mardi 20 décembre 2011

Les réas sont des rois

Loin de toute adulation ou revendication de supériorité d'une spécialité par rapport à une autre, quand j'étais bien profond dans le caca, les réas m'ont toujours dépatouillé avec classe. Peut-être que j'ai eu de la chance et que je ne suis tombé que sur des mecs (et des filles) extraordinaires mais je l'avoue : les réas, je vous kiffe.

Première garde de samedi dans un service du CHU. Je fais ma visite le matin tranquille, on mange à des heures décentes, c'est à dire avant 14h, avant que le self ne ferme sinon c'est la misère et t'as plus qu'à commander une pizza et les patients qui sont à la fois admiratifs et un peu apeurés que tu aies du sang sur ta blouse et que tu n'oses pas leur dire que c'est de la sauce tomate.

L'après-midi se passe bien, pas beaucoup d'entrées, on fait la contre-visite à une heure correcte (c'est à dire commencée avant 18h). Et là, ça commence. L'infirmière rentre dans le bureau :
"Monsieur Crado est tout bleu et il a une tension à 6 et une fièvre à 40°"
On court dans la chambre de M. Crado qui doit en être à son 6° choc septique de l'année (au 10° l'hospitalisation est gratuite et vous pouvez inviter un ami, ouais !). On reprend la tension, on prélève un bilan infectieux et je lui fais un gaz du sang (c'est à dire que je pique dans un artère de la main pour savoir combien il a d'oxygène dans le sang, s'il n'en a pas beaucoup, c'est pour ça qu'il est tout bleu).
On appelle les réas :
"Bonjour, désolé de vous importuner à cette heure mais...
_ Pas de problème je t'écoute.
_ On a M. Crado qui fait encore un choc septique sauf que cette fois, en plus, il est tout bleu.
_ Ok. Vous lui passez un litre de macromolécules, vous lui relevez les jambes, vous lui passez 6L d'O2 à la minute et on arrive." Tout ça dit sur le ton d'un présentateur météo qui nous annonce un grand soleil sur tout la moitié nord de la France.

2 réas arrivent, polis (ils marchent vite mais disent bonjour à tout le monde), se penchent sur mon patient, je leur donne tous les résultats que je peux avoir.
"Ok, on le monte dans le service, merci de nous avoir appelé." Toujours sur le ton de la conversation. 

J'accompagne le patient en réanimation.
"La tension reste à 6. Ok, je lui fais une écho cœur : la veine cave est collabée mais il a une bonne fonction VG. Jeannine ? tu peux lui passer un litre de salé avec un autre litre de macromolécules s'il te plait ?" comme s'il commandait un café au bistro.

Au bout de 15mn à s'affairer autour du patient, ce dernier se réveille, sa tension remonte à 10, la fièvre redescend.
"On va te le garder quelques jours le temps d'avoir l'antibiogramme, d'accord ? je te tiens au courant. Et merci." avec un énorme sourire, comme si c'était moi qui lui rendait un énorme service.

Je retourne dans le service. On passe devant la chambre de Mme Crise.
"Zut, je crois qu'elle convulse.
_ Et merde. C'est pas elle qui est revenue de réa en début de semaine ?
_ Si.
_ A qui on a remis un traitement anti-épileptique qu'elle avait oublié de prendre.
_ Si.
_ Bon, ben ça marche pas.
_ Allo les réas ? on a Mme Crise qui refait un état de mal. Il vous reste une place ?"

Ils nous donnent des consignes par téléphone, je pousse le brancard jusque dans le service de réa (juste à côté heureusement).

Je retourne dans le service et j'entends BOUM.
"Valérie, c'est toi qui a renversé un truc ?
_ Non, je pensais que c'était toi.
_ Merde."

On se précipite vers le bruit au moment où un patient crie "A l'aide !". On rentre dans la chambre, le voisin nous dit :
"Il s'est pas senti bien et il est tombé d'un coup, comme ça".

Par terre est étendu M. Voisin, pas de pouls.Valérie me crie :
"COMMENCES A MASSER, J'APPELLE LES REAS !"

Je demande au patient encore sur ses pieds de sortir. Je masse, je ventile et les réas arrivent, au pas de course, sans transpirer, en moins de 5mn.
"Si tu es fatigué, je peux prendre le relai si tu veux."
Nous avons fait tout ce qu'on a pu, adré, choc électrique, mais au bout de 20mn, toujours pas de rythme cardiaque spontané.
"On a fait tout ce qu'on a pu, tu as très bien massé, mais on ne peut rien faire de plus pour lui."

Valérie ma chef s'est occupée du reste. Nous sommes sortis de notre astreinte de samedi à 22h et elle me fais avec un petit sourire en coin :
"Demain tu restes chez toi, tu portes la poisse. A lundi."

2 commentaires:

  1. La réa n'est pas stressante quand on se dit qu'au mieux on inverse la vapeur et au pire que nous ne faisons que tenter vainement de lutter contre le cours naturel des choses.
    Tout est relatif, seule la mort est constante! ;)

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  2. et vous le faites avec classe, merci à vous tous (et merci à toi pour le commentaire) =)

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