Avant de poursuivre la suite des péripéties de ma thèse, j'ai besoin de vous raconter l'état d'esprit dans lequel j'étais après le concours de première année, avant les résultats.
Je doublais ma première année, je participais au bazar ambiant dans l'amphi, je n'avais aucun espoir de réussir le concours de médecine; alors je m'étais inscrit au concours de kiné. Je bossais les matières qui me plaisaient et j'essayais tant bien que mal de retenir un minimum de choses des matières qui me gonflaient profondément, histoire de ne pas avoir de regrets.
Le concours arrive, j'écoute toujours de la musique avant les épreuves, pour me détendre. Je suis déjà détendu de toute manière puisque je connais déjà les résultats : recalé en médecine et pris en école de kiné. No stress. Mais pas de regrets à avoir, j'ai donné le meilleur de moi.
Le soir des examens, on a fait le tour des boites de la ville. On n'a pas vraiment dansé, non, on a gigoté plutôt, remué intensément, transpiré beaucoup. On a fait les fermetures en série, filé dans la première boulangerie qui ouvrait ses portes et pris le petit déjeuner chez l'un d'entre nous. Enfin, l'un d'entre eux puisque moi, je me voyais déjà ailleurs. Je ne me sentais pas particulièrement dans la bande des carabins.
Une petite douche et au lit à 10h du matin. Les vacances d'été commencent bien.
Réveil à 18h, par mon téléphone :
"Hey, Georges ! ça te dit un apéro chez moi ce soir ?"
Soirée toute simple, 4 mecs de moins de 20 ans dans un appart, à écouter de la musique (c'est ce soir là qu'a commencé mon histoire d'amour avec Led Zeppelin), à jouer de la guitare (c'est ce soir là que j'ai décidé d'apprendre), à parler de la vie, à refaire le monde...
Couché à 4h du matin, réveil à 16h, encore par mon téléphone :
"Hey Georges ! ça te dit de passer le weekend au bord de la plage ? mes parents sont pas là, on a la maison de campagne rien que pour nous."
Soirée tout simple, 50 garçons et filles de moins de 20 ans ayant fraîchement fini leurs examens venant décompresser dans une maison de campagne, au milieu des bois et à moins d'un kilomètre de la plage. C'est ce soir là que j'ai décidé d'arrêter de boire. Imaginez, la musique à fond dans le salon, une douzaine de filles peu vêtues en train de danser, une douzaine de gars dans la cuisine, en train de vider le frigo de toute substance liquide, solide ou intermédaire.
"Aller Georges, je te fais un cocktail.
_ C'est quoi ta spécialité ?
_ Je te fais un 88.
_ C'est quoi un 88 ?
_ C'est un Pastis 51 avec du Jet 27.
_ Mais euh...51 + 27 ... ça fait pas...
_ De quoi ?
_ Laisses tomber !"
C'est pas tellement que c'était mauvais. Ni les 3 bières qui sont ressorties. C'était plutôt le fait de nettoyer le vomi étalé sur 6 marches d'escalier au milieu de couples en train de s'embrasser avec une pelle et un sceau de plage (nettoyer, pas s'embrasser, vous avez compris).
Le reste de la soirée a été d'une grand sobriété, pour moi en tout cas. Au début je les regardais amusé :
"La tranche de citron dans la bouche. Le sel dans le creux de la main... et PAF !"
...
"Le sel dans la bouche, le citron dans le verre, la téquila dans le creux de la main...et PAF le chien !"
Et petit à petit, ça m'amusait moins :
"Michelle ! redescends de cet arbre, tu vas te faire mal !"
"Roger ! Laisses ce bout de bois enflammé dans le barbecue, il ne va te servir à rien dans le salon."
Quelques minutes après, j'ai retrouvé Michelle en train de vomir dans le lavabo de la salle de bain et Roger en train de s'aggriper aux bords du toilette dans lequel il avait enfoui sa tête, pendant que 3 autres carabins les regardaient en riant bêtement, assis dans la baignoire.
"Rogeeeer ?
_ Quoiiiii ?
_ J'crois qu'on a un soucis.
_ Ah ?
_ J'ai envie de chier.
_ Ok, on échange."
Les 3 carabins ont quitté la salle de bain, et moi aussi.
Quelqu'un a lancé l'idée :
"Et si on allait dormir au bord de la plage ?"
J'ai vu le moment où l'un d'entre eux aurait la bonne idée d'aller nager bourré. Je les ai donc accompagnés. La plage à un kilomètre, dit comme ça, c'est pas loin. Mais dans le noir, avec une demi-douzaine de vertigineux, c'est du sport.
Personne n'est allé nagé, on a parlé, tout bêtement, regardé les étoiles, et très vite, tout le monde a sombré dans les bras de Morphée, le marchand de sable était passé : il en avait mis dans les yeux mais aussi dans les poches, dans la bouche, dans le nez et dans les sous-vêtements (ça gratte un peu au réveil).
Nous sommes retournés à la maison (c'était aussi facile ? comment on a fait pour mettre autant de temps). Elle était grise. Le sol collait aux chaussures, il y avait des empreintes de mains aux murs, des traces de suie au plafond, des verres et des cadavres de bouteilles disséminés partout dans le jardin (un genre de matin de Pâques pour alcoolique).
Un demi-zombie est sorti canapé en se dépatouillant de 2 autres endormis.
"Georges, vas nous faire du café."
Je me dirige vers la cuisine en enjambant les gens par terre, je dégage la cafetière cachée derrière 4 bouteilles de téquila et des rondelles de citron, je jette le filtre plein. Je fouille dans la cuisine : il ne reste plus rien de comestible. Même plus de café, ni de filtre. Tout le monde dort, personne n'a rien vu, je récupère le filtre usagé dans la poubelle et je le remet dans la cafetière. Je remplis d'eau et j'attends.
J'étais tellement exténué que ça ne m'a pas choqué de voir sortir un liquide la couleur du thé. J'en sers une tasse au zombi réveillé.
"Mmmm....sucre !"
Ah ! il en reste. Je l'ai trouvé à côté des bouteilles de téquila (la salière est vide...).
Je le vois mettre un morceau. Puis 2. Puis 3. Puis 6.
"Dis-donc, tu l'aimes vachement sucré ton café.
_ J'ai pas le choix, goûtes."
C'était effectivement le plus mauvais café que j'ai jamais bu de toute ma vie, malgré la tonne de sucre. J'ai gardé pour moi le fait qu'il avait un arrière goût de déchets. Je comprends mieux pourquoi cet étudiant est devenu anesthésiste plus tard.
J'ai déjà parlé des résultats du concours dans un précédent billet (cf ici).
En tout cas, pendant la rédaction de ma thèse, je me suis senti un peu comme le lendemain de cette soirée :
avec les yeux qui piquent (à force de regarder l'ordi), avec un vrai chantier à nettoyer devant soi, mal à la tête, fatigué, mais bizarrement heureux d'être là, heureux de faire ce boulot qui me plait, avec le sentiment de donner le meilleur de moi-même en permanence, sans regret. Et pour rester éveillé, des perfusions de café.
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