mardi 31 janvier 2017

HbA1c, le making-of 2 : la glycosurie et la médecine des évidences







Il est extrêmement difficile de répondre simplement à une question d'ordre médical. Le oui/non est très rare. Il n'y a qu'à voir la complexité de répondre à, par exemple, l'intérêt du dépistage du cancer du sein. Alors ? intérêt oui ? intérêt non ? comme dirait Facebook : "c'est compliqué".

Il y a quelque temps je me suis fixé comme tâche de répondre à une question simple : l'intérêt de l'HbA1c. Ca m'amène obligatoirement à la question suivante : c'est quoi le diabète ? et rien que ça...sans parler du traitement, des complications, du diagnostic...juste la physiopathologie c'est un pavé.
En fait, de toutes mes lectures, je pourrais en pondre un livre entier, pour ne répondre qu'à une seule question. Mais dans quel but ? un énième bouquin sur le diabète...pfff c'est bon, on a fait le tour de la question, non ? A mon sens non. Parfois, ce que je lis entre en contradiction avec les cours de mes professeurs, avec les livres de référence sur le sujet. Parfois, ça les conforte, les renforce. Heureusement.

C'est là que je me heurte à un biais de cognition.

Je suis en train de faire de l'archéologie médicale. Du coup, par définition, je n'étais pas là au moment où les articles ont été écrit, je n'ai pas baigné dans le contexte de l'époque, je n'ai pas assisté aux débats, ni lu les commentaires et les réactions. Ma connaissance du sujet, tous les tenants et les aboutissants, la réflexion qui a précédé l'accouchement du consensus, tout cela m'est parcellaire. Est-ce pour ça que je comprends les choses différemment que mes professeurs ? comme je n'ai qu'une partie des renseignements, j'ai forcément faux. Ou pas. J'ai un regard neuf aussi.

Biais d'arrogance

Ai-je l'outrecuidance de défier mes maîtres sur leur propre terrain ? du haut de mes quelques années d'exercice, comment puis-je m'ériger en défenseur de l'auto-formation auto-didactique versus l'expérience séculaire des mandarins ? bref, est-ce que je pèterais pas un peu plus haut que mon cul ?
D'un autre côté, n'est-ce pas simplement un complexe d'infériorité, complexe de l'imposteur vis à vis de lecteurs de revues professionnels ?

Comment faire la part des choses entre les 2 revers d'une même médaille, celle de la connaissance médicale ? et bien avec humilité peut-être. Ou avec un dictionnaire. Je ne veux pas que ce que m'ont transmis mes professeurs soit une évidence, je veux trouver des evidences, des preuves (en anglais).

Encore une fois, je vais tâcher de rapporter les études que j'ai lu, comment je les ai comprises (en sachant que j'ai pu les comprendre de travers) comment j'essaye de les replacer dans le contexte de l'époque et comment j'ai pu aboutir à une conclusion en rapport avec les problématiques contemporaines.
C'est difficile, j'en ai conscience, et ça va être long. J'implore votre patience.



En attendant, je vais vous montrer à quel point c'est pénible d'extraire un joyau dans cette mine.




LA BANDELETTE URINAIRE DE GLYCOSURIE

"Diabeton" vient du grec qui veut dire "qui passe à travers" (cf ici). Je boit 10 litres donc je pisse 10 litres. Déjà il y a 6000 ans, on avait identifié des patients qui pissaient beaucoup, dont l'eau ne faisait que passer à travers eux. 
Quand on goutait les urines, on leur trouvait quelques particularités, soit un gout salé (diabète salé ou maladie d'Addison), soit un gout sucré (diabète sucré) soit pas de gout (diabète insipide).

L'HbA1c concerne uniquement le diabète sucré et plus de 95% des diabètes dont vous entendez parler concerne le diabète sucré.

Est-il encore de nos jours pertinent de gouter les urines ? Je ne sais pas vous mais quand j'étais interne, on faisait des bandelettes urinaires à tour de bras. A la médecine du travail aussi. Avec un peu d'expérience et de recul, je vois passer plein de glycosuries négatives chez des patients diabétiques et des glycosuries positives chez des femmes enceintes qui ne sont pas diabétiques.

Est-ce vraiment utile ? ou de façon plus concrète : quelle est la sensibilité de la glycosurie dans le diagnostic du diabète ?


Question simple. Réponse compliquée.

L'idée, c'est que ce test doit être très sensible pour ne passer à côté de personne. S'il n'est pas très spécifique, c'est pas grave, on peut toujours vérifier avec une glycémie veineuse. C'est plus rapide, moins cher et ça évite de faire faire une glycémie veineuse à tout le monde.

Déjà, trouver des études qui donnent vraiment ce que j'ai demandé n'est pas si évident.

D'abord, les bandelettes en général arrivent à détecter une glycosurie à partir de concentrations telles que 0,5g/L (parfois moins) soit 1/10 de carré de sucre par litre d'urine.

Ensuite, si on prend la population tout venant, qu'on fait des BU à tout le monde (enfin, 1000 anglais du nord de Londres en 1990), sur 16 BU positives, 8 seulement étaient diabétiques et 17 diabétiques ont eu une glycosurie négative. Ca donne une sensibilité de 32% d'après les auteurs (oui d'après les auteurs, je ne recalcule pas, il faudrait, mais j'ai la flemme).

A l'inverse, si on prend 138 patients à qui on fait passer une HGPO et qu'on leur regarde la glycosurie, 36 vont avoir une BU positive mais seulement 8 sont diabétiques. Les auteurs donnent une valeur de sensibilité à 72%.

Déjà, suivant comment on fait le test, au sein de quelle population, les résultats sont radicalement différents.

Ensuite, une étude plus récente (2009), publiée sur le site de l'OMS, montre au contraire une sensibilité de 100%. Par contre, c'est la méthode que je ne comprends pas : pour savoir si un patient est diabétique, ils regardent la glycémie veineuse (ok) qui doit être supérieure à 50mg/dl (soit 0,5g/l). Euh...j'imagine qu'il doit y avoir une coquille, un raccourci super rapide, mais bon, on a quand même des résultats qui ne sont pas très concordants entre différentes études.



 Cf ici : sur 6 études différentes, la sensibilité de la BU varie de 16 à 64%, suivant que c'est fait à jeun, en post prandial ou au hasard. Avec une spécificité de 75% dans le meilleur des cas. C'est à dire, si je reprends avec mes mots, en essayant de l'appliquer concrètement à mon quotidien :
Si vous êtes diabétique, la BU vous pouvoir vous confirmer que vous êtes diabétique, dans 1 cas sur 6 dans le pire des cas, dans 2 cas sur 3 dans le meilleur des cas. Bon ça veut dire qu'elle a une chance sur 3 de ne pas vous dire que vous êtes diabétique alors que vous l'êtes.
Et à l'inverse, si vous n'êtes pas diabétique, la BU a une chance sur 4 de vous dire que vous êtes diabétique par erreur. Et ça, c'est sans compter les faux positifs surajoutés (manger de la vitamine C et ranger les BU à l'air libre par exemple, cf infra).



Vous voyez bien qu'il est capital de recouper les informations, vérifier ce que disent de multiples études avant de pouvoir se prononcer. Qu'il faut ensuite vérifier leur méthodologie et regarder la conclusion avec circonspection. Par exemple, parmi les études que j'ai cité, quasiment tous recommandent la BU pour le dépistage général de la population. Alors, peut-être qu'une sensibilité de 50% est intéressant à l'échelle d'un pays mais individuellement c'est tout pourri.

Pour revenir à la question initiale : est-ce que la BU est utile dans le diagnostic du diabète ? je ne peux pas répondre ! C'est trop disparate. Par contre, avec les éléments dont je dispose, je peux dire que comparé à d'autres méthodes telles que la glycémie à jeun ou la glycémie capillaire, c'est nul à chier et qu'il faudrait abandonner la BU une bonne fois pour toute. Concernant la glycémie !!! pour la protéinurie, la recherche d'infection urinaire ou de cétones, c'est autre chose.

C'est d'ailleurs la conclusion des gynéco (cf ici).

Est-ce que vous entrevoyez un peu l'ampleur du ménage qu'il y a à faire ? la glycosurie ne sert à rien, apporte plus de confusion qu'autre chose. Pourtant, c'est une pratique répétée, transmise de génération en génération de médecins, de professeur en futur professeur depuis l'époque où on goutait les urines. Les moyens et les techniques ont évolué, l'habitude reste. Pourquoi ? c'est exactement mon intention en voulant relire un maximum de vieilles études de diabétologie : faire le tri entre la transmission, ce qui semble "évident", qui va de soi, et les preuves, les arguments logiques et irréfutables, les evidences.

En tout cas, chers collègues, chers patients qui me lisez, quand vous voyez "glycosurie" sur une ordonnance, rayez-là, par pitié !!!





PS : une petite subtilité s'est glissée dans mon article. La mesure de glycosurie via une bandelette urinaire n'est pas la même chose que la mesure directe en laboratoire. La première est une mesure discrète (traces, une croix, deux ou trois), l'autre est une mesure quantitative. J'ai fait l'amalgame entre les 2 méthodes. C'est une erreur. En pratique, une glycosurie à +++ ou 3g/l ne change rien. L'intérêt de ce genre de test c'est "positif" ou "négatif". Donc, certes j'ai opéré une réduction simplificatrice entre les 2 méthodes de dosage mais en pratique ça ne fait aucune différence.

PPS : le tableau d'ouverture est une huile sur toile : "un docteur examinant de l'urine" de Trophime Bigot visible à l'Ashmolean Museum d'Oxford en Angleterre
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bigot,_Trophime_-_A_Doctor_Examining_Urine.jpg?uselang=fr


Biblio : 
le guide des prélèvements biologiques : http://www.sfbc.asso.fr/sites/default/files/Guide%20exam%20bio%20(5)%2018-01-08.pdf


WHO : sensibilité et spécificité des BU : http://www.emro.who.int/emhj-volume-15-2009/volume-15-issue-5/accuracy-of-dipstick-urinalysis-as-a-screening-method-for-detection-of-glucose-protein-nitrites-and-blood.html

article de 1979 sur la comparaison de 2 types de bandelettes : http://clinchem.aaccjnls.org/content/clinchem/25/6/996.full.pdf

1990, sensibilité et spécificité de la bandelette urinaire : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1663125/pdf/bmj00181-0063c.pdf

1991 : auto mesure de glycosurie : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1670929/pdf/bmj00145-0042.pdf

2000, screening for diabetes : http://care.diabetesjournals.org/content/23/10/1563.full-text.pdf

Recommandations 2010 du CNGOF sur le diabète gestationnel : http://www.cngof.asso.fr/D_TELE/RPC_DIABETE_2010.pdf




7 commentaires:

  1. Bonjour

    Très intéressant cette "mise à jour"

    La glycosurie est je crois une analyse qui n'a plus beaucoup d'indications.
    Du moins qui n'en a plus dans le diabète de type 2 "standard".
    C'est un dosage d'un "autre temps"

    En effet, quel intérêt de connaître si il existe une glycosurie quand on dispose de glucomètre même à la maison en surveillance; et que Google nous annonce une lentille qui nous donnerait notre glycémie en temps réel.

    Par ailleurs, tu parles de "nos maîtres" qui nous ont appris.
    Nous avons été formé au respect de l'autorité, à l'argument d'autorité.
    Force est de constater aujourd'hui, quand tout un chacun à accès à toute l'information disponible que l'avis de "ces maîtres" a perdu de sa valeur.

    Le respect de cette "autorité" a perdu encore plus quand on étudie les liens d'intérêts financiers ou non financiers que ces "maîtres" entretiennent avec les autorités et l’industrie pharmaceutiques et les affirmations "péremptoires" qu'ils nous assènent.

    Nous sommes aujourd'hui au 21è siècle et il est temps que l'esprit critique prenne le pouvoir.

    Merci encore de nous faire partager les fruits de ton travail.

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    1. Avec plaisir ! =)
      Maintenant avec les MOOC, ont pourrait presque apprendre la médecine sans voir un seul patient ni côtoyer un seul professeur. Ce serait une erreur bien entendu. Je pense qu'il y a besoin d'un compagnonnage minimum. La gratitude de l'enseignement prodigué n'empêche pas d'avoir un esprit critique vis à vis de cette transmission.
      Je pense qu'internet fait beaucoup plus de mal à l'ego des mandarins qu'à la qualité de la formation (et de l'information médicale des patients).

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  2. Rappelons-nous, nos illustres maîtres ne goûtaient pas les urines de tout le monde ! Ils ne faisaient que quand le patient "laissait" passer l'eau. Avec la bandelette, plus besoin de goûter ! Et avec la facilité, les élèves de nos illustres maîtres ont oublié l'essentiel : on ne fait pas de test sans avoir une bonne raison de le faire !

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    1. Entièrement d'accord ! avant de prescrire un examen, il faut toujours savoir ce qu'on en entend et ce qu'on fera du résultat.

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  3. J'ajouterais : la bandelette ne saurait être un test de dépistage. Voyez le théorème de Bayes !

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  4. La glycosurie est importante dans la recherche d'une dysfonction tubulaire proximale par exemple pour diagnostiquer le mécanisme des acidoses métaboliques ou dans le dépistage d'une maladie de dépôts en cas de gammapathie monoclonale.

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    1. Merci beaucoup d'enrichir la discussion. Je ne savais pas que ça pouvait être utile en néphrologie mais effectivement ça semble logique.

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