vendredi 24 février 2012

Réunionite

Définition : nom féminin malheureusement souvent pluriel, réaction inflammatoire allergique, pustuleuse, prurigineuse, nauséeuse et gerbative à un excès de réunions en tout genre. A ne pas confondre avec le syndrome de manque de l'ile de la Réunion...rien à voir.

Il était vraiment temps que je parte. L'histoire se situe entre "thèse 7" et "mon année sabbatique 1".

Un de mes premiers stages d'externe, je l'ai fait dans un service d'endocrinologie, les hormones tout ça. Un jour, en fouillant dans un tiroir, j'ai trouvé un collier jaune et bleu. J'essaye de me le mettre autour du cou, sans succès. Je demande à une infirmière :
"_ C'est quoi ce collier ?
_ C'est pas un collier, c'est un orchidomètre.
_ Un quoi ?
_ Ca sert à mesurer la taille des testicules.
J'ai immédiatement relaché l'objet.
_ En jaune, ça veut dire taille post-pubère. En bleue, taille impubère."
Quand je pense que je l'ai collé à mes oreilles l'instant d'avant...Vous allez voir, c'est important pour la suite.


Les 2 dernières semaines de mon internat, j'ai eu droit à 10 réunions successives. 10 !!! La machine administrative hospitalière nécessite le regroupement de médecins et de personnel médical pour parler de différentes situations, c'est normal et nécessaire. Grâce à ça, un médecin seul et isolé n'aura pas droit de vie ou de mort sur un patient. Il y a des réunions de concertation pluri-disciplinaire (RCP) où, comme son nom l'indique, des médecins de plusieurs spécialités discutent les cas de Mme Findevie et M. Casentlesapin. Et c'est une bonne chose. Mais parfois, la machine s'emballe. Et malheureusement, de temps en temps, tout me tombe sur la gueule au même moment.

Ca arrive sournoisement, doucement, en catimini.

Ca commence par une réunion exceptionnelle, originale, ponctuelle, à laquelle il est normal d'être convié (une fois n'est pas coutume). Alors pour ne pas cracher sur le privilège de recevoir Pr Machin de Paris, on doit cesser toute activité dans le service à 14h et se rendre à la salle de staff.

En général, ça ne doit durer qu'une heure, mais ça déborde toujours. A 17h, je retourne dans le service pour voir mes 3 ou 4 entrées de l'après-midi qui ont gentiment patienté (les pauvres) et je vais encore finir à 22h.

Là dessus, Micheline m'appelle :
"_ Est-ce que tu peux me rendre un immense service s'il te plait Georges ?
_ Tu sais bien que je ne peux rien te refuser.
_ Est-ce que tu pourrais aller à la commission d'adéquation des postes d'internes ? c'est demain après-midi.
_ Euh...pourquoi je ne peux rien te refuser déjà ?
_ Parce que grâce à moi t'arrêtes pas d'embaler.
_ Ah bon ? c'est même pas vrai !
_ Il y a eu Yolanda, MilèneNadine, Liselotte et ...
_ Bon ok ça va, j'irai."

Pour ceux qui ne connaissent pas ou qui ne savent pas : un hôpital fonctionne grâce à ses internes. Sans interne, pas d'urgences, pas de médecin dans les couloirs de l'hôpital, pas de prescription. Sauf qu'on n'est pas encore Docteur, alors pour l'administration, on compte pour du beurre, comme "étudiants". Ca leur permet de nous payer 3 fois rien en nous faisant bosser 3 fois plus. Les lits des chambres de garde sont les vieux lits trop pourris pour les patients, avec le matelat creux en son centre et des grincements à chaque mouvement, hyper pratique pour dormir. Les chambres de garde elles-mêmes ont la peinture (vieille de 30 ans) qui se décolle des murs, les robinets qui fuient et des cafards dans le faux-plafond.

Nous les internes sommes la 5° roue du carrosse. Alors pour rappeler qu'on existe, il y a une commission où on a la liste des internes qui arrivent au semestre prochain et la liste des lieux où ces internes peuvent effectuer leur stage. La confrontation des 2 listes montre bien qu'il y a un problème : trop d'internes, pas assez de stages. Les internes désignent donc un représentant qui va taper du poing sur la table pour quémander l'ouverture de postes.

C'était Micheline notre représentante. Là, demain, elle ne pouvait pas. C'est moi qui suis allé taper du poing sur la table. Ce semestre là, l'hôpital n'a ouvert que 4 postes et tous les autres internes sont allés en périphérie. Je ne sais pas taper très fort du poing.

Par dessus, s'est rajoutée une réunion mensuelle, pour discuter de cas de cancérologie complexe, en visio-conférence avec Paris.
"_ Ah au fait Georges, c'est bien toi qui t'étais occupé de Mme Tumeur ?
_ Non.
_ C'est pas grave. Est-ce que tu peux la présenter demain au staff de cancéro ?
_ Euh...
_ Surtout n'oublie pas, il nous faut son compte-rendu opératoire d'il y a 5 ans, les résultats de tous les scanners qu'elle a passé depuis et toutes les chimiothérapies successives qu'elle a eu chez nous. Tu synthétises tout ça sur un diaporama de 2 minutes et ça suffira. Merci.
_ ..."

Ok, donc, vous ne voulez vraiment pas que je dorme.

Le lendemain, après avoir fouillé pendant 2 heures dans les 3 dossiers gros comme des annuaires, j'assiste à la réunion, je commence à parler du dossier de la patiente, le médecin qui m'a confié le boulot m'interrompt toutes les 30 secondes et au bout de 2mn, avant la fin de mon diaporama. Paris nous préviens :
"Bon, nous allons devoir y aller, on a une réunion importante. On finit tout de suite et on reparlera de votre patiente la prochaine fois. Merci à bientôt."

C'est vraiment frustrant.

Et comme par hasard, comme si ça ne suffisait pas, j'ai eu droit à une réunion annuelle : le bilan d'activité du service, celle où les chefs présentent les chiffres, le nombre de patients vus, combien ils ont coûté au service, combien ils ont rapporté à l'hôpital, pour pouvoir négocier l'ouverture de postes de personnel supplémentaire. C'est écoeurant de cynisme. Seule la logique comptable a de l'importance. On ne parle pas de qualité de soin, de qualité de vie, de guérison. On parle de production de soin, d'efficience, de rentabilité. Je comprends que ce soit nécessaire, la santé a un coût. Et laisser la santé uniquement dans les mains des comptables serait une abomination. Mais quand les médecins rendent des rapports de comptabilité, je crois que c'est pire.


Et puis il y a les réunions de service hebdomadaires, celles auxquelles on s'était habitué, où plusieurs représentants de la même spécialité se masturbent intellectuellement en cercle autour d'une table, en public, devant une ribambelle d'externes et d'internes (les pauvres) et où l'éjaculation cérébrale, pudiquement appelé "compte-rendu de staff" est recrachée suavement par la bouche du Professeur (celui qui a la plus grosse) dans l'oreille d'une secrétaire via ustensile interposé (un dictaphone). En théorie, c'est lors de ces staff que le Professeur dispense son savoir à ses ouailles. En pratique, les externes payent les croissants, distribuent le café et se taisent.

En vérité, c'est un show d'auto promo, organisé par le Professeur et à destination du Professeur. Il y fait d'ailleurs souvent démonstration de son humour douteux et manifeste, par moyens plus ou moins ostentatoires, que c'est lui le patron.

Exemple :
"_ Mme Poil, vient pour hirsutisme idiopathique (si vous ne savez pas ce que c'est, ça veut dire qu'elle a des poils partout et allez voir le film de Michel Gondry "Human Nature"). Malheureusement, comme la date de son hospitalisation a tardé, elle s'est tout rasé avant de venir et était très déçue de ne pas pouvoir vous les montrer.
_ Ah lala, encore une qui rêve de me montrer ses poils."

Voilà, vous voyez le genre.

Comme c'était la dernière réunion à laquelle j'étais obligé d'assister, je me suis permis de me lacher. Au bout de 2 heures de staff, généralement, tout le monde s'endort, même le Grand Professeur. J'en ai profité pour réveiller brutalement tout le monde :
"_ M. Pasdenfant qui vient pour infertilité. Lors de l'examen génital, Monsieur avait les couilles bleues.
_ QUOI ?!?!
_ Oui, à l'orchidomètre, ses testicules étaient de la même taille que les boules bleues du collier."

Je jubilais intérieurement, futilement bien sûr. Je me suis fait engueuler parce que "couille" n'est pas un terme médical et "bleue" n'est pas un diagnostic. Mais une fois de temps en temps, faire preuve de finesse dans ce monde de pesanteur, ça soulage.

7 commentaires:

  1. J'ai ri, ri et encore ri...Merci de dénoncer la masturbation intellectuelle, le gentillisme du mandarinat...Je regrette juste que le mot "réunionite" doive être féminin...

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    1. Merci =)
      Si j'arrive à faire rire avec ces pratiques honteuses (oui la masturbation intellectuelle d'un professeur est une pratique solitaire honteuse) alors je suis heureux

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  2. Moi, j'ai toujours eu des chambres de garde confortables (avec télé sauf exception), mais matelas bruyants of course car tout en plastique... Enfin, c'était comme ça dans les periph, je n'ai pas eu l'occas de tester les lits du CHU...

    Tu as le don de trouver des prénoms vraiment improbables pour tes histoires^^ Liselotte?? lol

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    1. Liselotte est un vrai prénom, du Moyen Age certes, mais vrai.

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  3. Le nombre de réunions que je me suis cognée en tant que syndicaliste et représentante des internes... A un staff, une fois j'ai dit "ce patient a un truc genre champignonesque". Je me suis sacrément fait engueuler. Le vocabulaire, toussa.

    Merci pour les couilles bleues, j'ai bien ri. Sais-tu qu'en tanzanie, en pays masaï, vivent des singes qui ont vraiment les couilles bleues?

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    1. Je suis toujours ravi d'apprendre des choses concernant les couilles.
      Merci =)

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  4. Sweet Faery,
    J'aurais souhaité apeller mon dernier enfant Liselotte. Et je trouve ça très boooo MOA !!!!
    Nan mais.

    Ca vient de l'Allemand Liezlotte.

    Finalement, Liselotte avait des couilles à la naissance alors on l'a appelé Jul.

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