jeudi 2 février 2012

Thèse 4 : la rédaction d'abstract

Résumé des épisodes précédents : 1, 2 et 3.

Suite à l'accueil mitigé réservé à la soutenance de mon mémoire, Pr B m'a quand même encouragé à rédiger un résumé en anglais (appelé communément Abstract) et à le soumettre pour présentation à un gros congrès national. Lui pendant ce temps là s'occupe de motiver du monde pour commencer une étude de grande envergure, histoire de sortir des résultats significatifs.

Je travaille donc de mon côté, je peaufine mon anglais (oui parce que bon, c'est un congrès national francophone, mais il faut quand même soumettre l'abstract en français ET en anglais), je rédige tant bien que mal, je résume autant que possible mon mémoire de 50 pages en moins de 200 mots. Tout ça bien sûr, c'était en même temps que le stage en CHU et en même temps que le recueil de données pour ma thèse, avec d'un côté Pr A : "Alors, tu avances pour la thèse ?" et de l'autre Pr B "Alors, ça avance l'abstract ?".

Une fois fait, je soumets ma prose au comité de lecture du congrès. Ah oui ! faut expliquer un peu quand même : pour ceux qui ne sont pas en médecine ou pour ceux qui ne connaissent pas la joie de rédiger un article scientifique, lorsqu'on veut publier dans une revue ou un congrès, on soumet un abstract à la lecture d'un comité de lecture (ça tombe bien), ils le lisent (ça tombe encore mieux) et disent :
   - votre article est parfait, pas besoin de le corriger, il est accepté pour publication/présentation
   - votre article est intéressant mais il faudrait corriger ça, ça et ça
   - votre article manque de pertinence, ou alors est trop bancal, ou il y a trop d'erreurs, en tout cas il est rejeté
  
Pendant ma soutenance, on m'avait dit que mon article contenait trop d'erreurs, sa méthodologie était bancale et manquait de pertinence à cause de résultats non significatifs. J'ai donc soumis mon résumé sans grand espoir.

Pendant ce temps, Pr B motive du monde : il prévient d'autres spécialistes, essaye de voir combien de patients on pourrait recruter dans l'étude, quel financement on pourrait avoir de la part de l'hôpital et du ministère de la recherche. Dans le même temps, Pr A me donne une liste de 250 patients pour la thèse, faire le tri et se concentrer uniquement sur ce qu'il me demande. Ça veut dire qu'il faut que je fouille les 250 dossiers pour n'en garder qu'une partie spécifique, mais je ne le saurai qu'après avoir fouillé dedans, forcément.

1 mois se passe comme ça.

Je reçois un email du congrès national :
"Votre abstract a été retenu pour présentation murale et recevra une bourse d'étude."

Pardon ? Présentation murale ça veut dire que je vais imprimer les résultats sur un poster plastifié de 1m² et le placarder contre un mur pendant le congrès et que je vais devoir faire potiche (comme Miss Roue de la Fortune) en attendant que des spécialistes de toute la France viennent me poser des questions.
Ok. Mais "bourse d'étude" ? Je demande à Pr B. :
"Ah oui, je ne t'ai pas dit. J'ai eu le président du congrès au téléphone, je lui ai parlé de notre étude, il trouve ça très original et il va nous donner une bourse pour pouvoir payer un attaché de recherche clinique et un statisticien. C'est une bonne nouvelle, non ?"
_ Ah oui carrément ! et de combien elle sera la bourse ?
_ Je ne sais pas, il ne m'a pas dit. Mais assez pour payer 2 personnes à mi-temps pendant 6 mois."

Mon travail vaut tant que ça !?!? je suis très agréablement surpris. Ça fait bien plaisir. Du coup, ça ne m'a pas trop dérangé de payer de ma poche l'impression du poster (150 euros quand même) parce que le transport jusqu'au congrès était payé, le logement aussi. Et Pr B de renchérir :
"Ah oui, et je ne vais pas pouvoir y aller à ce congrès. J'ai décommandé mais tu pourras prendre la chambre d'hôtel qui m'était réservée. C'est arrangé, c'est bon."

1 mois passe encore, sur un petit nuage. Le weekend arrive, je prend mon train pour la capitale avec mon poster enroulé sous le bras (et protégé dans un emballage en carton rigide), j'arrive dans un hôtel de luxe, la chambre est immense, la vue géniale, le lit est tellement grand que je peux faire l'étoile de mer sans toucher les bords.

Pour la première fois depuis le début de mon internat, mon travail est substantiellement dédommagé. Avant, lors de congrès, nous les internes étions logés dans des auberges de jeunesse, entassés à 4 ou 6 dans un dortoir de 10. Là, j'ai MA chambre avec MON lit et MON petit déjeuner avec MON œuf à la coque, MES mouillettes servies à MA table par MON serveur. Faut que je fasse gaffe à ne pas trop vite prendre goût au luxe. Mais en attendant, je profite et ça fait du bien.

Bon, pour être honnête, je stressais un peu parce qu'il fallait que je prépare mes réponses aux éventuelles questions. Et puis :
"M. Zafran ? on ne vous a pas prévenu mais il faudra que vous montiez sur scène au congrès pour présenter votre travail.
_ Ah bon ? je croyais que je n'avais pas de présentation orale à faire.
_ C'est pas vraiment une présentation orale, on vous donne juste une minute de parole au lieu de 20 minutes. Ça laisse juste le temps de vous présenter et de dire le titre de votre étude.
_ Ah d'accord."

Bon, ok, prépare-toi Georges, tu vas être debout sur scène derrière un pupitre avec 3000 paires d'yeux qui te regarderont. Surtout ne montre pas tes fesses comme la dernière fois (cf ici et ).

Le matin, j'assiste aux conférences, l'après-midi je fais potiche. J'ai répondu à 3 questions. En 3 heures, ça fait beaucoup de potichage et des courbatures aux coins de lèvres pour rien. Et le soir, j'attends dans la fosse avec 4 autres internes qui ont aussi reçu un prix. Ils et elles passent avant moi, je suis le dernier. J'ai le temps de voir leur minute de présentation et surtout leurs sujets, ultra sophistiqués, de la recherche fondamentale du genre que seulement 10 personnes dans le monde peuvent comprendre. Je monte, je m'éclaircis la voix, je me présente, je dis le titre de mon étude, je remercie le congrès de m'avoir invité et le comité scientifique d'avoir sélectionné mon travail. Je descend du pupitre et je reçois mon chèque.

C'est pas le genre de chèque qu'on reçoit aux jeux télés, ceux en carton qui font 2m de long. Non, c'était une feuille A4 avec l'en-tête du congrès national qui me félicite pour mon travail "original et innovant" avec un petit chèque en bas de page à découper selon les pointillés. L'ordre est à mon nom. Et il y a plus de chiffres que ce que j'ai l'habitude de voir sur un chèque.

Je sais que cet argent n'est pas à moi puisque je vais le reverser au service pour financer la recherche mais cet argent, je l'ai gagné quand même.

Je rentre tout fier dans mon CHU, de retour à ma vie de Cendrillon après avoir connu la vie de palais. Ce que je ne savais pas, c'est qu'une pantoufle de verre m'attendait avec un carrosse...

Pr B vint me voir un matin, tout bougon, pas vraiment l'air d'un Prince et pas charmant non plus.
"La commission d'établissement s'est réunie. Ils ont rejeté notre étude de grande envergure. Soit disant parce que je n'avais pas prévenu les statisticiens.
_ Bah si ! on les avait prévenu il y a 2 mois.
_ Entretemps ils ont perdu la mémoire faut croire. Donc non seulement l'étude est rejetée mais en plus, on n'a pas le droit de la mener avec un financement indépendant.
_ Pourquoi ?
_ Parce qu'ils ne veulent pas mobiliser du personnel pour une étude qui n'est pas chapeautée par la direction scientifique du CHU.
_ C'est absurde, c'est nul, c'est...mais du coup, qu'est-ce qu'on fait du chèque ?
_ Si on le dépose sur le comte du service, il y a machin (Pr A, je traduis, chacun est Celui-Dont-Il-Ne-Faut-Pas-Prononcer-Le-Nom l'un pour l'autre) qui va s'en servir pour financer ses études à lui. Et ça, plutôt crever.
_ Qu'est-ce qu'on fait alors ?
_ D'une, il est pas au courant pour la bourse, et de deux, le chèque est à ton nom, non ?
_ Euh...oui.
_ Alors garde-le. C'est pour toi. Félicitations."

Bizarrement, ce petit bout de papier a repris en un instant la taille d'un chèque de jeu télé et j'avais l'impression d'avoir Christophe Dechavanne devant moi (mais en chauve) qui me serrait la main et me félicitait d'avoir trouvé "Mont Rushmore".
Avec cette bourse d'étude, j'ai revendu mon ancien véhicule-insecte à la casse (de toute manière, je ne pouvais plus fermer la porte à clé), j'ai vidé mon compte en banque et je me suis acheté une voiture neuve. Après 3 ans d'internat, j'avais bien le droit de m'offrir un cadeau.


La suite ici.

8 commentaires:

  1. et bien ça fait chaud au coeur après toutes ces embrouilles en 1, 2 et 3 !!!
    kat

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  2. Mmmmm moi je sens l'embrouille qui va arriver en revers de médaille (rire sardonique)

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  3. Ouaip.je pense comme Marietoune.
    sais pas si c'est une bonne idée de publier ça sur ton blog.

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  4. Je vous rassure : une partie de ce que je raconte est fictive. La bourse d'étude est toujours destinée à l'étudiant qui reçoit cette bourse, pas à son service. Malheureusement, à cause de la pression des chefs, certains exigent qu'une partie de cette somme soit reversée au service.
    De mon côté, je n'arrivais pas à croire que ce chèque me reviendrait en entier, c'est ce que j'ai essayé de retranscrire dans le texte, alors je l'ai gardé, sagement, et au bout de 6 mois, voyant que personne ne me le réclamait...je l'ai encaissé =)

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  5. Bonjour, et félicitation pour cette série de billets sur la thèse... Du vécu, car la plupart du temps les étudiants sont dirigés par des "maîtres" qui ne savent pas ce qu'est une thèse, qui n'ont pas le temps de s'occuper de diriger l'interne, et qui de ce fait se bagarrent avec des collègues. Lors de la soutenance, ils lisent la thèse dans laquelle un assistant a mis des 'post-its' et de ce fait, ils pointent les fautes d'orthographes, les pages mal imprimées,etc... Je pense qu'il vaudrait mieux demander un court article scientifique au lieu d'une thèse... mes arguments ont été développés par la définition que je donne à la thèse "Un transfert d'os d'une tombe dans une autre", selon une expression ancien de R Day, microbiologiste américain. J'ai résumé cela sur http://www.h2mw.eu/redactionmedicale/2011/09/arr%C3%AAtons-de-transf%C3%A9rer-des-os-dune-tombe-dans-une-autre-.html

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  6. Dites donc Dr. Zafran, ligne 12, y a pas que les médecins qui écrivent des articles scientifiques !
    (par contre je ne regrette pas d'avoir suivi le lien de Dr. Jaddo, je ris beaucoup à toutes ces histoires et je me félicite à chaque page de ne pas avoir pris cette voie !)
    Signé : une Docteur pas médecin, qui a eu son lot de potichage...

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  7. Vous avez entièrement raison, l'erreur est corrigé. =)
    J'ai déjà parlé des docteurs pas médecins dans un billet précédent et vous avez toute mon admiration. C'est dommage que le terme de "Docteur" soit accolé au terme de "médecin" dans la population générale. A nous d'y remédier.
    Merci pour vos encouragements.

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    1. Merci pour la réactivité!
      Je crois qu'on ne pourra pas faire grand chose, à moins de prendre les termes anglais, bien moins sujets à confusion (MD / PhD...). Et toute l'admiration est pour moi (enfin pour vous).
      Bon allez, bonne continuation!

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