samedi 17 mars 2012

Année sabbatique 5

Tous les épisodes précédents ici (1, 2, 3, 4) et aussi ici (Thèse 1 à 9).

C'est mon dernier weekend de glande entre 2 semaines de travail intensif : remplacement et rédaction. Je ne savais pas où aller et ma remplacée me propose :

"_ J'ai un collègue qui m'a proposé de faire l'assistance médicale pour une course. Comme je suis enceinte jusqu'aux dents, j'ai refusé mais je lui ai dis que je t'en parlerais. Est-ce que ça t'intéresse ?
_ Ça consiste en quoi au juste ?
_ C'est une course de montagne, il faut juste la présence d'un médecin en cas d'accident, genre une fracture. Mais tous les coureurs ont un certificat médical et sont expérimentés. C'est rare qu'il y ait un soucis. Je lui dis oui ?
_ Ok."

Je prépare donc mon sac à dos et mes chaussures de rando. Ce qu'elle avait omis de me dire, c'est que le lieu où je devais me rendre étais inaccessible en voiture, uniquement à pied. C'est pour ça qu'il leur manquait de médecin. Ça ne dure que la journée mais j'avais décidé de rester la nuit et redescendre le lendemain pour profiter un peu à me détendre et ne penser à rien d'autre, me vider la tête de cette foutue thèse.

Départ de la course à 5h30 du matin mais je serai au kilomètre 25. On m'a dit d'être présent pour 7h. C'est un ravitaillement, il y a plein de bénévoles qui s'activent à couper les oranges en 4, couper de petits bouts de gâteau, répartir les biscuits sur des assiettes, les fruits secs, de petites coupes de sel pur et remplir des centaines de verres d'eau et de coca. Ils ont porté toute cette nourriture et toute cette eau sur leur dos...

"_ C'est quoi cette course au fait ?
_ C'est le tour du plus haut sommet de l'ile : 53km et 3000m de dénivelé.
_ QUOI ?!? mais c'est un truc de barbare ! personne de sain d'esprit ne peut faire ça ! c'est pas possible.
_ Ah si c'est possible. Même qu'un des favoris, c'est mon cousin et il compte finir la course en 7h."

Je n'y crois pas une seule seconde. Quel genre d'être humain est capable de ce genre d'exploit sportif ? et c'est même pas retransmis à la télé ! entre les marathoniens et eux, il y a la même différence qu'entre l'amateur de foot à la télé, bière à la main au fond de son canapé et les joueurs de l'équipe nationale. Est-ce qu'on peut même encore parler de sport à ce niveau là ? c'est de la torture ! Mais qu'est-ce que je fous là ? Je vais avoir des pelletées de mec estropiés, avec des genoux, des mains, des dents en moins, complètement déshydratés, à bout de force...et encore, je ne suis qu'à mi-parcours.

J'ai pris mon courage à deux mains en me disant que demain je me reposerai. Je vais affronter la journée la sueur au front mais j'agirai vaillamment.

Un peu avant 9h, le premier coureur arrive, frais, même pas fatigué, comme s'il faisait une bête promenade. Le mec, il vient de se taper 27km en moins de 3h30 et il n'est pas fatigué !!! OH !!! je suis sur la planète Mars là ? Ont suivi une petite ribambelle d'une cinquantaine de marsiens, dans le même état, même pas une ampoule à déplorer. A chaque arrivée, l'équipe de bénévoles refait le plein de victuailles.
Puis nous avons eu droit à une petite pause, enfin pour eux, parce que moi, jusqu'ici, à part regarder passer les trains, j'avais quand même pas grand chose à faire. Sur le coup de midi, le reste du troupeau est arrivé, dans un état un peu moins bon. Quelques ampoules percées par 1 infirmière et des étudiants, quelques crampes massées par 2 kinés et quelques entorses.

A un moment, l'infirmière est venue me voir :
"_ Est-ce que vous savez bander ?
_ Euh...et bien euh...c'est à dire que...
_ Les entorses ? est-ce que vous savez les bander ?
_ AH ! j'avais pas compris.
_ Vous aviez compris quoi ?
_ Euh...laissez tomber. Vous voulez que je bande des chevilles c'est ça ?
_ Oui, mettez-vous là, on vous passe le matériel. Vous nous rendrez grand service."

Elle est repartie bander de son côté. 
Nous avons eu quelques blessés jusqu'à 16h, heure à laquelle le poste de ravitaillement fermait. Aucun blessés graves, heureusement. Au final, je n'ai pas servi à grand chose. C'est même hallucinant que personne ne se blesse davantage à courir 27km, même en 12 heures ! Le plus inquiétant dans l'histoire, c'est qu'à travers leur sueur, tous souriaient. Tous étaient lumineux, hommes et femmes, fiers d'eux, contents d'être là, heureux de souffrir sur des routes de montagnes à courir comme des dératés. 

Les bénévoles commencent à tout ranger.
"_ Je ne l'ai pas vu passer votre cousin. Des nouvelles ?
_ Oui, il a bien fini, seulement 3° en 7h12mn. Un peu déçu.
Je rêve.
_ Et il en fait d'autres des courses comme ça ici ?
_ Ah oui ! Même que celle-ci n'est pas la plus difficile.
_ QUOI ?! plus dur que ça ?!
_ Ah oui ! revenez en octobre, il y a la Grande Course. La traversée de l'ile. 160km et 9000m de dénivelé.
_ C'est un truc de fous.
_ Vous n'imaginez pas le plaisir que ça peut être de finir cette course.
_ Non, je suis loin d'arriver à imaginer ça.
_ Ce n'est pas si difficile ! Moi j'ai arrêté à cause de mon genou mais vous ? vous courrez ?
_ Oui, un peu.
_ Faut vous y mettre davantage, vous verrez, plus vous courrez, plus vous aurez envie de courir encore."

Devant ce monde d'incompréhension qui s'ouvrait à moi, j'avais deux possibilité : soit occulter, soit copier, pour arriver à grappiller une miette du plaisir qu'ils peuvent éprouver à s'infliger ça. Je me suis animé d'un seul sentiment : je veux comprendre. Objectif : j'ai 6 mois pour participer à leur course de fous.

Pendant que tout le monde rangeait, au milieu de tout le bazar, j'essayais de récupérer mon barda quand l'infirmière est retournée me voir :
"_ J'espère que je ne vous ai pas brusqué quand j'ai demandé de l'aide tout à l'heure.
_ Non non, ça allait. J'ai étais surpris c'est tout. Votre nom ?
_ Valérie.
_ Enchanté. Georges. vous faites quoi demain soir ?
_ Rien de prévu pour le moment.
_ Alors vous accepteriez de prendre un verre avec moi au bord de la plage ?
_ D'accord. A demain soir."

Elle est repartie, sac au dos, emmenant ses 2 étudiants de retour vers la civilisation, en m'inscrivant son numéro sur un pansement. Je restai seul au milieu des montagnes à contempler le ciel, parcouru de zébrures orangées et bleutées du couchant, hachuré par les lignes abruptes de sommets et dessinant l'ombre chinoise de géants sur les remparts comme un cinéma aux proportions pantagruéliques.

Le lendemain, j'ai quitté les cimes, j'ai respiré l'air de la rosée montagnarde, avant que le soleil ne touche la vallée. De retour à la maison, j'ai chaussé mes godasses de sport, un short, un Tshirt et mon capteur. Je règle sur 10km (ce n'est jamais que le double de ce que je cours d'habitude) et j'enfile mon casque, accompagné de John, Robert, John et Jimmy (ils jouaient ça).

Au début, c'est dur, surtout de s'y remettre après plusieurs semaines le cul posé sur une chaise. Au bout, de 500 mètres, je tousse, je crache, je sue, à grosses goutte. Ma salive se transforme en mousse épaisse dans ma bouche. J'ai oublié d'adapter ma respiration. Alors je prends de grandes inspirations par le nez et j'expire par la bouche, régulièrement, paisiblement mais amplement, et ça va mieux.

Au bout de deux kilomètres, la machine corporelle est en route, les articulations bien huilées, tout passe tout seul. Je me permets d'allonger la foulée, de faire de grandes enjambées, je vais bien.

Arrive la limite virtuelle des 5km. Si je continue au delà, je n'aurais jamais couru aussi loin. Et ça passe. Je continue sans souffrir. A 7km, ça commence à piquer un peu dans les pieds, de petites fourmis de rien du tout, puis de toutes petites aiguilles, puis l'impression de marcher sur des oursins. Ensuite, ça passe aux cuisses, on redescend aux mollets et on remonte aux fesses.

Les 2 kilomètres suivants sont difficiles. Et pourtant, j'ai fait tout le parcours sur du plat (pas fou le mec). Ça tire dans tous les sens. Ça devient presque difficile de soulever la jambe à chaque pas. Alors je fais de petites enjambées avec les cannes presque raides.

Les derniers 500m sont interminables. Je revérifie le capteur une bonne centaine de fois pour être sûr qu'il n'est pas cassé et que je ne suis pas en train de courir inutilement alors que le temps est fini depuis longtemps.
Le bip final sonne enfin. La voix off du capteur annonce dans mon casque "Félicitations, vous avez fini votre objectif de 10km. Vous avez couru 1h15mn et dépensé 700kCalories."

J'ai chaud et transpirer ne sert à rien. Je coule, je dégouline, j'imbibe mon tshirt ET mon short. Je suis une flaque géante mais verticale. Vite ! s'étirer dès que possible parce qu'après, je serai raide comme Robocop. Ça fait mal mais je sais que ce sera pire si j'attends. Je rentre chez moi en marchant tout doucement, précautionneusement.

Sur la route du retour, j'ai une sensation de chaleur dans la poitrine, qui se précise petit à petit : j'ai les tétons en feu. A force de courir, avec le frottement du tshirt sur mes seins poilus, ça décape. Et maintenant, ils sont à vif. Je prends la douche la plus apaisante au monde, j'ai l'impression d'être recouvert sur toute ma surface de peau de la crasse accumulée depuis plusieurs années de débauche. Je savonne, fort, plusieurs fois. Je m'applique de la crème sur les tétons. Vous n'imaginez pas le plaisir que ça procure. Je regarde l'heure. Oh zut ! je vais être en retard au rendez-vous avec Valérie !

Je me précipite hors de la salle de bain...aïe. Je ne peux pas me précipiter, c'est physiquement impossible. Je vais faire comment pour arriver au rendez-vous ? 

To be continued...ici

5 commentaires:

  1. 1h15 pour faire 10 km!?! Georges, il va falloir s'y mettre plus sérieusement... Quelle deception! Je suis vos aventures depuis un moment maintenant et je vous imaginais un peu plus sportif ;-) Va falloir perceverer...
    Sans rire, j'adore votre blog et vos histoires de these. Ca me rappelle tellement de souvenirs (qui ne datent d'il n'y a pas si longtemps...)
    Bonne continuation.
    Maud

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    1. Merci beaucoup. Quant à la course, ici, c'est la première histoire d'une longue série (encore une...). Merci pour le soutien et à bientôt

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  2. c'est pire que lire les mille et une nuits ton blog!
    la suite,la suite!!!
    Kyra

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  3. Rien que de lire je fatigué.

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  4. J'dois m'entrainer aussi... On court ensemble, Georges?

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