jeudi 8 mars 2012

Thèse 9

La liste des épisodes précédents, disponibles gratuitement ici : épisodes 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 et 8.

Au moment où je commençais à reprendre un peu d'emprise sur ma vie, elle commence à se barrer en courant : je finis de rédiger ma thèse et j'ai quasiment tout à refaire. Je finis par trouver une femme exceptionnelle et je la plaque. Quand c'est pas le sort qui s'acharne, c'est moi-même qui marque un but contre mon camps. J'avais plein de boulots super bien payés et je me retrouve sans rien, le gros creux de la vague.

Je ne m'appesantirai pas sur les raisons de la rupture. D'une part parce que ce n'est pas drôle, et quitte à raconter une histoire, autant qu'elle puisse un peu dérider les zygomatiques. D'autre part parce que j'y joue le rôle du connard. Comme c'est moi qui raconte l'histoire, je ne vais pas me balancer des fions (même si je devrais de temps en temps).

Je passe sur le break up sex qui est au-delà du réel. Je passe sur le baby blues du post-partum d'une thèse moche. Je passe sur l'anxiété de se demander si je vais retrouver du boulot, ai-je bien fait de prendre une année sabbatique ? (cf ici, ici et ).

Par le plus grand des hasards, une des personnes que j'avais remplacées me propose d'aller rendre service à une amie à elle, enceinte, qui aurait besoin d'aide pour 2 mois. Le seul hic, c'était dans les iles. Je l'appelle :
"_ Bonjour, le remplacement m'intéresse. C'est bien pour 2 mois ?
_ Oui oui ! a priori j'accouche en juillet, donc ça serait pour juillet et août.
_ Super !
_ On a un ami qui part en vacances et te laisse sa maison, il faudra juste nourrir les chats mais pas de loyer à payer.
_ Super ! mais euh...pour le billet d'avion...?
_ Ne t'inquiètes pas : une semaine de remplacement et tu auras largement rentabilisé ton billet, aller-retour."

Le remplacement parfait, très (mais alors TRÈS) bien payé, au chaud, au soleil, sauf que je n'aime pas les chats. Leur air arrogant, leur façon de nous faire comprendre que ce sont EUX les maîtres et qu'ils ne font que nous tolérer dans LEUR maison à eux, leur façon complètement hypocrite de nous faire des câlins uniquement quand ils ont besoin de manger et nous envoient bouler ignominieusement le reste du temps...Pour toutes ces raisons, je n'aime pas les chats. Ça, et mon allergie à leurs poils.

Arrivé sur place, j'ai à peine eu le temps de visiter, de m'installer, que j'ai tout de suite du commencer le travail. J'avais la secrétaire la plus parfaite du monde ! une jeune grand-mère de 55 ans, ultra-drôle, qui m'a un peu testé au début et qui m'a ensuite adopté complètement, avec qui je m'entendais extrêmement bien. Si j'avais pu rapporter une seule chose de mon séjour dans ma valise, ça aurait été elle.
Non seulement elle me faisait le café tous les matins, mais en plus, elle me tapait mes courriers sans fautes aucunes, adressées le lendemain aux médecins, elle me calait les rendez-vous parfaitement bien et me distrayait quand je suffoquais sous le boulot.

Je l'ai invitée à manger plusieurs fois, j'ai rapporté du café toutes les semaines, je lui disait des mots doux et des blagues dans le dictaphone...j'ai passé 2 mois à sourire grâce à elle. Parce que le reste du temps...

Il fallait malgré tout que je finisse ma thèse. La journée, je consultais de 8h à 18h, corrigeais les courriers de 18h à 18h30, faisais la comptabilité de 18h30 à 18h45 et révisais les trucs qui me posaient soucis dans la journée de 18h45 à 19h, 19h30. Je rentrais, je mangeais et il fallait que je passe une heure tous les soirs à re-trier et re-calculer ma montagne de données. Au bout d'un mois, ma remplacée, voyant que j'avais des cernes jusqu'au milieu des joues (la crème anti-hémorroïdes ne fonctionne pas), elle m'a demandé :
"_ T'es sûr que ça va ? pas trop de boulot ? j'ai réduit un peu pourtant (elle bossait de 7h30 à 19h30).
_ Non, c'est pas les consultations, j'adore ça. Non, c'est la thèse.
_ Ah zut, il te reste combien à taper pour quand ?
_ J'ai déjà tout écrit mais je dois tout ré-écrire pour fin août.
_ Je peux t'aider si tu veux.
_ Ah oui, avec grand plaisir, tu me sauverais la vie."

On a donc supprimé les consultations du vendredi pour revoir la rédaction avec ma remplacée. Le problème c'est la sur-spécialisation. Dans chaque spécialité, chaque médecin a son domaine de prédilection, l'organe ou la fonction qu'il ou elle affectionne particulièrement et se forme en conséquence. Le domaine de ma thèse était à l'opposé des compétences de ma remplacée. Elle m'a beaucoup aidé sur la présentation, la syntaxe, l'organisation des idées, le rangement des thèmes, la progression du raisonnement, l'ordonnancement des résultats.
Par contre, tout ce qui était de l'interprétation des résultats, ça lui passait à mille lieux au dessus de la tête. Mais ça m'a quand même permis d'avancer.

Ce qui m'a ralentit par contre : les chats. Qu'est-ce qu'ils ont ces cons à toujours vouloir faire leur sieste PILE au moment où j'écris et surtout PILE à l'endroit où j'écris. Ils ont TOUTE la journée ET la nuit à rien foutre et ils viennent me faire chier JUSTE au moment où j'aimerais qu'ils me foutent la paix.
Bon, j'avoue, une fois de temps en temps, quand j'ai besoin de câlins, il se trouve qu'il y en a toujours un pour venir sur mes genoux, ronronner et me faire des mamours. Si les chats me tolèrent, je peux bien tolérer les chats.

J'avais droit à 2 congés : 4 jours autour du 14 juillet et 4 jours autour du 15 août.

Le premier weekend, je suis parti sur une autre ile, proche, mais une où on ne parle pas français. Dans la salle d'attente pour le petit avion à hélices, soudain rentra une créature de rêve : grande, noire, avec des tâches de rousseurs et de grands yeux bleus, des cheveux crépus rangés en arrière dans un bandeau de tissu. Elle était visiblement un peu perdue. Je ne demandais qu'à l'aider. Je me dis intérieurement que si elle m'adressait la parole, je serais très très heureux.

Elle me regarda et vint s'assoir à côté de moi :

"_ Excuse-moi, j'ai vu que tu avais le Guide du Voyageur. Moi j'ai perdu le miens et il y avait toutes les coordonnées de tout ce que je devais faire sur place, y compris le numéro des personnes que je devais contacter. Ça serait possible que tu me dépannes un peu sur place ?
_ Oui bien sûr. T'as besoin de quoi ?
_ Déjà, peut-être qu'en relisant le guide, je retrouverai le nom de l'endroit où mes amis logent.
Je lui tendis mon guide, elle le feuilleta cinq minutes et me le rendis.
_ Non, je ne retrouve pas. Je ne sais pas quoi faire.
_ Bon, on va commencer par le plus simple. Est-ce que tu as un endroit où dormir ?
_ Non.
_ J'ai réservé un hôtel, on verra bien s'ils ont une autre chambre pour toi. Est-ce que tu as de quoi te déplacer ?
_ Je pensais prendre les bus mais...
_ J'ai loué une petite voiture, je pourrai te déposer n'importe où et après tu te débrouilles. Ça te va comme ça ?
_ C'est parfait, merci beaucoup !"

Elle se rassit au fond de la salle d'attente, pas longtemps, nous avons embarqué juste après. Dans l'avion, elle s'est levée et est venue me remercier encore, 2 ou 3 fois. A chaque fois, confuse, elle rougissait et ça faisait ressortir ses éphélides...le grand charme.

A l'atterrissage, direction ma petite voiture de location qui m'attendait à la sortie de l'aéroport : une 2CV jaune décapotable. Nous nous sommes dirigés vers la "grande ville", une espèce de patelin avec 4 rues goudronnées. Elle se réserve une chambre dans le même hôtel que moi (à 2 étages de différence je vous rassure). Nos chambres étaient pourries : un lit de 60cm de large, creux en son centre, grinçant. Pas de clim (c'est pas dramatique) mais pas de ventilateur non plus (là ça commence à chauffer). Un WC/douche, c'est à dire qu'en baissant le couvercle de la cuvette, on pouvait s'assoir dessus et prendre sa douche. Et des cafards gros comme des souris dans les coins. Nous nous sommes retrouvés à la réception.

"_ Est-ce que tu as la moindre petite idée de là où se trouvent tes amis ?
_ Je sais juste qu'ils ont un bungalow au bord d'une plage.
_ Il y a la plus grosse plage de l'ile à 5 minutes d'ici, on peut y aller déjà, on verra bien. Si ça se trouve, on les croisera là-bas."

Direction la plage. Donc, je résume pour ceux qui avaient encore un doute : j'ai comme passagère dans ma voiture décapotable, une fille d'un 1m80, magnifique, qui pourrait être mannequin, en maillot de bain, paréo et lunettes de soleil, et je l'ai rencontré il y a seulement quelques heures. Non, je n'ai aucun regret, j'ai bien fait de prendre une année sabbatique.

Arrivés à la plage, on se pose un peu et on croise un groupe de français :
"_ Dites, par le plus grand des hasards, vous n'auriez pas croisé 2 autres petits français ?
_ Si, comment ils s'appellent ?
_ Thierry et François.
_ Si.
_ Et par le plus grand des hasards, vous ne sauriez pas où ils habitent ?
_ Si, on a fait la fête chez eux pas plus tard qu'hier soir."

Avec leurs indications, nous nous sommes rendus chez eux. Pas là. Elle a laissé son numéro de téléphone, un lieu, une heure sur un bout de papier et nous sommes repartis à la plage.

Elle était ravie. Jusque là, on pouvait lire l'incertitude dans ses immenses yeux bleus. Maintenant, c'était de la sérénité et un sourire se dessinait entre ses lèvres pulpeuses. Elle me dit :
"_ Pour passer le temps, moi, ce que j'aime faire, c'est me poser sur la plage et attendre la nuit en lisant un bouquin.
_ Tiens, moi aussi.
_ Parfait ! Allons-y. Elle agrandit encore son sourire.
Un peu plus tard, juste après avoir étendu nos serviettes sur le sable blanc :
_ Je ne sais pas si je pourrai assez te remercier pour tout ce que tu as fais aujourd'hui.
_ Ne t'inquiètes pas, tu m'as déjà remercié au moins 8 fois. Par contre, ce que tu pourrais faire, c'est me donner ton prénom.
_ Je ne te l'ai pas dit encore ? mince, je peux être distraite parfois.
Elle me tendit sa main.
_ Élodie. Enchanté, monsieur...?
_ Georges.
_ Tout le plaisir est pour moi. Allez, on sort nos livres maintenant que les présentations sont faites.
Chacun se tourne vers son sac. Je sors un livre d'un auteur sud américain (Murielle m'avait donné le virus) : "Eva Luna" d'Isabel Allende. Élodie ouvre de grands yeux écarquillés :
_ Je rêve.
_ Quoi ? qu'est-ce qui se passe ? tu connais cette auteur ?
Elle me tend son livre : "La maison aux esprits" d'Isabel Allende.
_ C'est extrêmement improbable ça quand même ! dit-elle.
_ C'est vrai ! tiens, voyons voir si nous avons d'autres points communs.
_ Ok. Toi d'abord. Si tu es ici c'est que tu as déjà voyagé ailleurs je suppose.
_ Oui en effet. Toi aussi tu aimes voyager ?
_ Je ne peux pas me passer de voyages. Tu es allé où ?
_ Plein d'endroits !
_ Mais l'endroit qui t'as le plus marqué ?
_ Mmm, sans doute l'Afrique.
_ Ah bon ? moi aussi ! où ça ?
_ Au Togo.
_ QUOI !?! Moi aussi ! tu y étais pour quoi y faire ?
_ Je faisais un stage à l'hôpital de Lomé.
_ Euh...attends, tu me fais peur...j'y étais aussi.
_ Tu es dans le domaine médical toi aussi ?
_ Oui ! je suis sage-femme. Et toi ?
_ Médecin. Tu y étais quand ?
_ Été 2004.
_ Oh la vache ! moi aussi !
_ Si ça se trouve on aurait pu se croiser.
_ Non, si je t'avais croisé, je pense que je m'en serais souvenu.
_ Ah bon ? pourquoi ?
_ Bah, ça me paraît évident ! tu es magnifique !
Elle s'est mise à rougir.
_ Tu es la première personne à me dire ça.
_ QUOI !? c'est impossible.
_ Si si je te jure ! j'ai grandi dans un village de Normandie, j'étais la seule noire alors tout le monde se moquait de moi."

La pauvre, j'avais à mes côtés une des plus belles femmes que j'ai jamais rencontré de ma vie et elle ne s'en doutait même pas.

Après tout cet échange de points communs improbables, la nuit s'est rapidement mise à tomber et les étoiles à poindre. J'aime ce moment, depuis tout petit, j'essaye d'apprendre par cœur la carte du ciel, sans succès. Élodie se tourne vers moi, me prend la main, pointe son doigt vers la voute céleste et me dit :
"_ Regardes. Ici, juste là, cette étoile rouge qui scintille, c'est Antarès, de la constellation du Scorpion.
J'en reste sans voix. Elle poursuit :
_ La semaine dernière j'étais dans un observatoire. J'aime les étoiles depuis que je suis toute petite, je connais la carte du ciel par cœur. Par contre, ce que je ne savais pas : un astronome nous a fait visiter et nous a dit que la lumière des étoiles mettait plusieurs années à nous parvenir, parfois plusieurs milliers d'années. Souvent, la lumière nous atteint alors que l'étoile à l'origine de cette lumière est déjà morte depuis longtemps. Du coup, les astrologues sont hyper forts : ils arrivent à lire l'avenir dans le passé."

J'étais subjugué, bluffé, époustouflé. Belle, intelligente ET cultivée.

"_ Bon, faut que j'enlève mes lentilles, je commence à avoir les yeux qui piquent.
_ Tu as une grosse correction ?
_ Oulah ! je suis super myope !
_ Super belle et super myope, dis-je en souriant.
_ Oui, tu vois, une vraie taupe modèle."

Et en plus, elle avait le sens de l'humour et de l'auto-dérision.

La nuit étant tombée, nous nous sommes dirigés vers le restaurant en attendant ses amis. Nous avons échangés nos biographies respectives (la version courte) et ses amis sont arrivés. Direction leur bungalow :
Une petite case en bois, super classe, dans un jardin d’hibiscus avec des caméléons, grand lit, grands ventilateurs, moustiquaire autour du lit, salle de bain immense comparée à l'autre et tout ça pour le même prix !
On s'est regardé, on s'est dirigé vers la réception :
"_ Est-ce qu'il vous reste 2 bungalow s'il vous plait ?
_ Non mais il m'en reste un double pour le même prix si vous voulez. Petit déjeuner compris.
Nous nous sommes regardés un peu gênés :
_ Ça te dérange si...
_ Non, c'est pour 2 nuits seulement...
_ Et puis c'est hyper grand, chacun de son côté, on ne se touchera même pas...
_ C'est mieux et moins cher que l'autre...
_ Ok, on prend le bungalow." 

Nous sommes retournés à l'hôtel, impossible d'annuler la réservation. Nous avons passé la première nuit dans l'hôtel pourri. Dès la première heure, nous avons rassemblé nos affaires, direction le bungalow et nous avons investi les lieux. Les vacances pouvaient commencer.

La suite au prochain numéro...

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