Previously on "Thèse" : épisode 1, 2, 3 et 4.
Tout fier d'aller au boulot avec ma nouvelle petite voiture, bon, ok, j'avoue, je me la pète. C'est pas souvent, mais là, pendant 1 semaine (bon ok, un bon gros mois), je suis venu avec les lunettes italiennes, le jean bien coupé qui moule les fesses, la chemise de beau gosse (avec les poils de torse qui dépassent) et le sourire qui scintille. Ça c'est l'image que j'avais de moi.
La vérité c'était plutôt ça : des lunettes des années 80, un chemise pas repassée, boutonnée mardi avec mercredi, un jean troué qui fait juste vieux et les fesses de toute manière on ne les voit pas sous la blouse. Mais c'était pas grave, je me sentais pousser des ailes. Tous mes patients étaient admirablement bien soignés, je sortais tôt du boulot et je partais en weekend à l'heure en m'étant avancé pour la semaine prochaine. Même pas de courrier en retard !
Sauf que...
J'arrivais à partir en weekend parce que j'en foutais pas une pour ma thèse, et plus l'échéance du rendez-vous arrivait, moins j'avais envie de m'y mettre. Comme prévu, j'étais dans un stage de périphérie et il fallait que je revienne dans la grande ville et son CHU pour fouiller dans les dossiers.
Un beau jour ("beau", façon de parler), Pr A. m'appelle sur mon téléphone perso (déjà, c'est louche) :
"Ah Georges ! il faut qu'on parle.
Quand une conversion commence par ce "il faut qu'on parle", ça n'annonce jamais rien de bon. Si c'est une fille, ça veut dire "il faut que je te dise qu'on va rompre" et si c'est un Professeur, ça veut plutôt dire "tu vas en prendre plein les fesses en 5mn et tu vas pas dormir pendant 1 mois". Il continue :
"Je voulais voir avec toi où tu en étais des 300 dossiers que je t'ai donné à examiner.
_ Et bien...euh...c'est à dire...ça avance.
_ Parce qu'il faut qu'on voit ensemble les premières données. Samedi tu es libre ?
_ Euh...
_ Bon ben c'est décidé alors, on se voit samedi avec tes tableaux remplis."
Pour ceux qui ne connaissent pas, il faut que je vous explique ce que c'est qu'un recueil de données. En fait, au tout début du travail de thèse, on se réunit avec le directeur de thèse, on parle ensemble d'un sujet intéressant, on regarde la littérature médicale et on voit les zones de doutes, les précisions qui n'ont pas été abordées, pour que le travail de thèse apporte une nouveauté par rapport aux publications précédentes. Parce que bon, quitte à se faire chier 1 an à pondre une thèse, autant que ça en vaille la peine, on ne va pas non plus refaire un boulot qui a déjà été fait (en fait, si, ça serait bien, il faudrait le faire, ou plutôt le refaire, mais personne ne le fait).
Cela dit, une fois le sujet de thèse décidé, il faut l'envoyer à la fac pour qu'il soit enregistré et pour ne pas qu'un autre interne-esclave fasse le même sujet dans une autre fac. Ça n'empêche toujours pas qu'un interne américain vous coiffe sur le poteau. Alors, grosso modo, on croise les doigts pour que personne n'ait eu la même idée au même moment.
Le sujet choisi, il faut aller fouiller dans les dossiers pour trouver les données qui nous intéressent et les rentrer dans un joli tableur. J'en étais donc à cette phase là. Mon chef m'avait donné un liste de 250 noms, donc 250 dossiers à éplucher. Et quand je dis éplucher, c'est le bon mot : ça sent parfois l'oignon et ça fait souvent pleurer.
Parce que, à 23h, un dimanche, quand les potes sont à la plage et que je suis seul dans un bureau qui sent le renfermé, que j'attaque mon quarantième dossier de la journée et que tout ce que je trouve dedans c'est la carte de visite de son taxi, je ne suis pas super persuadé de faire un des plus beaux métiers du monde.
Ça, c'est les jours de chance. Autrement, pour récupérer un dossier, il faut prendre un ordi, ils sont tous occupés par une secrétaire donc il faut en attraper un quand elles changent de pièces où en voler un à un externe en faisant valoir son grade d'interne (c'est moche, je sais). Ensuite, il faut rentrer le nom du patient ou de la patiente, éliminer les homonymes, ne pas se tromper dans la date de naissance, et là, l'ordi vous donne le sésame : le numéro de dossier.
Avec ce numéro de dossier, vous rechopez un ordi mais pas dans la même pièce (cf étape précédente), vous allez sur le logiciel des archives qui vous demande votre code de secrétaire...vous demandez poliment à une secrétaire à qui vous venez de piquer l'ordi d'avoir en plus la générosité de vous prêter son code.
Vous demandez aux archives de vous envoyer dans le service le dossier avec le numéro sus-nommé. Et vous attendez livraisons.
C'est loin d'être comme les pizzas. En général, ça prend 3 jours. Il faut donc s'y prendre à l'avance. En plus, les numéros ne correspondent pas toujours. Et oui ! parce qu'entre 2000 et 2004, le service avait sa propre méthode d'archivage, donc ses propres numéros de dossiers. Entre 2004 et 2008, tous les dossiers ont été regroupés aux archives centrales. Mais en 2008, la numérisation de l'archivage a commencé, il a fallu attribuer un nouveau numéro à tous les dossiers. Il m'est arrivé de demander 3 fois un dossier pour le même patient. Et encore, il parait qu'il existe encore des services où l'archivage se fait sur micro-film, le top de la technologie des années 60 !
Pr A m'avait appelé un mardi, j'avais du lire à tout casser 100 dossiers. Il m'en restait 150 à lire en 3 jours...ok, 50 par jour, c'est dur mais faisable. Je pose 3 jours de congés, j'arrive tous les matins à 7h30 (avant même que les secrétaires n'arrivent) et je repars à 23h30, 15h de boulot (avec une heure pour manger quand même), ça fait 3 dossiers par heure, un dossier en 20mn, bonne moyenne.
Mais ça, c'était sans compter sur Liselotte, interne hollandaise, en stage dans le service.
Le deuxième jour de recueil intensif, je croise Micheline, mon ex-co-interne. Elle a les yeux rouges. Une seule décision s'impose : une tisane et un biscuit.
"Ça va pas fort en ce moment. Il y a Pr A qui m'a appelé.
_ Ah bon ?
_ Oui, c'est mon directeur de thèse aussi. Il me dit "Micheline, il faut qu'on parle".
_ Ah zut.
_ Il m'a dit : " J'ai réfléchis et ça serait intéressant de regarder ça aussi dans les dossiers".
_ Et ?
_ Le problème c'est que j'en suis à plus de la moitié de mon recueil de données et qu'il va falloir que je ressorte tous les dossiers précédents pour récupérer LA donnée intéressante qui lui manquait.
_ Ah merde !"
Elle fond en sanglots. Ce qui attire sa co-interne actuelle, Liselotte. Immense, 1m80, des cheveux blonds, raides, interminables, d'immenses yeux bleus, une taille de guêpe et pas le moindre soupçon d'accent.
"Qu'est-ce qu'il se passe ?
_ Rien, je lui parlais de ma thèse.
_ Ah tu me rassures. Je croyais que c'était ton mec et qu'il t'avait fait pleurer. Je lui aurais cassé la gueule si c'était le cas; dit-elle avec un immense sourire.
_ Ah non, lui c'est Georges, un ami.
_ Bonjour Georges."
C'est comme si j'avais un nuage dans mes chaussures, la terre n'était plus sous mes pieds. J'avais du mal à choisir quoi regarder, sa bouche exquise, son petit nez (oh mon Dieu ! 5 taches de rousseur !) ou...j'optais pour les yeux, plus sûr.
"Micheline, pour te changer les idées, il y a une soirée internat vendredi soir. Amènes ton ami Georges si tu veux."
Elle s'est en allée avec un clin d’œil dans ma direction.
J'ai travaillé d'arrache-pied, autant que possible avec les idées autant embrumées par Liselotte que par la perspective de devoir tout refaire dans 1 mois. J'ai donc recopié l'INTEGRALITE du dossier de tous mes patients dans mon tableur, sauf les 100 que j'avais déjà recueillis en croisant les doigts pour que ça suffise.
Arrive vendredi soir, sonne 23h. Merde !!! la soirée internat !!! et il me reste...20 dossiers pour demain matin 8h !!! aie !!! que faire ?!?!?!
La suite au prochain numéro...
Tatatataiiiiiiiin
(musique de suspens de folie de cliffhanger de la mort)
La suite ici.
hmmm toutes ces histoires de thèse que j’entends un peu partout... Et moi qui doit rendre mon mémoire (licence en soins infirmiers) le 10 mai...
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