a dis que pour lundi 13 il y avait une place réservée pour le patient.
_ Regardes ton calendrier ducon ! c'est lundi 12 ou mardi 13. Y a pas de lundi 13."

Le patient est revenu dans le service à 11h, il était encore plus perdu que la première fois, on ne lui avait rien expliqué en chirurgien. Je suis allé m'excuser auprès de lui, lui dire que cette fois, c'est moi qui avait fait une boulette. Bizarrement, il ne m'a pas engueulé, il a compris que je me démenais pour lui depuis le début et que c'était pas facile.

Le lendemain il a été re-transféré (pour la 3° fois en une semaine) et opéré. J'ai appelé la bactério. Ils n'ont jamais reçu son orteil...

mercredi 28 décembre 2011

les lendemains de garde difficiles

C'était en stage de CHU, celui où n'avait pas trop trop le droit de prendre nos repos sinon on foutait la misère à sa co-interne préférée et ça, je ne voulais pas. Donc, j'ai commencé la journée à 8h, grosse journée et j'ai enchaîné à 18h30 sur la garde d'étage avec le téléphone dans la poche de la blouse.

A 20h, pendant la contre-visite (oui, les chefs de cliniques aussi avaient une vie de merde), le téléphone sonne :
"C'est la gastro, c'est pour vous dire que l'interne s'en va.
_ Il a bien de la chance.
_ Oui, non mais c'est surtout pour vous dire qu'il attend un résultat.
_ Il ne peut pas rester pour l'attendre ?
_ Bah c'est surtout qu'il l'attend depuis 14h son résultat.
_ Mouais. Mais il ne pouvait pas m'appeler pour m'expliquer ou au moins venir m'en parler ?"

Juste à ce moment, je vois débarquer l'interne de gastro, on interrompt la CV (contre-visite, suivez un peu) pour qu'il m'explique le cas.
"Oui, effectivement, une kaliémie à 6, il vaut la recontrôler, ça vaut mieux. ECG normal ?
_ Oui, ECG normal.
_ T'as pas appelé le labo pour avoir le résultat directement ?
_ Ça répondait pas ou ça sonnait occupé.
_ Comme d'hab. On réessaye, on tombera sûrement sur l'interne de garde au labo."

Effectivement, nous avons eu l'interne du labo qui nous a donné le résultat par téléphone. Nous finissons la CV et là, ça n'a pas arrêté.

Le téléphone a sonné toute la nuit, toutes les 30mn. A peine avais-je le temps de gérer un truc qu'on m'appelait pour autre chose. J'ai mangé à 1h du matin. Pendant le repas, l'infirmière de nuit de gastro me rappelle :
"C'est pour vous donner le résultat de kaliémie de Mme Pruneau.
_ Oui je l'ai déjà, c'est normal." (avec 12h de retard mais passons).

J'arrive enfin à calmer le téléphone pendant 1h d'affilée et je vais dans la chambre de garde à 4h du matin. Si vous ne connaissez pas les chambres de garde, imaginez le pire hôtel où vous ayez dormi, Afrique comprise : il y a des toiles d'araignées aux coins et pas que les coins du plafond, les coins du sol aussi. Le chauffage est ... extrême : soit il y en a et il faut 38° dans la chambre, soit il n'y en a pas et il faut pareil que dehors. En plus, c'est souvent situé à côté du chauffage central de l'hôpital, avec ses turbines, ventilateurs, appareils divers et variés qui font du bruit, toute la nuit forcément.

C'est toujours au fond d'une cave ou au dernier étage, au bout d'un couloir peu éclairé, genre "the Shining" sauf que les internes ne se déplacent pas en tricycle (ça pourrait être sympa). Le lit est un ancien lit de patient qu'ils ont trop honte de garder parce que quand même ça serait pas correct, mais il faut le garder quand même pour faire des économies alors on le met dans la chambre de garde. De toute manière, les internes de nuit ne dorment pas (c'est pas complètement faux).

A 4h15 du matin, j'enlève ma blouse, j'hésite à enlever mes vêtements au cas où on m'appellerai, mais bon, j'ai bien bossé, non stop, je mérite un petit somme. Alors je m'installe tout nu sous les draps (je rappelle qu'il fait une chaleur tropicale en plein hiver) et 15 minute après que j'ai posé ma tête sur l'oreiller, le téléphone sonne :
"C'est pour vous dire que Mme Findevie est décédée en neuro.
_ Ah mince. C'est une surprise ou c'était attendu ?
_ Non, c'était attendu.
_ Bon, donc les papiers sont rédigés, je n'ai plus qu'à les signer.
_ Ah non, rien n'est prêt, il faudra tout faire et appeler la famille. Ah oui ! il faudra retirer son pacemaker aussi."

Je raccroche et je monte en neuro. Il y a plusieurs choses que je ne comprend pas : pourquoi est-ce que la signature du certificat de décès est une urgence qui nécessite sa réalisation dans le quart d'heure ? Pourquoi devrais-je appeler la famille, la réveiller à 5h du matin pour leur annoncer une mauvaise nouvelle ? En plus, je ne connais pas du tout la patiente, je réponds quoi si on me demande de quoi elle est morte ? de vieillesse ?

Je pose toutes ces questions à l'infirmière :
"_ Je ne sais pas mais on a toujours fait comme ça ici.
_ Ok, mais le pacemaker, il faut l'enlever d'accord mais ça peut pas attendre demain ?
_ Bah non ! si l'interne passe une demi-heure à l'enlever, il sera en retard pour faire son boulot dans le service. Et puis, si la famille arrive, on va pas les faire patienter en dehors de la chambre le temps qu'on lui enlève son pacemaker."

Là, elle marque un point. J'ouvre le dossier de la patiente pour savoir de quoi elle est morte. L'observation est rédigée par un externe de 4° année, un bébé doc, comme moi il y a encore quelque temps : autant dire qu'il y a tout et n'importe quoi dans l'observation mais pas ce qui m'intéresse. Elle a tellement d'antécédents que je peux juste dire qu'elle n'est pas décédée de la typhoïde (et encore...).
Je ne sais pas pourquoi elle a été hospitalisée et je ne sais pas ce qui a été décidé et fait depuis qu'elle est entrée. Je ne sais encore moins ce qui a été dit à la famille.

Heureusement, dans le dossier infirmier, il y avait un peu plus d'infos. Je vais voir la patiente dans sa chambre, je confirme le décès (non, elle ne fait pas semblant pour déconner) et je me prépare à enlever le pacemaker. J'enfile mes gants et avant de commencer l'incision, j'ai la tête à 20cm de son visage et je ne me penser qu'à une seule chose : elle sourit. Elle est jolie, comme si elle dormait paisiblement.

J'appelle la famille :
"Excusez-moi de vous réveiller, je suis l'interne de nuit de l'hôpital Machin, vous vouliez être tenu au courant de l'état de santé de Mme Findevie. Vous êtes ?
_ Son fils, je vous écoute. Elle est morte c'est ça ?
_ Oui, je suis monté la voir à 5h du matin, elle était décédée. Elle n'a pas souffert.
_ Bon, merci docteur".

J'ai pas l'impression de le mériter ce "merci docteur". D'une part parce que je ne suis pas encore Docteur, je ne suis qu'interne et la thèse c'est pas gagné (j'en parlerai plus tard). D'autre part parce que je n'ai rien fait pour la dame, rien. J'ai même refait du travail qui avait déjà été fait pour que ça ne serve à rien. Le seul truc d'utile c'était d'avoir vu son visage tranquille pour pouvoir dire avec assurance que son départ s'est passé sans douleur.

Impossible de me rendormir, j'ai commencé mon tour dans le service à 7h du matin et je me suis avancé autant que possible. J'ai réussi à finir tout mon boulot à 14h et comme je n'avais pas d'entrée de prévue cet après-midi (4 la veille quand même, ça devrait suffire) je me suis évaporé du service. Je venais d'enchaîner 30 heures de boulot d'affilée, en ayant dormi 15 minutes, pour être payé le mois prochain 120 euros bruts, soit 4 euros de l'heure, moitié moins que le SMIC. Si c'est pas de l'esclavage, c'est quoi ?

Je ne pensais qu'à une chose : mon lit. Ça m'a fait me souvenir qu'il ne me restait que des vieux draps moches et qu'au bout d'un moment il faudrait peut-être en changer, même s'il n'y avait personne pour les partager ses draps. Je me suis rendu dans un magasin de literie, avec autant de vivacité qu'un zombie, j'ai pris le premier ensemble que j'ai vu pas trop moche, j'ai réglé avec ma carte bleue sans entendre le prix et je me suis dirigé vers chez moi.
Je me souviens précisément que la vendeuse m'a dit : "N'oubliez pas ! il faut les passer une fois en machine à 40° et après seulement vous pourrez les utiliser". Zut, je ne vais pas pouvoir siester dans des draps tout neufs.
En les mettant dans la machine, je me suis dis qu'ils étaient vachement doux quand même ces draps. On dirait de la soie. Non...c'est pas de la soie...euh...combien elle a dit que ça faisait ? je récupère le reçu : 300 euros.
Je regarde l'étiquette  : satin.

Trop tard pour les rendre, la machine est déjà en train de tourner. Je me dis qu'il me faudra encore 2 gardes pour pouvoir rentabiliser ces draps et que mes co-internes vont me charrier TRÈS FORT dès qu'elle vont apprendre ça.

samedi 24 décembre 2011

Ca tient à peu de choses

J'étais en 4° année, ou plutôt, je redoublais ma DCEM2 après des oraux mémorables (cf ici). Je me posais beaucoup de questions. Pour plusieurs raison :
D'abord : est-ce que j'ai vraiment ma place en médecine, sachant que j'avais réussi les examens de justesse (cf ici encore).
Ensuite : est-ce que ça me plait vraiment ? parce que pour être franc, je ne voyais pas bien le rapport direct entre les cours de sémiologie (où les Professeurs ne se pointaient pas), les stages de sémiologies où finalement, on apprenait à interroger un patient sans rien pouvoir en tirer derrière, et la pratique réelle.

Je connaissais par cœur certains cours, notamment ceux de sémiologie digestive parce que ça faisait beaucoup marrer mes potes non-carabins quand je leur racontais les différentes variétés de caca et de vomi. Par conséquent, je savais comment palper un ventre mais je n'avais idée de ce que l'information recueillie pouvait m'apporter pour un quelconque diagnostic.

C'est assez frustrant d'avoir la tête pleine d'un savoir inutile.

Ma première quatrième année ne m'avait pas apporté grand chose (à part un stage que je raconterai une prochaine fois) surtout parce que j'étais passé en chirurgie. Et le cours de D2 étaient complètement différents des précédentes années. C'était comme si on nous demandait en début d'année de connaître tout le programme des 3 prochaines années. Beaucoup de travail et frustrant de voir qu'il manque encore une foule de connaissance pour avoir le niveau de base.

J'aborde donc ce redoublement comme la dernière chance : si ce stage ne me plait pas, j'arrête médecine. Je suis tombé dans un hôpital militaire (je rappelle qu'à ce stade, j'avais les cheveux longs et la barbe).

Je me suis retrouvé avec un maître de stage qui est devenu un maître tout court. Il prenait le temps (la visite avait toujours du retard) non seulement d'expliquer aux patients mais aussi à nous les externes. Il demandait la permission de nous faire écouter des souffles, interpréter des signes cliniques.

"Madame Omi, qui vient pour une maladie de ...
_ Non, dis-moi d'abord de quoi elle se plaint.
_ Euh...d'oedèmes des membres inférieurs.
_ Voilà ! depuis quand ?
_ Euh...2 mois.
_ Les oedèmes, c'est signe de quoi ?
_ Ça peut être de l'insuffisance cardiaque droite.
_ Bien. Pour étayer ton hypothèse, il y a quoi d'autre comme signes d'insuffisance cardiaque droite ?
_ Euh, l'hépatomégalie, la turgescence jugulaire et le reflux hépato-jugulaire.
_ Très bien. Mais surtout, il faut vérifier quoi ?
_ Qu'il n'y ait pas d'insuffisance cardiaque gauche ?
_ Oui, et ça se manifeste comment ?
_ Par un œdème pulmonaire ?
_ Oui ! donc Madame Omi, vous permettez qu'on vous examine et qu'on vous ausculte ? On va vous regarder le foie, le cou et les poumons.
_ Avec plaisir."

C'est surtout ça qui m'a réconcilié avec la médecine : le patient présente un ensemble de signes qu'on peut regrouper en syndrome, ces syndromes ont plusieurs étiologies et le but du médecin sera de faire le diagnostic étiologique pour soulager le patient de ses signes. "On ne traite pas des chiffres."

J'ai enfin compris à quoi servait de travailler, ce que représentaient les maladies aux noms barbares. J'ai pu faire le tri dans tout le bordel de données accumulées dans la tête et pu ranger les suivantes dans les tiroirs idoines.

En dehors de la chambre, on rediscutait des étiologies possibles, du pronostic, du traitement, du suivi. On comprenait le patient dans sa globalité, son ensemble. C'était une personne à part entière et pas le porteur d'une maladie.

Si vous aussi dans votre entourage, il y a eu des gens qui ont provoqué un déclic chez vous, remerciez-les et envoyez leur au moins une petite carte de vœux.

Joyeux Noël à tous =)

vendredi 23 décembre 2011

Une petite histoire de Noël

J'étais interne au CHU et je reçoit un charmant monsieur de 80 ans pesant bien ses 100kg, M. Quintal.
"Bonjour monsieur, comment allez-vous ?
_ Beaucoup mieux merci. Et vous même ?
_ Je manque de sommeil mais ça va. Est-ce que vous savez pourquoi vous êtes ici ?
_ Oui, parce que j'ai fais un infarctus la veille de Noël.
_ Ah oui, c'est vrai que ce n'était pas le meilleur moment mais on ne choisit pas.
_ Oui, mais c'était surtout pas le meilleur endroit. Et puis j'ai causé beaucoup de soucis à madame mon épouse.
_ C'est à dire ?
_ Je vous explique : elle m'avait préparé un bon petit repas avec magret de canard tout ça mais à un moment, je ne me suis pas senti bien, j'ai essayé de me lever mais j'ai fait un malaise et je suis tombé par terre.
_ Vous avez fait peur à votre femme, je comprends.
_ Non, je l'ai mise en colère.
_ Pardon ?
_ Oui, parce que quand j'ai fait mon malaise, je suis tombé par terre, enfin, pas tout à fait. Je suis tombé sur Kiki, son chien, un petit teckel. La pauvre bête est morte sur le coup."

J'imaginais ce monsieur de plus de 100kg s'étaler de toute sa masse sur un animal de 10kg tout mouillé. Je me suis mordu les lèvres pour ne pas rire.

"Mon épouse a hésité à appeler le vétérinaire ou notre médecin traitant en premier et finalement elle a appelé le médecin qui nous a dit de nous rendre aux urgences cardiologiques.
_ Oui, votre épouse vous a sauvé la vie en appelant d'abord le médecin.
_ C'est vrai, mais le pauvre Kiki n'a pas survécu.
_ Il fallait faire un choix : soit vous soit le chien.
_ Pendant quelques secondes j'ai eu peur qu'elle choisisse le chien, mais j'en suis content. Ça prouve qu'elle m'aime davantage. Quand je sortirai d'ici, je lui en offrirai un autre, un gros cette fois, un peu moins fragile."

Allez, parce que c'est vous, une deuxième pour la route. A peu près au même moment, soit le même jour soit la veille, nous avons reçu une petite dame diabétique de type 1 depuis l'enfance, qui vient pour hypoglycémies à répétition.
"Oh lala ! j'espère que vous allez résoudre mon problème d'hypoglycémies parce que ça me pose un gros soucis avec mes bottes.
_ Euh...avec vos bottes ? je ne comprends pas bien.
_ C'est évident, non ? quand je suis en hypoglycémie, je fais un malaise et il faut que je me resucre, si je me resucre, je grossis et si je grossis, je ne peux plus enfiler mes bottes !"

Oui, c'est l'évidence même.

En vous souhaitant à tous de joyeuses fêtes de fin d'année.

jeudi 22 décembre 2011

Ma vie sentimentale a été quasi-inexistente

Pendant les stages en CHU, je n'avais quasiment pas de vie tout court. Je me levait entre 6h et 6h30, en fonction du courage que j'avais à ces heures matinales (autant dire très peu), je me pointais au boulot à 8h, je suais bien fort à faire le taf de 2 internes à moi tout seul (oui, 15 patients lourds tout seul, c'est épuisant) et je sortais à 22h en moyenne. En moyenne, ça veut dire que les jours de chance, j'arrivais à m'enfuir à 20h et les jours de pas de chance, à minuit.

Ça veut dire une arrivée à la maison une heure plus tard (45mn aller, 45mn retour et entre 15 et 30mn pour trouver une place pour se garer), manger un peu, dormir et recommencer. Le weekend, lessive, course, rattraper le sommeil en retard. Le dimanche, essayer de lire les dernières publications.

Le vendredi était très très dur parce que le matin, on avait une séance de lecture d'articles avec tous les médecins du service. Ça durait une heure, donc il fallait super bien résumer l'article, montrer qu'on avait bien compris les tenants et aboutissants de la publication et répondre aux questions. Sauf que, l'article en question, on n'avait pas eu le temps de le travailler dans la semaine, donc on le lisait en catastrophe le jeudi soir jusqu'à 2h du matin. Le soir, on faisait les transmission de nos 15 patients à l'interne qui allait devoir rester d'astreinte pour le weekend. Autant vous dire que 4mn par patient, ça fait déjà une heure de passée dessus. Sauf qu'on avait des patients lourds, je me répète mais faut bien comprendre. Généralement, à 21h ou 22h, quand la journée était finie, qu'on n'avait presque pas dormi la veille et qu'on voyait qu'on allait encore passer 2h sur des transmissions, on pleurait.

Là bas, dans ce service, le weekend, c'était comme une journée normale pour un interne normal dans un service normal. Pour nous, c'était presque des vacances : arrivée à 9h, départ à 18h30, avec seulement une à 2 entrées par jour (oui, même le dimanche). Parfois même, miracle, pas d'entrée de tout le weekend.

Tout ça pour dire qu'en dehors du travail, on n'avait pas vraiment de latitude pour avoir une vie sentimentale, même pas pour trouver l'âme sœur, non (faut pas trop croire au Père Noël non plus) mais ne serait-ce qu'avoir une personne avec qui passer une peu de temps, avec qui parler d'autre chose que le boulot.

Au bout de 3 mois, il ne se passait tellement rien dans nos vie à tous les 3co-internes, Pilar, Micheline et moi, que la moindre petite éventualité de possibilité de moitié de bisou nous enflammait en un quart de seconde. Si par exemple le fils d'une patiente était moyennement beau ou un peu bien habillé et qu'il faisait un sourire à Micheline, on avait droit à un debriefing immédiat (à 21h) autour d'un thé et d'un Pepito.

Un jour dans le service a débarqué une étudiante diététicienne brésilienne, Yolanda. De grands yeux verts, des cils immenses...parce que le reste, je n'avais pas trop la possibilité de voir avec la blouse blanche informe qui la recouvrait. Un jour, je l'ai bousculé un peu sans le faire exprès (si, en vrai, c'était complètement fais exprès), ça l'a surprise et amusée en même temps. Avant de partir (vers 17h, c'est écœurant) elle est venue me voir, en civil (j'en ai profité pour admirer tout ce qui était caché par l'uniforme), m'a demandé mon nom et je lui ai proposé de lui faire visiter la région étant donné qu'elle venait d'un pays lointain et qu'elle ne devait pas connaître. OK, rendez-vous samedi à 10h.

Je cours voir Pilar pour la supplier d'échanger le weekend pour que je puisse avoir une vie de dehors l'hôpital pitié-pitié-pitié et je te promet de te raconter tous les détails lundi matin première heure. Elle a accepté avec comme taxe, une boîte de Pepito.

J'ai emmené la belle Yolanda en bord de mer, marcher sur le sable (oui, en hiver, c'est moyen), en plus, il faisait tout gris et il s'est mis à pleuvoir. Mais en la raccompagnant chez elle, j'ai pensé à la chanson de Brassens "le parapluie". C'est vrai qu'elle avait quelque chose d'un ange et j'ai elle m'a offert un petit coin de paradis, le temps d'une après-midi.

"J'espère que la journée t'a plut, malgré le temps.
_ Oui, c'était très bien (je ne vous parle même pas de son accent charmeur). Mais pour être honnête, je connaissais déjà.
_ Ah bon ?
_ Oui, je suis née en France, ici même, c'est pour ça que je parle aussi bien.
_ Pourquoi tu as accepté mon invitation alors ? (oui j'étais très naïf à l'époque et je n'ai pas tellement changé depuis)
_ Pour pouvoir passer l'après-midi avec toi bien sûr."
Elle m'a souris et m'a embrassée. J'ai souris bêtement, j'ai lutté pour ne pas rester planté devant chez elle comme un benêt sous mon parapluie et je suis rentré chez moi.

Lundi matin, c'était l'Afghanistan : tous les patients ont décompensé en même temps pendant la nuit et il a fallu leur faire une tonne d'exploration à tous dans la matinée. Pilar nous a promis qu'elle n'était pas responsable et qu'ils étaient tous en pleine forme la veille au soir. Du coup, nous avons repoussé le debriefing au repas du midi (ou plutôt 14h). Je raconte l'après-midi et j'en viens au passage juste avant le pas de la porte. Mes 2co-internes étaient pendues à mes lèvres :
"Alors alors alors ?!?! Ensuite ! il s'est passé quoi ? tu l'as embrassée ??? m'ont-elles demandé avec de grands yeux qui pétillent.
_ Non, répondis-je, et on pouvais lire dans leurs yeux toute la déception de 2 mois de frustration sentimentale sentimentale. Il faut comprendre qu'à ce moment du stage, je représente leur plus grand espoir de vivre une histoire par procuration, il ne fallait pas que je les abandonne, j'étais leur feuilleton. J'ai poursuivi :
_ Non, je ne l'ai pas embrassée. C'est elle qui m'a embrassé."
_ AAAAAAAHHHH TROP BIEEEEEEEEEEN !!! se sont-elles exclamé et applaudi en même temps.

On était dans le self de l'hôpital (où on mange la même chose dégueu que les patients), il devait y avoir une centaine de médecins qui mangeaient en retard comme nous et ils se sont TOUS retournés vers notre table pour connaître la raison de cette clameur : un mec seul à table entouré de 2 filles qui l'applaudissent...plutôt sans équivoque.

Heureusement, les diététiciennes mangeaient à des heures décentes et n'ont pas eu vent de cette histoire. J'ai eu à la fois ma plus grande honte et ma plus grande fierté, simultanément.

mardi 20 décembre 2011

une demi-molle d'AX

Une mole est la quantité d'atomes (ou de molécules) qu'il y a dans 12 grammes de carbone12. Une demi-mole, c'est la moitié soit environ 0,5 fois 10 puissance 23. Mais là, ça n'a rien à voir. Une demi-molle, c'est aussi une moitié d'érection. Pas assez pour des festivités mais suffisamment pour savoir qu'une personne ne nous laisse pas indifférent.

Pour être complètement honnête, je dois avouer que mon sentiment positif à l'égard des réanimateurs est lié à une voiture, une AX, verte, avec des taches de rouille. Ou plutôt, sa propriétaire : Nadine.

Elle était interne de réa, petite, de grands yeux verts, la peau chocolat au lait, des lèvres pulpeuses, un rire cristallin avec les dents du bonheur. Pas celles de Yannick Noah, où on pourrait y ranger une dent supplémentaire, non. Elle avait ce soupçon d'espace entre les 2 incisives du haut, comme un grain de beauté au coin du regard, sauf que c'était dans les dents. Enfin, moi, j'aime.

Elle avait ce petit truc en plus, cette affection immédiate qu'on lui porte dès qu'on la rencontre. Ça et un autre détail d'importance. Je ne sais pas si c'était parce qu'elle portait toujours des Tshirt taille 14 ans en dehors du boulot, ou si elle avait tout le temps froid (en été?) ou si elle était contente de me voir, mais elle avait toujours les tétons qui disaient bonjour. Si bien que je ne savais jamais où donner du regard : ses yeux, ses dents, ses seins, un peu des trois. AH !!! bref, elle était très belle.

Lors d'une soirée internat, on dansait ensemble, au début à distance respectable, puis de plus en plus proches. Les mecs derrière son dos, des internes d'orthopédie, me regardaient en pointant leurs pouces vers le haut en me faisant des clins d’œil. Une manière très subtile de me signaler qu'ils appréciaient la tournure des événements entre ma partenaire et moi. Ces mêmes internes sont ensuite allés danser sur le comptoir du bar.
Il faut savoir que ces soirées sont open-bar et que, forcément, en se promenant avec son verre au milieu de ceux qui dansent, l'intérieur du verre fini par se répandre sur les épaules de tout le monde. Donc, pendant la soirée, pendant que je dansais avec Nadine, je sens du liquide m'asperger l'épaule. Mais ça ne sentait pas l'alcool et c'était tiède. Bizarre. Je me retourne et je vois 3 internes, les même qui me félicitaient de danser avec Nadine, qui avait le pantalon aux genoux et qui pissaient sur la foule.

On s'est embrassé au milieu de la piste de danse (malgré les circonstances) et m'a demandé de la raccompagner à sa voiture : une AX verte avec des traces de rouille sur le capot.

Elle me dit qu'elle a passé une très agréable soirée (encore une fois, malgré les hommes-fontaines) et qu'elle me rappelle demain. Je reste un tout petit peu décontenancé sur le parking...

Le lendemain, elle m'écrit qu'elle est désolée, qu'elle était bourré, qu'elle ne sait pas ce qui lui a pris, que c'était une erreur et qu'elle ne recommencerai plus. Je lui ai répondu que c'était une erreur très agréable et qu'elle pouvait recommencer quand elle voulait.

La soirée suivante, elle portait une espèce de tout petit haut, sans bretelle, ce qui fait qu'on pouvait contempler ses épaules et son nombril. Elle avait un peu bu avant que j'arrive et quand elle m'a vu, elle a levé les bras au ciel (avec son verre plein). Mais la rapidité de son mouvement a eu raison de son vêtement, qui est resté au même emplacement que la seconde précédente. J'ai eu le droit de contempler autre chose : ces deux seins magnifiques ont fait une excursion simultanée en dehors de son haut. Au même moment, le contenu de son verre plein, qui avait été projeté en l'air par son lever de bras, a eu le temps de décrire sa parabole et de retomber sur sa tête.
Pendant sa stupeur, elle ne s'est pas rendu compte de sa semi-nudité et du fait que sa meilleure amie lui remontait ce qui lui faisait office de soutient-gorge (cachez donc ces seins que je n'ai su que trop bien voir).

Là dessus, on a dansé ensemble, elle a continué à boire. Elle m'a demandé de la raccompagner chez elle, sa meilleure amie nous a suivis. Elle m'a embrassé (Nadine, pas la meilleure amie), l'a faite s'assoir côté passager de son AX verte et a démarré. 10 mètres plus loin, la voiture s'arrête, la porte passager s'ouvre. Peut-être Nadine va-t-elle sortir pour m'embrasser de nouveau et me proposer de la border ?
Non, elle s'est penchée et a vomi.
 
Depuis, à chaque fois que je croise une AX verte, j'ai une moitié d'érection, surtout si elle a des traces de rouille.

Les réas sont des rois

Loin de toute adulation ou revendication de supériorité d'une spécialité par rapport à une autre, quand j'étais bien profond dans le caca, les réas m'ont toujours dépatouillé avec classe. Peut-être que j'ai eu de la chance et que je ne suis tombé que sur des mecs (et des filles) extraordinaires mais je l'avoue : les réas, je vous kiffe.

Première garde de samedi dans un service du CHU. Je fais ma visite le matin tranquille, on mange à des heures décentes, c'est à dire avant 14h, avant que le self ne ferme sinon c'est la misère et t'as plus qu'à commander une pizza et les patients qui sont à la fois admiratifs et un peu apeurés que tu aies du sang sur ta blouse et que tu n'oses pas leur dire que c'est de la sauce tomate.

L'après-midi se passe bien, pas beaucoup d'entrées, on fait la contre-visite à une heure correcte (c'est à dire commencée avant 18h). Et là, ça commence. L'infirmière rentre dans le bureau :
"Monsieur Crado est tout bleu et il a une tension à 6 et une fièvre à 40°"
On court dans la chambre de M. Crado qui doit en être à son 6° choc septique de l'année (au 10° l'hospitalisation est gratuite et vous pouvez inviter un ami, ouais !). On reprend la tension, on prélève un bilan infectieux et je lui fais un gaz du sang (c'est à dire que je pique dans un artère de la main pour savoir combien il a d'oxygène dans le sang, s'il n'en a pas beaucoup, c'est pour ça qu'il est tout bleu).
On appelle les réas :
"Bonjour, désolé de vous importuner à cette heure mais...
_ Pas de problème je t'écoute.
_ On a M. Crado qui fait encore un choc septique sauf que cette fois, en plus, il est tout bleu.
_ Ok. Vous lui passez un litre de macromolécules, vous lui relevez les jambes, vous lui passez 6L d'O2 à la minute et on arrive." Tout ça dit sur le ton d'un présentateur météo qui nous annonce un grand soleil sur tout la moitié nord de la France.

2 réas arrivent, polis (ils marchent vite mais disent bonjour à tout le monde), se penchent sur mon patient, je leur donne tous les résultats que je peux avoir.
"Ok, on le monte dans le service, merci de nous avoir appelé." Toujours sur le ton de la conversation. 

J'accompagne le patient en réanimation.
"La tension reste à 6. Ok, je lui fais une écho cœur : la veine cave est collabée mais il a une bonne fonction VG. Jeannine ? tu peux lui passer un litre de salé avec un autre litre de macromolécules s'il te plait ?" comme s'il commandait un café au bistro.

Au bout de 15mn à s'affairer autour du patient, ce dernier se réveille, sa tension remonte à 10, la fièvre redescend.
"On va te le garder quelques jours le temps d'avoir l'antibiogramme, d'accord ? je te tiens au courant. Et merci." avec un énorme sourire, comme si c'était moi qui lui rendait un énorme service.

Je retourne dans le service. On passe devant la chambre de Mme Crise.
"Zut, je crois qu'elle convulse.
_ Et merde. C'est pas elle qui est revenue de réa en début de semaine ?
_ Si.
_ A qui on a remis un traitement anti-épileptique qu'elle avait oublié de prendre.
_ Si.
_ Bon, ben ça marche pas.
_ Allo les réas ? on a Mme Crise qui refait un état de mal. Il vous reste une place ?"

Ils nous donnent des consignes par téléphone, je pousse le brancard jusque dans le service de réa (juste à côté heureusement).

Je retourne dans le service et j'entends BOUM.
"Valérie, c'est toi qui a renversé un truc ?
_ Non, je pensais que c'était toi.
_ Merde."

On se précipite vers le bruit au moment où un patient crie "A l'aide !". On rentre dans la chambre, le voisin nous dit :
"Il s'est pas senti bien et il est tombé d'un coup, comme ça".

Par terre est étendu M. Voisin, pas de pouls.Valérie me crie :
"COMMENCES A MASSER, J'APPELLE LES REAS !"

Je demande au patient encore sur ses pieds de sortir. Je masse, je ventile et les réas arrivent, au pas de course, sans transpirer, en moins de 5mn.
"Si tu es fatigué, je peux prendre le relai si tu veux."
Nous avons fait tout ce qu'on a pu, adré, choc électrique, mais au bout de 20mn, toujours pas de rythme cardiaque spontané.
"On a fait tout ce qu'on a pu, tu as très bien massé, mais on ne peut rien faire de plus pour lui."

Valérie ma chef s'est occupée du reste. Nous sommes sortis de notre astreinte de samedi à 22h et elle me fais avec un petit sourire en coin :
"Demain tu restes chez toi, tu portes la poisse. A lundi."

lundi 19 décembre 2011

Mon premier stage d'externe

Arrivé en 4° année (D2 pour les intimes) on commence un nouveau stage de 3 mois, d'octobre à fin décembre. Pour moi qui était avant avant dernier à choisir (cf ici) je me suis retrouvé pile là où je ne voulais pas aller : en pédiatrie (relisez avec en tête la musique d'un film qui fait peur, genre "Psychose" ou quand on perd dans "Plant vs Zombies").

Je ne veux pas y aller. La voix sur mon épaule gauche (en collants moulants rouges avec un trident) me dit : t'aimes pas les enfants, encore moins les enfants malades et en plus, la pédiatrie, c'est pas au programme de D2, c'est seulement l'année prochaine. A quoi ça te sert d'apprendre des trucs qui ne tombent même pas aux examens ?
Et sur mon épaule gauche, l'autre voix (en toge blanche avec une lyre) me dit : c'est beau les enfants, en plus tu leur rendra servie en les soignants. Et puis c'est bien la pédiatrie, il y a des nounours partout.

Évidemment, si on me chope un jour en train de jouer avec les nounours, à 22 ans, je fais un stage gratuit en psychiatrie.

Je prends mon courage et mon sthéto à 2 mains et je passe la porte. A mon grand étonnement, les enfants ne sont pas en train de brailler, le service est calme. Normal : il n'y a personne. Une puéricultrice avec une rose sur son badge (hihihi, ça me fera toujours marrer, cf ici) me dit qu'ils sont tous en salle de staff. J'arrive donc en retard, comme si ça ne suffisait pas avec ma barbe et mes cheveux longs.

On m'explique en quoi va consister le boulot, comment on s'organise, tout ça. "On", c'est Pr Brigitte, notre chef suprême qui demande qu'on la tutoie et qu'on l'appelle par son prénom (c'est suffisamment rare pour que je le souligne). Elle nous fait faire le tour du service, d'abord des locaux, puis des patients. Elle nous présente ses patients presque comme s'ils étaient ses propres enfants, en les appelant par leurs prénoms.

On rentre dans la chambre de "la petite Lilou, qui pèse 1,2 kg et qui a doublé son poids depuis sa naissance"...je fais des maths vite fait, je n'ai pas fini qu'elle répond à ma question : "Oui, elle pesait 600g à la naissance, elle est en forme, elle n'a aucune séquelle de sa grande prématurité."

Chambre suivante : on rentre à 15 chez une patiente de 8 ans qui vient d'être opérée d'une tumeur hypophysaire (un craniopharyngiome pour ceux que ça intéresse). La petite s'enfonce dans son lit et dissimule la moitié de son visage derrière sa couverture. On ne voit plus que ses yeux et sa cicatrice. "Oulah ! ça fait beaucoup de monde tout d'un coup." L'enfant opine.
"Bon, allez, parce que c'est toi et que tu es ma patiente préférée, tu as le droit d'en virer 2 de ta chambre."
La petite est intéressée, elle sourit et plisse les yeux en scrutant l'assemblée. Elle pose son regard sur tout le monde et montre 2 étudiants du doigt : "George et Simon, dehors !". Un autre externe qui a eu une panne de rasoir ce matin m'a accompagné dehors.

Les enfants n'aiment pas les barbus.

dimanche 18 décembre 2011

Ma première garde en pédiatrie

Déjà que je ne raffole pas des enfants, encore moins quand ils pleurent et encore encore moins quand ils pleurent et qu'ils sont malades. Alors, sachant que je suis externe, en 4° année, que j'ai décidé d'arrêter médecine, que je ne sais rien faire et que je ne peux rien faire pour eux, imaginez mon désarroi.

J'arrive donc à 18h, prêt à coller aux baskets de mon interne pour qu'elle m'apprenne un peu des trucs quand même, on sait jamais, ça pourra servir quand je changerai de métier.

Elle me dit (oui, la majorité des internes sont des filles de toute manière, en pédiatrie c'est flagrant) :
"La première chose à savoir, c'est que les puéricultrices ont plus d'expérience que toi et savent mieux faire que toi."
J'ai découvert ce mot : "puéricultrice". Je ne savais pas trop comment me le représenter. J'ai fait le rapprochement avec "agricultrice" et comme on était en pédiatrie, j'imaginais des femmes en train de creuser la terre pour planter des choux et des roses pour que ça donne 9 mois plus tard en arrosant bien des petits garçons et des petites filles.
En vrai, ce sont des infirmières spécialisées en pédiatrie.

La première patiente arrive : une petite fille de 2 ans et demi, qui est tombée sur le rail de la porte coulissante. Elle a une jolie plaie ouverte sur le front (je ne sais pas pourquoi je dis "jolie", ce n'est jamais qu'un trou dans la peau avec de la chair et du sang, c'est jamais joli). L'interne me dit : "Tu l'installes, tu l'examines, tu fais l'interrogatoire : c'est TA patiente et je viendrai la suturer".
Je l'installe sur la table d'examen, elle ne se débat pas (surprise).
"Allez ma petite chérie, il faut se réveiller...allez...(en lui faisant des guilis)."

Il faut savoir que les gamins, quand ils sont dans un endroit qu'ils n'aiment pas (les urgences) entourés de gens qu'ils n'aiment pas (les médecins en blouses blanches) et qu'ils ont mal, les guilis, ça ne les fait pas rire, mais alors pas du tout.
Et là, pas de réaction. Elle dort et ne se réveille pas. Au bout d'un moment, faut quand même que je fasse mon travail moi. Je lui ouvre les paupières : mydriase bilatérale, aréactive à la lampe et ne se réveille toujours pas.
Je vais voir l'interne au pas de course : "Ma patiente avec la plaie du front ne se réveille pas, j'ai tout essayé et elle a une mydriase aréactive bilatérale". Et là, je vois mon interne blanchir à vue d’œil. On se précipite vers la patiente, on la remue de gauche à droite (jamais d'avant en arrière !!!) et on la pince. Enfin, elle se réveille et elle pleure. Ouf. 

On l'a suturée, on lui fait un scanner, on l'a gardée en surveillance. On a eu très très peur.

Une puéricultrice m'appelle (je me demande où elle a rangé sa pelle et son arrosoir) : "On a un doigt-porte pour toi.
_ C'est quoi un "doiporte" ? C'est une maladie rare ?
_ C'est pas une maladie et c'est pas rare : c'est un enfant qui s'est pris un doigt dans une porte."
Ah bah oui, forcément.

Puis un enfant de 7 ans arrive avec un hameçon dans le pouce. On l'a anesthésié au protoxide d'azote, le gaz hilarant. Ça marche très bien. Au bout de 10mn, l'enfant dit "Papa ? c'est comme ça qu'on se sent quand on meurt ?" Tout le monde éclate de rire, l'enfant compris. On le rassure, on enlève l'hameçon et on lui fait un joli pansement, antibio (les vaccins sont à jour ?).

Dernier patient, un enfant de 8 ans s'est relevé et s'est pris le coin de la table basse en verre et a ruiné la moquette du salon. Je vous préviens monsieur, aux urgences, on ne va rien pouvoir faire pour votre moquette.
L'enfant tout calme, ne pleure même pas. On regarde sa plaie, 1cm, droite, propre. On lui explique que ça prendra plus de temps de l'anesthésier que de refermer directement avec une seule agrafe. Un lui fait respirer un peu de gaz (c'est trop bien ce truc), on l'assoit :
"Tu ne bouges pas pendant une minute d'accord ? tu vas sentir un petit picotement juste une fois et après c'est terminé. D'accord ? t'as pas peur hein ? t'as le droit d'avoir un peu peur. Tu peux tenir la main de Georges si tu as peur."
Je lui ai tenu la main, il a serré fort. On lui mis une seule agrafe.
"J'ai rien senti du tout !" Dit-il tout fier avec un grand sourire. Son père fait : "Tu dis merci aux docteurs" "Merci les docteurs, vous êtes gentils." Et il s'en va en nous ayant fait la bise à tous les deux.

Si, finalement, après mure réflexion, les enfants, c'est bien.

A la fin de la garde, l'interne et moi faisons le débriefing avec le médecin chef autour d'un chocolat chaud et de bonbons (oui, les pédiatres sont de grands enfants) :
"Pour la fille difficilement réveillable, tu as bien fait. Mais je vais te raconter une histoire : un jour, ma propre fille s'est cognée la tête, je l'examine, elle a une anisocorie (pour les non-médecins, elle a la pupille qui est plus grosse d'un côté que de l'autre, c'est franchement chelou et c'est pas bon mais alors pas bon du tout). Je l'emmène en panique aux urgences, scanner cérébral normal. Plusieurs fois elle m'a refait ça, sans raison particulière. Quand elle dort profondément par exemple. J'ai beau avoir fait toutes les études que tu veux, il y a encore des trucs que je ne m'explique pas."

Bon, ok, les enfants c'est bien, mais ça fait un peu peur quand même.

samedi 17 décembre 2011

Ma dernière garde d'interne

Dernier semestre d'internat, dans un hôpital de périphérie avec les urgences qui drainent une bonne grosse moitié du département. Pour vous donner une idée, il y a 120 consultations aux urgences par 24h en moyenne. Étant donné qu'il y a moins de passage entre 4h et 6h du matin, étant donné qu'il y a en permanence 3 médecins et 3 internes, on peut grosso modo dire qu'un patient nous prend une heure.

La petite suture, le petite fracture qui nous prend 40mn maximum, ok. Tout le monde comprend que ça prenne un peu de temps, mais pas tant que ça finalement. Par contre, ce que les gens qui attendent ne comprennent pas bien, c'est pourquoi ils voient passer une mamie qui a l'air d'aller bien et que eux, qui sont au plus mal avec leur angine qui leur fait mal à la gorge sans fièvre depuis ce matin, soient obligés de patienter 4h pour les soulager de leur misère.

C'est parce que la petite mamie, adorable la plupart du temps, qui n'a rien demandé à personne et qui ne sait même pas ce qu'elle fait là (et c'est où ici d'ailleurs?) est adressée par son gentil médecin généraliste à 18h avec un joli courrier dans lequel on peut lire :

"Cher confrères,
Je vous adresse Mme Adorable, 83 ans, pour AEG.
Merci pour ce que vous pourrez faire pour elle.
Confraternellement.
Dr Machin"

En 10 ans d'étude, j'ai appris à détester ces 3 lettres dans cet ordre (parce que dans un ordre différent je m'en fous). AEG ça veut dire : Altération de l’État Général.
L'état général c'est la température, le poids, la forme globale (ou sthénie) et l'appétit. AEG ça veut donc dire : soit que Mme Adorable est fatiguée, soit qu'elle n'a pas d'appétit, soit qu'elle a maigri (parce que si elle a grossi on s'en fout un peu) soit qu'elle a de la fièvre, soit les 4 à la fois.

Bon ok, je sais que les médecins généralistes n'ont pas que ça à faire, mais nous, aux urgences, on accueille Mme Adorable et ça se déroule comme ça :
"Bonsoir Madame, qu'est-ce qui vous amène ici ?
_ C'est où ici ?
_ Ce sont les urgences de l'hôpital.
_ Pourquoi je suis ici ?
_ Je ne sais pas. Vous avez mal quelque part ?
_ Non.
_ Vous êtes fatiguée, vous avez perdu l'appétit, vous avez maigri, vous avez de la fièvre ?
_ Non.
Dans ma tête, je me demande vraiment pourquoi elle est là.
_ Est-ce que vous prenez des médicaments ?
_ Oui.
_ Ah formidable (oui, je sais, c'est pas formidable qu'elle prenne des médicaments, mais c'est la première réponse positive que j'ai, le premier début de quelque chose que je vais pouvoir faire pour elle). Est-ce que vous connaissez le nom de vos médicaments ?
_ Non. (zut, raté) Mais ma fille a la liste des médicaments que je prends.
_ Ah super ! (oui je sais, il n'y a rien de super là dedans). Je vais la voir et je reviens. Merci Madame Adorable, à tout à l'heure.
_ Merci Docteur, vous êtes gentil." (oulah non ! si tu savais ce qui t'attends !)

Je sors des urgences et je cherche Mlle Adorable ou au moins la fille de Mme Adorable épouse-X...personne. C'est là que ça complique. J'ai sur les bras (ou dans les bras, ou sur le dos, ça dépend comment on voit les choses) une mamie qui n'a rien demandé à personne et qui est aux urgences dont je n'ai pas le moindre début de n'importe quoi de motif de consultation.

Il faut donc appeler le médecin traitant. Passé 19h, 9 fois sur 10, le cabinet est fermé. Revoir la dame, l'examiner pour voir si un truc cloche (examen normal bien sûr, à part un ventre un peu rond et qui sonne un peu creux, genre plein de gaz, toutes les constantes normales), lui demander le nom de ses enfants, les appeler un par un part jusqu'à ce qu'il y en ai un qui réponde et lui demander pourquoi elle vient et la liste de ses médicaments :
"Ah mais non, c'est ma sœur qui s'occupe de ma maman.
_ Et ça serait possible de me donner son numéro de portable pour que je puisse la joindre s'il vous plait ?"

J'arrive enfin à joindre la fille qui s'occupe de Mme Adorable :
"Est-ce que vous avez la liste de ses médicaments ?
_ Oui je l'ai.
_ Vous pouvez me la dicter s'il vous plait ?
_ J'arrive pas à relire l'écriture du médecin sur l'ordonnance.
Je bouillonne intérieurement mais je me calme. Je ne peux rien dire moi, personne n'arrive à me relire. Même pas moi.
_ Est-ce que vous savez au moins pourquoi elle est aux urgences ?
_ C'est son médecin traitant qui l'a adressé aux urgences.
_ Oui je sais mais il ne m'a pas dit pourquoi.
_ Ah ! à moi non plus. (et merde, retour à la case départ, ne gagnez pas 10000 francs)
_ Et il n'y a rien qui a changé dernièrement chez Mme Adorable ?
_ Si, ça fait 3 semaines qu'elle n'a pas fait caca."

Mouais...Je fais un joli TR, comme d'hab, je trouve un bouchon, mais pas de taille exceptionnelle. Je fais quand même une radio du ventre (un ASP dans le jargon) pour être sûr que ça ne cache pas autre chose, genre une occlusion, un truc potentiellement grave.

Et là, surprise : on voit à la radio une accumulation de 3 semaines de gaz et de caca dans un ventre de mamie. C'est plus un colon gauche qu'elle a, c'est une montgolfière. J'appelle le chirurgien :

"Allo, au secours, j'ai une mamie qui va éclater du ventre (je lui ai dis ça mais en terme médical bien sûr, faut pas prendre les chirurgiens QUE pour des cons, cf ici).
_ La dilatation est à combien.
_ Son colon mesure 8cm de large.
_ C'est bon, c'est à 10cm qu'on courre un risque.
_ Et moi je fais quoi en attendant ?
_ Tu l'adresses au gastro-entérologue.

Jusqu'ici, il m'a fallu une heure 30 pour avoir un motif de consultation aux urgences et un diagnostic. Je n'ai toujours pas ses antécédents ni ses traitements. Le bilan biologique a été prélevé, les résultats tomberont dans 45mn au mieux. Et je ne sais toujours pas quoi faire pour cette mamie.

J'appelle le gastro-entérologue (on n'a pas droit au 50/50 aux urgence, éventuellement à l'avis du public médical qui t'entoure s'ils ne sont pas eux même débordés) :
_ Allo, au secours, j'ai une mamie qui va éclater du ventre et que le chirurgien ne veut pas opérer parce qu'elle n'est pas assez dilatée à 8cm.
_ OK, je ne peux pas te la prendre dans mon service parce que je n'ai plus de place (ça continue).
_ Je fais quoi pour elle ?
_ Tu lui fais un lavement pour évacuer le bouchon et qu'elle pète en même temps."

1h plus tard. Pas la moindre trace de pneu dans la culotte.

_ Help ! Elle n'a pas fait caca. Je fais quoi ?
_ Il faut l'aspirer...

J'abrège la conversation parce que de toute façon, je vais faire ce qu'il m'a dit de faire et je vais vous raconter. Juste pour vous mettre dans l'état d'esprit : en général, quand je suis aux urgences, j'ai plusieurs chansons dans la tête : "Viens pleurer au creux de mon épaule" de Charles Aznavour quand on reçoit des dépressifs, "Allo maman, bobo" d'Alain Souchon pour ceux qui se sont éclatés la tronche à moto et qu'on doit suturer pendant 1h. Ad libitum...
Ce soir, j'avais "la pompe à merde" des Bidochons, la reprise de la "Bombe humaine" de Téléphone. 

Techniquement, il fallait enfoncer dans le fondement de Mme Adorable un petit tuyau relié à un aspirateur (réglé sur "pas très très fort du tout") et lui malaxer le ventre pendant qu'on lui évacue ses problèmes. Ça a duré 2h. Elle a été très patiente, très compréhensive et on ne lui a même pas fait mal, la pauvre. On a refait une radio pour voir si la dilatation avait diminué. Oui. Encore heureux.

Entretemps, un super infirmier a réussi à récupérer son dossier qui était enregistré à son nom de jeune fille. Mais en 6 mois, ses traitements ont peut-être changé...

Bon maintenant, il faut lui trouver une place parce que ça risque recommencer cette histoire. Je suis en train d'imaginer Mme Adorable en marchant tranquillement tandis qu'un de ses petits enfants lui tapote le ventre et là, c'est le drame, elle éclate dans une déflagration qui fait se briser les vitres aux fenêtres à 2km à la ronde et qui répand un épais nuage de fumée maronnasse dans le ciel d'octobre, en croisant les doigts pour qu'il ne pleuve pas.
Donc, non, définitivement, Mme Adorable, ne rentre pas chez elle ce soir. Ou plutôt cette nuit (il est déjà 1h du matin).

J'appelle tous les hôpitaux du département pour trouver une place de surveillance ET un rendez-vous de gastro-entérologie dans les jours qui viennent. A 4h du matin, enfin, ma patiente sort avec un courrier qui contient ses antécédents, son traitement d'il y a 6 mois + du furilax, laxatif pour éléphant, la date, l'heure et le lieu de son rendez-vous de gastro (avec une radio du ventre à refaire svp, ordonnance ci-jointe) le numéro de téléphone portable de sa fille et le nom de l'ignoble médecin traitant qui nous a fait perdre, à la patiente et à moi 4 bonnes heures avant de pouvoir lui rendre service.
Tout ça en s'occupant d'un patient par heure EN PLUS de Mme Adorable. 

En lui faisant coucou de la main quand elle part (ou plutôt à l'ambulance parce qu'elle est allongée et qu'elle ne voit rien à travers la porte fermée), un jeune homme arrive parce qu'il a mal au ventre.

"J'ai mal au ventre.
_ Comme ça, brutalement à 4h du matin ?
_ Non depuis hier soir mais j'arrive pas à dormir alors je suis venu vous voir.
(Ça c'est sympa de penser à moi)
_ Vous avez déjà été opéré ?
_ Non
_ Vous prenez des médicaments ?
_ Non
_ Vous avez des allergies ?
_ Non
_ Vous avez mangé un truc spécial hier soir ?
_ Non
_ Vous avez vomi ? la diarrhée ? de la fièvre ?
_ Non, rien.
_ Juste mal au ventre, quoi.
_ C'est ça.
...En gros, tout va bien.
_ Vous avez changé quelque chose à vos habitudes dernièrement ?
_ Oui, j'ai repris le sport. (dit-il fièrement)
_ Quoi comme sport ?
_ J'ai fait 500 abdos hier."

Déontologiquement, je n'ai pas le droit de le chasser à coups de pieds au cul, mais c'est pas l'envie qui a manqué. Un gramme de Paracétamol, au bout de 20mn il n'a plus mal (il n'en avait pas pris à la maison), une jolie ordonnance qui va bien et dehors. La prochaine fois, allez-y progressivement pour la reprise du sport.

vendredi 16 décembre 2011

Ma première garde d'interne

Je continue dans la série des premières fois. Tant pis si ce n'est pas dans l'ordre chronologique. Âmes sensibles, s'abstenir

Premier stage en périphérie, premier soir de garde (pas LE premier jour de stage quand même mais le deuxième ou le troisième).
Je suis over-prêt : carnet de notes pour ne rien oublier dans la poche de gauche, stétho et marteau-réflexes dans la poche de droite, montre au poignet qui me suit depuis la première année, un peu fêlée dessus (que j'enlève quand je me lave les mains) et, au cas de trou de mémoire, le guide thérapeutique dans le sac à dos (rangé sous la table).

En vrai, j'ai l'air prêt et sûr de moi. En dedans, j'ai jamais eu autant les pétoches : et si je faisais une erreur médicale ? et si je savais pas ? et si je ne trouvais pas le bon diagnostic du premier coup ? et si je ne savais pas quoi dire ?

Bon, j'ai fait des conneries bien sûr, pas des graves, mais des petites conneries quand même :
Une petite fille s'était cassé le poignet, je l'ai hospitalisée avec une super prescription d'antalgiques, un super bilan pré-opératoire, mais j'ai tout simplement oublié de lui faire une attelle pour la nuit...le bourreau d'enfant.

J'ai hospitalisé des patients sans prévenir le brancardier : ils ont attendu 2h avant de monter dans les étages.
J'ai hospitalisé des patients sans prévenir le chef du service concerné. Il était furax le lendemain matin.
J'ai gardé des mecs en surveillance pour décuver sans leur faire d'alcoolémie (il est bourré, il est bourré ! il pue l'alcool à 10m, il est conscient, réveillable, sans déficit neuro...oui mais il faut lui faire une alcoolémie quand même).

C'était ma première nuit dans un hôpital que je ne connaissais pas, où je ne connaissais personne et dont je ne connaissais pas le fonctionnement habituel. Heureusement, j'avais des chefs super sympa qui m'ont épaulé, aiguillé, soutenu, encouragé, encadré sans être sur mon dos en permanence. Parfaits.

Une petite fille est arrivée parce qu'elle n'arrivait plus à bouger le bras droit. Je tente de l'examiner, elle pleure, elle crie, elle se débat, elle est tellement angoissée qu'elle me vomit dessus. Ou plutôt sur mon poignet. Sur ma montre. Fêlée. J'ai enlevé ma montre, lavé mes main, mis des gants et ré-examiné l'enfant. Elle revomit. Sur mes chaussures. Elle remuait parfaitement tous les bras et n'avait plus mal. J'ai prescrit une radio pour être sûr.

En attendant le résultats, je regarde ma montre :j'avais du vomi sur l'aiguille des minutes et celle des secondes n'arrivait plus à avancer : ça s'était infiltré doucement mais sûrement.

J'ai eu mon cortège de tombé en vélo, tombé en moto, glissé sur le carrelage et toutes les sutures qui s'en suivent. 

A 4h du matin, enfin, ça se calme. Les 3 chefs et moi allons nous coucher avec la consigne laissée aux infirmières de réveiller l'interne dès que quelqu'un arrive.

A 4h30, je venais de m'endormir depuis 10mn, l'infirmière appelle :
"On a une entrée !
_ Ok, qu'est-ce que c'est ?
_ Un papi de 78 ans qui a du mal à respirer.
_ Ok, j'arrive, vous lui faites un ECG s'il vous plait ?
_ Ok"

En me rhabillant et en me dirigeant vers les urgences, je réfléchis à tous les diagnostic :
infarctus --> l'ECG est en cours. Il faudra lui faire une tropo
insuffisance cardiaque aiguë --> je verrai à l'auscultation
pneumopathie --> je verrai à l'auscultation
crise d'asthme --> je verrai à l'auscultation
les autres...je verrai sur place.

"Bonjour monsieur. Comment ça va ? pas bien ?
_ Si si, ça va bien.
_ Vous n'avez mal nul part ?
_ Non.
_ Vraiment ?
_ Si, un peu au ventre, je me sens un peu ballonné."

Auscultation cardiopulmonaire normale, ECG normal (les infirmières avaient anticipé et envoyé un bilan cardio complet avant que j'arrive). L'abdomen est tympanique, souple, sans douleur à la palpation...
J'ai comme un doute : il va très bien ce patient.

"Ça fait combien de temps que vous n'avez pas fait caca monsieur ?
_ Oh, une ou deux semaines, je ne sais plus."

J'enfile mon plus beau gantier et je me prépare à réaliser un toucher rectal pour aller fouiller s'il n'y aurait pas un truc qui coince. Et là, 5cm avant d'entrer, en tournant le monsieur sur le côté, j'ai eu droit à un effet "boîte à meuh". Je m'explique. Vous voyez les boîtes à meuh ? on les retourne dans un sens, on les remet dans l'autre et ça fait "meuh". Les personnes âgées c'est pareil : quand on les tourne dans un sens, ça déplace les gaz à l'intérieur et ça fait du bruit.

J'ai eu droit à joli pet foireux comme on dit dans le jargon médical, sur mon doigt tendu et prêt, le truc de compétition, avec tout le cortège d'odeurs de bas fond toxique. Je prend mon courage à 2 mains, j'enfourne (je préviens le patient avant quand même, faut pas prendre par surprise) et je découvre un bouchon de caca du volume d'une belle orange.

Le monsieur avait du mal à respirer tellement son ventre était ballonné à force de ne pas péter parce qu'il y avait un gros bouchon. J'ai demandé aux infirmière de lui faire un joli petit lavement, j'ai demandé une radio du ventre pour être sûr qu'il n'y ait pas d'occlusion et comme de toute manière j'étais réveillé et qu'il n'y avait aucune chance que je me rendorme, j'ai attendu les résultats avec un bon petit bouquin.

Je me suis donc fait vomir et chier dessus dès mon premier soir. Seulement 2 du tiercé gagnant. Quelqu'un allait me pisser dessus très prochainement mais je ne le savais pas encore et jamais je n'aurais pu deviner dans quel contexte. But that's another story...(relatée ici)

jeudi 15 décembre 2011

Mon premier stage infirmier

Juste après le concours, bon, on a fait la fête, mais j'en parlerai une autre fois.

Ce qui se passe en septembre, juste après le concours et avant que les cours de deuxième année ne commencent (P2 pour les intimes encore) on doit faire un stage infirmier, c'est à dire que pendant 1 mois, tous les jours de 7h du matin à midi, on est affilié à un service de l'hôpital pour apprendre la vie, la mort, l'univers et tout le reste. Premier contact avec la réalité médicale et la réponse n'est pas 42 (pour les connaisseurs). 

Je resitue le contexte : on est étudiant en médecine, donc pas étudiant infirmier et on demande aux infirmières de nous montrer le boulot...autant dire que la plupart du temps, déjà que ça les gonfle de s'occuper des étudiants infirmier, alors ceux qui sont même pas infirmier...
Étudiant en médecine, mais on n'a pas encore eu de VRAI cours, on est vierge de tout. Une encyclopédie vide dans la tête. Donc les étudiants en médecine plus âgés ne peuvent rien nous apprendre parce qu'on n'a même pas la base, le minimum syndical du savoir médical. Un peu comme dresser un escargot à sauter à travers un cercle de flammes.
Et les vrais médecins, ceux avec écrit "interne" ou "Docteur" sur la blouse, soit il sont débordés, soit ils n'ont pas du tout la fibre pédagogique (souvent les deux à la fois).

Vous voyez mieux ? l'étudiant en médecine en stage infirmier, c'est au delà de la 5° roue du carrosse, c'est comme si on mettait des petites roues latérales (comme sur les vélos des enfants) sur un moto de compèt : ça encombre plus que ça ne rend service.

Sans compter qu'on ne sait RIEN ! donc dès qu'un patient nous pose une question :
_ Euh...ben...c'est à dire...je sais pas...
On se tait, on rétrécit, on s'enferme dans sa coquille et on s'en va en rampant (comme un mollusque je vous dis).

J'arrive dans un service de cancérologie, difficile de trouver plus compliqué pour commencer. Ca aurait pu être de la gynéco (tout le monde peut comprendre à peu près facilement comment ça marche une grossesse sauf si nos parents ne nous ont toujours pas dit à 18 ans d'où viennent les bébés) ou un service de maladies infectieuses (les bactéries, les virus, les bèbètes méchantes tout ça, c'est pas dur). Non, il a fallu que je tombe dans LE domaine où j'étais sûr de me retrouver paumé : les types de cancers différents, les gentils, les méchant et les très méchants, les chimiothérapie, les rayons, les perfusions...

Heureusement, je me suis retrouvé avec une infirmière hyper sympa Katia (le nom n'est pas fictif, je m'en rappellerai toute ma vie). Elle m'a appris que les patients sont des être humains avant d'être des malades.

"Tu frappes avant d'entrer, l'hôpital c'est pas ta maison et la chambre du patient c'est pas chez toi, c'est chez lui.
Tu lui expliques ce que tu fais avant de le faire.
Tu es honnête : si tu risque de faire mal, tu préviens, tu ne prends pas les gens par surprise."

Enfin des trucs qu'on ne m'a jamais enseigné en 10 ans à la fac.

C'est elle qui m'a appris à prendre une tension :
"Vous êtes d'accord pour que l'étudiant apprenne à prendre la tension avec vous Madame ?
_ Mais bien sûr !  Il faut bien qu'ils apprennent.
_ Merci Madame. Alors tu prends le brassard et tu l'enfile dans le bras SANS vêtements, sinon ça sert à rien. Tu repère une artère AVANT de serrer le brassard sinon tu peux toujours chercher, tu y colles ton stétho tout neuf et APRÈS tu gonfles. Quand tu n'entends plus rien, tu dégonfle doucement. Le premier bruit que tu entends c'est la tension systolique et le dernier que tu entends c'est la tension diastolique. Alors ? on va voir combien vous avez comme tension Madame.
_ 20 / 12
_ Non c'est pas possible. Refais.
_ 20 / 13
_ Bon passes moi l'appareil (ça s'appelle un pléthysmomètre pour ceux qui veulent savoir)...Bon, Madame, est-ce que vous avez pris vos médicaments pour la tension ce matin?
_ Non pas encore.
_ Bon alors ça va. On revient tout à l'heure pour vous reprendre la tension, ne vous inquiétez pas.
_ D'accord, avec plaisir, à tout à l'heure."

Elle m'a appris aussi que les infirmières sont des être humains avant d'être des machines. Et que les médecins ont oublié ce que c'est, un être humain.

"Bon alors Katia, est-ce que vous avez bien fait les 13 prises de sang que j'avais prescrites pour ce matin ?
_ Oui Docteur, bien sûr Docteur (avec une voix mielleuse que je ne lui connaissais pas)
_ Et vous avez bien envoyé tous les tubes au laboratoire ?
_ Évidemment Docteur. Pourquoi ? (avec l'air faussement surpris)
_ Parce qu'il est 10h et que je n'ai toujours pas les résultats affichés sur l'ordinateur.
_ Ah bon ? c'est bizarre." Et le médecin s'en va vaquer à ses occupations débordantes.

Elle se tourne vers moi :
"T'as entendu la conversation ?
_ Euh...oui.
_ Bon alors on la refait, tu joues le docteur.
_ Tu veux dire qu'on va jouer au docteur ensemble, c'est ça ?
_ Oui, tu vas jouer au docteur tout seul. Allez ! un peu de sérieux (avec un petit sourire).
_ Katia, avez-vous bien fait les 13 prises de sang que j'avais prescrite pour ce matin ?
_ Bah non connard, j'ai pas encore fini : il me faut entre 10 et 20mn pour faire une seule prise de sang. En plus, ce sont tous des personnes âgées sous chimio, autant vous dire que leurs veines, se sont pas des boulevards. Alors 13, j'en ai pour 3h minimum. Et puis j'ai les perfusions à passer avant 10h sinon ça décale les rendez-vous. Et j'ai le tour de tensions à faire. Sans compter les laxatifs avant que les aides soignants ne changent les draps. Alors non, tes prises de sang, je vais toutes te les faire avant midi mais la prochaine fois, tu me demandes et on essaye de mieux s'organiser. D'accord ?
_ Euh ... vous avez bien envoyé tous les tubes ?
_ Bah oui connard. Je vais pas garder des tubes dans ma poche ou sur la paillasse. Après, je préviens le coursier qui vient les chercher. Et lui, il a tous les tubes de toutes les prises de sang de tous les services à rapporter au labo.
_ Euh...parce que j'ai pas encore les résultats et euh...
_ Bah oui connard ! je viens de t'expliquer pourquoi t'as pas encore tes résultats parce que les tubes viennent juste d'arriver au labo et maintenant, eux, ils ont 6 tubes fois 13 patients par service multiplié par tous les services de l'hôpital. Alors, la prochaine fois, si t'as une prise de sang, tu réfléchis bien : est-ce que TOUT ce que tu demandes est strictement indispensable ou est-ce que tu pourrais pas te passer de 1 ou 2 trucs et les demander la prochaine fois ? ou un autre jour mais tous en même temps.
_ Euh...après il est parti.
_ Et surtout dis pas merci connard !!!
_ Mais pourquoi tu ne lui dis pas tout ça ? avec moins de "connard" bien sûr.
_ J'ai essayé une fois mais il m'a traité de feignasse et quand il a vu qu'il n'avait pas ses résultats à 10h, il a dit que c'était de ma faute.
_ C'est dégueulasse !
_ Et oui mais c'est comme ça. Alors maintenant, je le flatte. Les Docteurs, ça adore qu'on les flatte, ils se sentent importants comme ça.
_ Quand je serai un docteur, tu ne me feras pas ça, hein ?
_ Mais non voyons, pour tes beaux yeux je te dirai la vérité, et gentiment en plus.
_ Ah merci.
_ ...
_ ...
_ Hey ! mais tu viens de me flatter !!!
_ T'as vu ! c'est trop facile."

Elle m'a appris à faire une prise de sang :
"_ Je suis étudiant madame, vous permettez que ce soit moi qui vous fasse la prise de sang ?
_ Mais bien sûr, il faut bien que vous appreniez.
_ Bon alors je pique. Ça va faire un peu mal.
_ ...
_ ...
_ ...
_ Bon, je repique, excusez-moi.
_ ...
_ Bon, j'essaye une dernière fois.
_ ...
_ KATIAAAAAAAAA !!!"

C'est là que j'ai compris le sens du mot "équipe" : sans les infirmières, (et même sans tous les rouages de la machine hospitalière) nous médecins, nous ne sommes rien. Je parle du médecin à l'hôpital bien sûr, pour les autres...but that's another story...

mercredi 14 décembre 2011

Antépénultième

Évidemment, je me suis méchamment ramassé au concours de première année (P1 pour les intimes). J'ai bossé dur pendant l'été, autant dire que je n'ai pas beaucoup vu le soleil, ni la mer. Par contre, le soir j'avais pour habitude de me sortir le nez des bouquins et de le plonger dans les étoiles et c'est là que ça m'a frappé : je n'arrive plus à voir les étoiles !!!

A force d'arriver en retard en cours et de s'assoir au fond de l'amphi, à force de faire le point entre le regard super loin sur ce qui est écrit en tout petit sur le tableau et ce qui est super proche sur mes notes. Ah oui !!! d'ailleurs, pourquoi est-ce que les médecins écrivent mal ? c'est parce qu'en première année, il faut arriver à noter aussi vite que le prof parle, et il parle vite et ne se répète pas !!! donc, ma jolie écriture cursive s'est transformée en quelques mois en hiéroglyphes mêlés d'un soupçon de chinois patte-de-mouche. Ça n'aide pas les yeux forcément. Ce que je ne m'explique pas, c'est comment est-ce que les pharmaciens arrivent à les relire alors que les médecins entre eux n'y arrivent pas. Fin de la digression. 

Quand j'ai vu que je ne pouvais plus me perdre dans la voie lactée, j'ai pris une cuite.

De retour à la fac, je suis parti avec l'idée que de toute manière, je ne pouvais pas faire pire que l'année précédente. Et puis, je me suis inscrit au concours kiné en même temps que médecine, sans grand espoir de réussir médecine.

Cette année là, je ne sais pas qui s'est passé dans la tête des nouveaux doublants, ou peut-être parce que nous étions de l'autre côté de la barrière mais l'objectif n'était absolument pas de déconcentrer les primants mais de se marrer le plus possible, parce que, faut être honnête, bosser 6 à 12h par jour, en plus des cours, c'est assez épuisant pour l'esprit. Alors si on pouvait ne pas utiliser ses neurones pendant quelques temps, ça faisait toujours ça de pris. Nous sommes donc dans la situation paradoxale où les cours sont devenus nos récréations et que pendant les intercours, nous parlions boulot :
"T'en es où dans tes révisions de telle matière ?
_ Oh j'en suis à tel chapitre, j'avance pas vite.
_ Comment tu bosses toi ?
_ Je bois du café.
_ Et ça marche ?
_ Non, je ne dors plus et j'ai tout le temps envie de pisser. Et comme je tremble, j'en fous partout."

Dire que Georges Clooney au même moment était en train d'arrêter médecine et de se mettre au café, nous on commençait les 2.

On a chanté, on a dansé, on a pensé à s'embrasser. On est passé à vélo entre les 2 portes de secours du bas de l'amphi. On a lancé un avion en papier et carton de 1m de long (sans mentir), des douzaines de rouleaux de PQ (a tel point qu'on voulait faire sponsoriser notre voyage de 2° année par Moltonel, mais c'est une autre histoire), des avions plus petits, par centaines et tous en même temps (un escadron), on a montré nos fesses, par demi-douzaines de paires. On est venu déguisé, l'ambiance était tellement bon enfant que même les primants se sont joints à nous.

Un jour, il faisait chaud, pendant la pause, on s'est allongé dans l'herbe, on s'est fait une bataille de pâquerettes, et j'ai fini par retourner en cours avec une couronne de fleurs dans les cheveux. Le professeur m'a demandé de passer-au-tableau au-lieu-de-faire-le-mariol. Je lui ai récité le cours par cœur, avec schéma à l'appui (et à la craie). Pas de bol pour lui : il n'y avait que 2 matières qui me plaisaient, la génétique et la chimie organique, celles que tous les autres détestaient. Quand je révisais ces matières, le temps s'envolait, je pouvais passer 8h dessus sans m'en rendre compte.

Par contre, en anatomie...un jour, le rétroprojecteur était en panne (et oui, on passait des feuilles transparentes sur une lampe avec une loupe et un miroir, dis comme ça, c'est moins classe). Nous au fond, on gueulait : "On peut pas / travailler / dans des conditions pareilles !" de plus en plus fort.
Le prof nous a vu :
"Vous le grand là au milieu"
Je me retourne.
"Oui vous. Pas la peine de vous retourner, il n'y a personne derrière vous. Si vous pensez que vous aurez votre concours en faisant le pitre comme ça, vous vous trompez lourdement. Je serais vous, je changerais de filière. Tout de suite, au lieu d'emmerder le monde". Oui, parce qu'un Professeur, ça se prend pour le monde entier.

Il n'avait pas complètement tort : je n'ai pas été bien brillant en anatomie (j'avais fait mes dessins bien tout comme il faut, mais avec le foie à gauche, forcément). Mais j'ai majoré en biologie moléculaire et en chimie organique. Mais ce n'était toujours pas suffisant. Ils en prenaient 72, je suis arrivé 74°.
Or, cette année, la fac accueillait plusieurs étudiants étrangers. Ils ne comptent pas dans le numerus clausus, c'est pour les français. Du coup, ça a libéré quelques places.

Depuis ce jour, j'ai appris le mot "antépénultième" : avant-avant-dernier. Oui, mais reçu.

Mon premier jour à la fac de médecine


Après le bac, tous mes copains sont partis faire des maths ou de la biologie. J’ai horreur des maths (j’ai eu le bac scientifique grâce aux matières littéraires) et la bio, si ce n’est pas concret, ça m’ennuie.  Alors quoi d’autre ? informatique ? à part jouer aux jeux vidéos, je n’y connais rien, et en plus, je perd.
Une amie d’une amie m’a recommandé de m’inscrire en médecine si je ne savais pas quoi faire, comme ça, j’y acquerrai une excellente méthode de travail et tout me semblera facile après. Elle m’a vendu ses livres de première année.
« Et toi ? pourquoi tu ne continues pas ?
_ Oulah non ! pour rien au monde ! »

J’aurais du me méfier à ce moment là.

J’arrive dans l’amphithéâtre le plus grand de la faculté de médecine, il y a 700 places, un immense tableau noir tout en bas, derrière la chaire. L’amphi est rempli, je n’y connais personne.
Les dernières places assises sont tout au fond, sur les côtés, où on ne voit rien au tableau. Au centre de l’amphi, c’est le théâtre : 200 carabins (j’apprendrai plus tard que « carabin » désigne un étudiant en médecine) sont debout sur les tables, en train de lancer des avions, de chanter, de danser, de faire des bruits en tout genre.
Le Professeur entre, ils s’asseyent. Une élève assidue, assise au premier rang se retourne et fait « Chut ! ». Les 200 carabins la regardent et répètent « Chut ! » à 200, en faisant le plus de bruit possible.
Ces 200 là, sont les redoublants. Mais pas n’importe lesquels : ceux qui font tout pour faire échouer les primants (ceux qui passent le concours pour la première fois), ceux qui ont déjà les cours, qui cravachent comme des dératés en dehors des cours et mettent un boxon de tous les diables pendant les cours. Ceux que tout le monde déteste.

Le cours commence, ce sont les bases de la physique quantique. Vous allez me demander : à quoi ça sert en médecine ? et bien parce qu’à partir de la physique quantique, on comprend mieux la chimie organique et qu’avec la chimie organique, toute la biologie du vivant est plus explicite. Cela dit, c’est quand même un prétexte pour faire des examens difficile et éliminer un maximum d’indésirables.

« Il y a 100 ans, on pensait que les électrons suivaient une orbite.
_ BITE !!!
Ca m’a surpris au début. Très surpris. Dès qu’un mot prononcé par le prof finit par une consonnance particulière, quelques doublants la répète, fort, et de façon équivoque.

_ Autour d’un noyau, il existe donc une espèce de magma électronique.
_ NIQUE !!!
_ Lors d’une liaison covalente, il y a échange d’électrons. Lors de  ce processus…
_ SUCES !!!
_ …les électrons ne suivent pas une orbite…
_ BITE !!!
_ … mais plutôt une zone de probabilité de présence qu’on appelle orbitale.
Une petite pause dramatique, pour laisser le temps aux primants de comprendre et aux doublants de faire un jeu de mot, mais non, pas de jeu de mot possible.
_ Donc, ces électrons orbitalaires…
_ BITE A L’AIR !!!

C’est débile mais j’ai ri. 


Puis arrive l’intercours. Les doublants se mettent à chanter sur l'air de "la balade des gens heureux" :
Ami machin, tu nous délaisses
Ça fait longtemps qu’on les a pas vues
Ami machin montres nous tes fesses
Ami machin montres nous ton cul

Et là, le dénommé machin se lève, monte sur la table et baisse son pantalon en mettant quelques petites claques sur la partie la plus proéminente de son anatomie. Pendant ce temps, les 200 autres doublants se mettent à frapper les tables et taper du pied jusqu’à faire trembler tout l’amphi, à en faire tomber les stylos.

Le cours suivant arrive avec le Professeur de physico-chimie et ses formules incompréhensibles. Bizarrement, ces deux heures ont été plus calmes. Là aussi, ça aurait du m’alarmer : même en redoublant, ça reste compliqué.
Mais c’est surtout le discours d’ouverture du Professeur qui a un peu (je dis un peu) refroidi les esprits :
« Vous êtes 650 dans cet amphi inscrits en médecine, nous n’allons en garder que 60. Tous les autres, ceux inscrits aux concours de kiné, ergothérapeute et psychomotricité, ce cours n’est pas dans votre programme, vous pouvez sortir. Ceux qui n’ont pas l’intention d’être sélectionnés peuvent s’en aller également ».

A chaque fois que le prof disait « sélection » ou « sélectionner », les doublants faisaient « sssssssssss » et un au hasard criait « primant ! jamais tu l’auras « ! » sous-entendant son concours.

Ainsi fut mon premier jour.

Après ça, des réflexes me sont venus très vite. Un jour, je regardait un documentaire animalier chez mes parents :
« La banquise est un écosystème où beaucoup d’espèces différentes cohabitent.
_ BITE »
Mes parents m’ont regardé bizarrement, très bizarrement. J’ai du leur expliquer l’ambiance qui régnait à la fac, ils ne m’ont pas cru. J’ai du leur apporter un enregistrement audio (beaucoup enregistraient le cours et se le repassaient chez eux) pour qu’ils me croient.  

mardi 13 décembre 2011

C'est pas comme ça comment qu'est-ce qui faut dire ?

C'est de notre faute à nous les médecins, d'être toujours pressé et de ne pas prendre le temps d'expliquer, de faire bien attention que le patient ait bien compris avant de le lâcher dans la nature pour qu'il aille raconter des énormités à tout le monde. C'est vrai, on devrait faire beaucoup plus attention. Mais quand même, de temps en temps, c'est très drôle.

La suite est véridique, vraiment entendue, aucune invention de ma part :

Je reviens de cardiologie où j'ai fait un infractus (classique) et où ils m'ont posé 2 steaks (plus original).

Ah non ! ma cousine, elle a eu une sclérose en plâtre et on lui a donné des torticoïdes alors j'en veux pas.

_ Et sinon, il y a de l'épilepsie dans votre famille ?
_ Oui, il y a ma tante qui avait de l'épilepsie et lui donnait du pain complet.
_ Du pain complet ? c'est original comme médicament. (Alors je fouille dans le grand livre rouge à "épilepsie"... C'était pas plutôt du "Pentothal" ?
_ Ah si !

_ Quand je suis constipé, mon Docteur il me donne des suppositoires de Paracétamol. C'est bien pour donner des selles molles ?
_ Ça dépend, ça marche ?
_ Ah oui ! très bien !

_ Vous voyez Docteur, à chaque fois que je m'endors sur mon bras, après, quand je me réveille, il est tout ankulosé.



Bon après, je dis ça, mais nous, médecins, nous aussi on dit beaucoup de conneries :

_ Et sinon l'infirmière, elle vous fait la piqure d'insuline où ? (sous-entendu dans la cuisse, dans le ventre, dans le bras...)
_ Bah Docteur, à la maison.
(Oui bien sûr, pourquoi je demande ?)

_ Je viens vous voir parce que j'ai une maladie de Berger.
_ D'accord, mais vous n'avez pas de problème d'insomnie ?
_ Non, pas que je sache. Pourquoi ?
_ Parce que vous auriez pu compter les moutons.
_ ...
_ ...
_ C'est nul.

_ Quand je suis constipé mon docteur il me donnes des suppositoires à la nitroglycérine.
_ Wow ! vous devez péter le feu avec ça ?
_ Quoi ?
_ Non rien. Combien vous en prenez ?

Après, il arrive souvent qu'on arrive mutuellement à se comprendre, à faire un vrai travail, du bon travail, à prendre le temps d'être sûr que moi je comprend bien ce que le patient me dit et je vérifie que le patient comprenne bien ce que je lui dit. Mais comme c'est moins drôle, je ne m'en souviens pas.

lundi 12 décembre 2011

Il est où le magneau ?

Mon premier stage au CHU en tant qu'interne. Je venais de faire 1 an en périphérie à apprendre mon métier avec des médecins compétents, disponibles et au contact de qui il est agréable de travailler.

J'arrive dans le service à 8h30, je rencontre l'équipe, je fais connaissance, je prends mes marque et ma blouse toute neuve avec écrit dessus "interne CHU". Je suis un peu déçu parce qu'en périphérie, il y avait mon nom dessus et j'étais fier : "Georges Zafran, médecin" ça claque ! non, là, je suis anonyme. Je suis un numéro sur une blouse.

Le chef de service me dit qu'il s'occupera de moi pendant les 2 prochains mois, après on tournera avec mes co-internes, 2 filles, Pilar et Micheline, la première en dernière année et la deuxième en première année d'internat. Le premier jour ne compte pas parce qu'on passe tous plus de temps à comprendre qui est qui et comment fonctionne quoi qu'on n'a presque pas le temps de faire de travail médical. Je quitte le service à 23h. Les portails de l'hôpital sont fermées, il faut faire tout le tour pour passer par l'entrée de urgences. Je suis à 2 doigts de la déprime.

Le lendemain j'arrive à 8h30 pour faire le tour avec mon chef. Il a déjà fini quand j'arrive. Le lendemain j'arrive à 8h15, on fait le tour ensemble. Le lendemain, j'arrive à 8h15, il a déjà fini la visite. Le lendemain, j'arrive à 8h...vous voyez l'idée : le chef se débrouille pour faire la visite le plus tôt possible pour ne pas répondre à mes questions et à l'heure où les patients dorment encore comme ça il ne répond pas non plus aux leurs. J'en suis arrivé à venir tous les jours à 8h, à refaire un tour derrière lui pour savoir ce qu'il avait fait.

Après la visite, Grand Chef dicte les courriers des sortants. Et là, il faut être vigilant : s'il décide de changer un médicament au moment de la sortie, il faut que je le sache car c'est moi qui fait les ordonnances. C'est moi aussi qui écrit avec ma petite main et mon écriture dégueulasse le courrier provisoire pour le médecin traitant avant qu'il reçoive le courrier définitif (qui arrivera par la poste d'ici 3 semaines ou 1 mois, bref, le temps que le patient soit hospitalisé ailleurs). Si jamais, je commet UNE erreur, je me fais défoncer pendant 5 jours : "l'interne est nul". Vous situez à peu près.

Et si c'était pas assez déprimant comme ça : le matin, pour aller bosser, je gratte le givre sur mon pare-brise. Le soir en partant, je gratte aussi le givre sur mon pare-brise. Je considère la journée comme positive quand j'arrive à quitter l'hôpital AVANT que les portails ferment à 22h.

Un soir, j'étais de garde dans les étages, je n'ai pas dormi de la nuit. J'enchaîne évidemment avec la journée de boulot. Évidemment ? d'après mon chef : "Bien sûr, vous avez le droit de prendre votre repos de sécurité après une garde mais dans ce cas là, vous refilez vos patients à vos co-internes (on a 15 patients chacun et on sort à 22h tous les jours, se retrouver avec 30, c'est la mort assurée, pour les patients comme pour l'interne). Mais si vous décidez de bosser un lendemain de garde, c'est libre à vous et c'est tout à votre honneur, mais si vous commettez la moindre erreur de prescription, il n'y aura personne du service pour vous couvrir."
Le lendemain, je suis donc aussi efficace qu'un zombi (et le même regard vide), j'ai droit à 4 entrées dans l'après-midi et il faut tout finir avant 19h sinon les infirmières ne regardent même pas les prescriptions. A 18h, je viens de faire 34h de boulot d'affilée, je confonds le patient de la chambre 1 avec celui de la chambre 2. Il y en a un pour qui on attend le résultat du prélèvement pour mettre un antibiotique et l'autre dont le prélèvement doit être fait demain. Dès que le résultat sort, je prescrit mon antibiotique mais pas au bon patient évidemment.
Je m'en suis rendu compte le lendemain matin. Le patient n'a eu que 2 gélules au total, pas dramatique. Heureusement j'avais vérifié 3 fois que mes 2 patients n'avaient aucune allergie. Quand le chef a vu ça, je me suis fait POURRIR pendant 4 mois.

Vachement encourageant l'ambiance. Pour se remonter le moral entre internes, à 20h, on prend notre goûter avec des Princes, un thé et on se récite des films comme la Cité de la Peur ou Mission Cléopâtre. Justement, vous vous rappelez la scène où un agneau descend dans la fosse aux crocodiles ? qu'il se fait bouffer, qu'il ne reste que des lambeaux de cuir et que Numerobis dit "Il est où le magneau?". Vous situez ?

Un jour, pendant la grande visite professorale, on rentre dans la chambre de Mme Artérite qui vient pour gangrène, est partie en chirurgie se faire amputer et revient ce soir. La grande question c'est : quel est le niveau d'amputation ? si son artérite est pas trop grave, on l'ampute à mi-mollet. Si son artérite est plus grave, on l'ampute à mi-cuisse.
Nous faisons le tour donc, avec Grand Chef, interne n°1 n°2 et n°3, la chef de clinique et les 15 externes (les bébés docteurs, ils sont en 4° année). 20 personnes dans la chambre. Heureusement qu'elle est vide.
Je présente le dossier de la patiente. Je n'ai pas précisé : en plus de toutes les gentillesses que le Chef nous a balancé, il est aussi d'un caractère de cochon, antipathique, ne regarde jamais dans les yeux, déchire les observations des étudiants s'il y a des erreurs et critique les fautes de prescription par des "l'interne est un clown" ou "c'est de la médecine de Cow-boy" ou bien si on manque de référence médicales : "t'as lu ça où ? dans les Pieds Nickelés?"
Donc ce chef antipathique, écoute mon histoire clinique (ou plutôt celle de la patiente) et à la fin de mon exposé dit : "Il est où le moignon ?". Je détourne le regard, je regarde par la fenêtre l'air inspiré, je me mords l'intérieur des 2 joues pour réprimer un fou rire, chose que Pilar et Micheline n'ont pas réussi à faire : elles sont dans le dos du Professeur et pouffent le plus silencieusement possible et moi, ça me tire des larmes de rire au coin des yeux, je ne peux rien faire, je suis sous le projecteur du Chef et je vois leurs dos se soulever par soubresauts.
Alors la voix cassée (c'est pas facile de parler en se mordant les lèvres) je réponds : "Il est là" en montrant ma cuisse droite avec un geste de section de la main.

Nous sortons de la chambre et je fais semblant de courir dans mon bureau chercher un dossier. Mes 2 co-internes me suivent, on referme la porte et on explose, on rit, on pleur, on se prend dans les bras tellement on n'en peut plus de se retenir. Le Chef était encore plus exécrable parce que nous avons pris du retard mais ça valait tout l'or du monde.